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LORD LUCAN – LE LIGONNÈS ANGLAIS

LORD LUCAN – LE LIGONNÈS ANGLAIS

« The British Xavier de Ligonnès », ou l’histoire de l’aristocrate aux airs de James Bond qui reste l’homme le plus recherché d’Angleterre…

Il est un peu après 21 heures, le 7 novembre 1974. À Londres, une pluie fine recouvre les trottoirs. 

Au 46 Lower Belgrave Street, dans le quartier cossu de Belgravia, Lady Veronica Lucane se détend dans son salon. 

Ses trois enfants, Francès, George et Camilla, dorment tranquillement à l’étage. 

La nounou, Sandra Rivett, vient de descendre à la cuisine pour préparer à sa patronne une tasse de thé. 

Lady Veronica attend, mais finit par s’impatienter. 

Combien de temps faut-il donc pour faire bouillir de l’eau ? 

Elle décide de descendre à son tour dans la cuisine pour voir ce qui se passe. 

C’est étrange, la lumière de l’escalier ne fonctionne pas. Elle appelle Sandra : aucune réponse. Le sol carrelé est glissant sous ses pas. Son pied bute contre quelque chose… 

Soudain, des bras puissants la saisissent. Elle reçoit un coup sourd sur la tête. 

Veronica se débat, hurle. Une voix d’homme lui somme brutalement de se taire. 

Elle croit reconnaître celle de son ex-mari, Lord Lucan.

Un coup de pied dans les parties génitales de son agresseur lui permet de se dégager. 

Elle s’échappe dans la nuit, chercher du secours.

C’est un soir comme les autres au Plumbers Arms, un pub tranquille de Belgravia, à deux pas de la gare de Victoria. 

L’horloge sonne le coup de 22 heures. Les habitués hésitent à reprendre une dernière pinte lorsque la porte s’ouvre violemment. Une femme ensanglantée se jette à l’intérieur, hystérique : 

« Appelez la police ! On veut m’assassiner ! L’homme est toujours chez moi ! Il a tué la nounou !»

Galvanisé, le patron attrape son téléphone et prévient les secours.

Dès l’arrivée des policiers, Lady Veronica Lucan raconte la scène qu’elle vient de vivre : l’absence de la nounou, la lumière éteinte, l’attaque dans la cuisine… 

Lorsque la police se rend au 46 Lower Belgrave Street, ils constatent le carnage. 

La maison est maculée de sang frais. Il y a des traces sur les murs, dans l’escalier, et surtout dans la cuisine, au sous-sol. 

Le corps sans vie de Sandra Rivett git sur le carrelage, grossièrement emballé dans un sac de tri postal. 

La nounou a visiblement été rouée de coups. L’arme du crime ne fait pas de doute : un morceau de tuyau en fonte ensanglanté est retrouvé dans le couloir. 

Très vite, les soupçons se portent sur l’ex-mari. 

Non seulement Veronica Lucan dit avoir reconnu sa voix, mais le couple s’entredéchire par avocats interposés depuis leur séparation, se disputant âprement la garde des enfants. 

L’aristocrate aurait d’abord tué Sandra Rivett, persuadé dans la pénombre qu’il s’agissait de sa femme, avant de s’attaquer à celle-ci.

Seul problème : Lord Lucan est introuvable. 

On a pu reconstituer son parcours.

Dans les heures qui ont suivi le crime, il s’est rendu chez une amie, Susan Maxwell-Scott. 

Puis il a appelé sa mère, en lui demandant d’aller chercher les enfants. Aux deux femmes, il explique qu’il aurait surpris l’attaque d’un tueur à gages commandité pour assassiner Veronica, et qu’il risquait donc d’être considéré comme coupable. 

Sa dernière réplique avant de disparaître ? « Je dois faire profil bas pendant quelque temps ».

Du haut de son mètre quatre-vingt-dix, avec sa stature athlétique, sa moustache élégante et son regard espiègle, Richard John Bingham, septième Lord Lucan, a tout du parfait gentleman. 

Issu d’une grande famille aristocratique connue pour sa grande bravoure lors de batailles historiques, il est éduqué au célèbre collège Eton avant de rejoindre l’armée, puis de travailler dans la finance. 

Doué pour l’équitation et le tir, il apprécie le grand air, la chasse à courre et la pêche. 

Membre fondateur du prestigieux Clairmont Club, un cercle de riches héritiers, il conduit une Aston Martin et passe ses vacances aux Bahamas, où il pilote des bateaux de course.

Dès le lycée, il se passionne pour les jeux d’argent : on le surnomme même « Lucky Lucan », Lucan le chanceux. 

En 1960, lors d’une partie de baccarat, il gagne 60,000 livres sterling en une seule soirée et décide de devenir joueur professionnel. 

On le croise dans toutes les salles de jeu londoniennes, une vodka martini à la main. Un vrai James Bond. 

D’ailleurs, lors du casting du premier James Bond, en 1966, il fait partie des candidats potentiels, tant son profil sied à celui de l’agent secret !

Sa vie privée semble tout aussi parfaite : en 1963, il rencontre la blonde Veronica Duncan, fille de militaires, lors d’un tournoi de golf. 

Ils se marient peu de temps après, passent leur voyage de noces sur l’Orient Express et s’installent au 46 Lower Belgrave Street. 

La naissance des trois enfants complète le tableau. 

Mais en coulisses, rien ne va plus. Veronica ne supporte plus la vie nocturne et dissolue de son mari. Elle souffre de dépression, prend des médicaments, séjourne en maison de repos. 

Après les gains impressionnants de ses débuts, « Lucky Lucan » enchaîne les pertes, s’endette, perd pied. Sa femme demande le divorce. 

Lucan n’a qu’une crainte : perdre la garde de ses enfants. 

Cette peur devient une obsession. 

Il espionne sa femme, s’introduit dans la maison pour y dérober ses pilules, multiplie les démarches pour invalider  la procédure de divorce auprès des avocats. 

L’aristocrate échafaude même un plan pour « racheter » les enfants à son ex-compagne, à qui il coupe les vivres.

Le 7 novembre 1974, le jour du crime, les quelques amis qui le croisent ne le trouvent pourtant pas agité ou perturbé. 

Certes, il pose un lapin aux quelques rendez-vous prévus ce jour-là, dont une entrevue avec une conquête féminine. 

En début de soirée, il prend un verre avec un ami, qui s’étonne de le voir conduire une vieille Ford, plutôt que sa Mercedes habituelle. Il a une réservation au Clairmont Club à 23 heures, pour dîner. Il ne viendra jamais.

Trois jours plus tard, on retrouve la Ford de Lucan abandonnée à Newhaven, sur la côte sud de l’Angleterre. 

L’intérieur et la carrosserie sont couverts de traces de sang. Sur la banquette arrière, un morceau de tuyau en fonte entouré de bandes adhésives. Les enquêteurs découvrent également une mèche de cheveux semblable à celle de Lady Lucan. 

Une chasse à l’homme est lancée : la police ratisse les environs et enquête sur les passagers des nombreux ferrys de cette région portuaire. 

Aucun succès : Lord Lucan s’est tout simplement éclipsé, ne laissant derrière lui que quelques brefs courriers à des proches, leur signalant de prendre soin de ses enfants. Les missives portent elles aussi des empreintes ensanglantées.

Des témoins disent avoir croisé la silhouette élégante de Lord Lucan, exilé sous une fausse identité en Inde, en Afrique du Sud ou encore en Irlande. Selon une autre hypothèse, l’aristocrate se serait suicidé puis aurait demandé à son ami John Aspinall, propriétaire d’un zoo, de placer son cadavre dépecé dans la fosse aux tigres. Pour d’autres, il se serait jeté d’un ferry pour finir volontairement broyé par les hélices. Les pistes ne donnent aucune suite :  Lord Lucan s’est volatilisé.

Au vu des nombreuses preuves, la justice n’émet aucun doute : en son absence, Lord Lucan est désigné coupable de meurtre le 16 juin 1975. 

Il est le premier Lord à subir ce jugement depuis 1760. Le verdict ne fait qu’amplifier la légende autour de la disparition de cet homme mystérieux et charismatique. 

Pour certains enquêteurs, la piste la plus plausible reste qu’il aurait été exfiltré vers l’étranger grâce à la « mafia aristo » dont il faisait lui-même partie.

En février 2016 son fils George réussit à obtenir un certificat de présomption de décès, lui permettant de devenir à son tour Lord Lucan, huitième du nom, et d’hériter enfin de la succession. 

Mais c’est le deuil d’un autre héritier de l’affaire qui est à l’origine du scoop le plus récent. 

Neil Berriman, fils de la nounou Sandra Rivett, n’a découvert qu’en 1988 qui était sa mère naturelle. 

Il s’est depuis juré de retrouver l’assassin présumé de celle qu’il n’a jamais connue. 

En 2016, après l’annonce de présomption de décès, une lettre anonyme met Neil Berriman sur la piste d’un homme vivant dans une communauté bouddhiste en Australie, et dont le profil correspond en tous points à celui de Lord Lucan. 

En 2020, après quatre années d’enquête personnelle, Neil Berriman alerte Scotland Yard et vend son histoire au journal le Daily Mirror, qui fait sa une avec le scoop. 

L’Angleterre retient son souffle : l’affaire Lucan continue de passionner le pays. 

Pourtant, la police n’est pas convaincue par les documents recueillis par Neil Berriman. 

Selon eux, il ne peut s’agir du même homme. 

Mais Berriman en est convaincu, le vieillard qu’il a lui-même confronté dans sa maison dans la banlieue de Perth est bien Lord Lucan, le meurtrier de sa mère.

Il soupçonne même la police de couvrir le vieil homme. Pourquoi ? Peut-être toujours via ce réseau d’aristo…

Toujours est-il que les enquêteurs de la couronne ont enterré le dossier et n’ont pas soumis le suspect à un test ADN.

L’homme en question a aujourd’hui près de 87 ans et souffre d’une maladie grave.

Il est la dernière piste crédible.S’il disparaît, c’est le fait divers le plus mythique du 20ème siècle qui restera à jamais en suspens…

Texte : Nathalie Fraser / Voix : David Kruger

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