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LEGO, Ça vaut plus qu’un lingot d’or !

LEGO, Ça vaut plus qu’un lingot d’or !

Novembre 2022. Damien contemple la montagne de cartons qui lui fait face. Sur chacun,  son père a consciencieusement écrit : « Jouets Damien ». Il ouvre le premier… à l’intérieur, de nombreuses boîtes de constructions Lego. Il en avait tellement que certaines n’ont jamais été ouvertes…  Incroyable que sa mère ait gardé ça toutes ces années ! 

Damien empoigne son téléphone et ouvre Ebay. Il cherche Lego sur l’appli de revente en ligne et tombe sur une figurine représentant un petit bonhomme doré avec un chapeau et un sceptre. C’est “mister gold”. Il s’en souvient très bien, cette figurine était collector, on la disait rare, et lui, avait réussi à l’avoir. L’appli affiche 3432 dollars ». Damien secoue la tête, ferme l’appli, la rouvre, recommence. Cette fois, il saisit « Lego Star Wars faucon millenium ». 3000 euros pour la version originale encore emballée… 3000 euros !? 

Un par un, Damien photographie tous ses Lego, et plonge dans le monde parallèle des collectionneurs. Un monde où une pièce peut se revendre jusqu’à 300 fois sa valeur d’achat… 

Au total, les briques poussiéreuses en plastique sorties de son enfance lui rapporteront bientôt 11 387 euros. 

Damien va découvrir que les Lego, symbole suprême du monde innocent de l’enfance…  sont un incroyable moyen de gagner beaucoup, beaucoup, beaucoup d’argent.

L’histoire de Lego démarre très modestement. 

Nous sommes à Billund, un petit village au Sud du Danemark qui compte moins de 200 habitants. La vie est austère. Au début du 20e siècle, on travaille dur, on gagne peu. 

Ole Kirk Christiansen est le 10e enfant d’une famille pauvre, des agriculteurs de la région du Jutland.  En 1916 à 24 ans, il se marie et fonde une famille. Il a quatre fils. Il rachète la menuiserie de Billund. Il y passera de longues heures à construire du mobilier en bois pour les fermiers des environs. Il décroche même un contrat pour construire l’église du village. Mais ça ne suffit pas pour entretenir son foyer. 

Le pauvre homme va en plus  subir la rage du mauvais sort. 

En 1924, ses deux fils Karl Georg et Godtfred provoquent un incendie en jouant avec les machines. Tout son travail part en fumée. Sa maison aussi. 

Ole est courageux. Il ne se décourage pas et reconstruit la menuiserie qu’il agrandit. Les affaires reprennent et un peu plus tard, il embauche une petite équipe. Il respire à nouveau…et c’est là que survient la crise de 1929 avec l’effondrement des marchés boursiers.  

1932.  La mort dans l’âme, et après une bataille acharnée contre la ruine, il doit licencier ses employés pour sauver la fabrique.  

C’est le moment que choisit la plus cruelle des épreuves pour le frapper en plein cœur : son épouse Kristine décède brusquement.  

Ole Kirk Christiansen se retrouve seul avec ses fils âgés de 12 à 15 ans.

Non seulement il ne s’effondre pas, mais l’homme va transformer le méchant destin en or massif. 1932, c’est aussi l’année de Lego.

Ole a 41 ans, plus de femme, plus d’employés, 4 gamins sur les bras et, c’est le cas de le dire, une volonté à toute épreuve. 

Il travaille plus dur, plus tard, il veut conjurer le sort, assurer un avenir à ses fils. Parfois, tard le soir, il se prend la tête entre les mains et il pleure en silence. Il sait bien que les garçons auraient besoin de la chaleur de leur  mère. 

Pour adoucir l’absence de Kristine, il confectionne des petits jouets en bois, des modèles miniatures d’un mobilier qu’on lui commande de moins en moins, des petits canards articulés. 

Godtfred, le fils aîné, voit son père soigner ses démons à l’atelier. Lui aussi aime le parfum du bois qui flotte jusqu’à la cuisine où il fait ses devoirs. Et puis, il n’avait que 4 ans, mais il se souvient bien de ce feu qui avait tout détruit -par sa faute!- et il culpabilise. 

Il décide d’aider son père. Dès ses 13 ans, ils passent toutes leurs soirées ensemble à fabriquer de nouveaux jouets.

France, en 2022. 

Encouragé par la revente de ses Lego d’occasion, Damien se met à lire tout ce qui concerne la marque danoise. Il découvre de nombreux sites, principalement américains, pour s’enrichir grâce aux briques. Tous citent le fameux faucon millénium de Star Wars et le Taj Mahal 1ères éditions comme des exemples des investissements Lego les plus rentables. D’autres suivent : le château du Roi sorti en 1984 pour l’équivalent de 150 euros se revend aujourd’hui près de 2000 euros. En 2013, la mini-figurine Mister Gold coûtait moins de 3 euros en magasin. L’original vaut plus de 3000 euros. Le camion à lait d’une entreprise danoise, un set promotionnel fait en très petite quantité, comporte 133 pièces qui peuvent rapporter à qui les possède près de 1900 euros… soit plus de 14 euros la brique de plastique. 

Chaque année, la marque de jouets renouvelle 60% de son catalogue qui contient environ 600 boîtes de construction  différentes. De quoi créer la rareté et encourager les collectionneurs du monde entier, et donc, les spéculations…  

La presse internationale est unanime : les Lego peuvent être plus rentables que l’or, le vin ou encore les actions dans l’art ! 

11% de plus-value en moyenne, au minimum.

Ole est un homme attentif au monde qui l’entoure. Aux débuts des années 30, il suit avec intérêt la nouvelle mode des yoyos apparue aux Etats Unis. Il en construit alors des centaines…Mais la folie yoyo n’arrive pas jusqu’à Billund et il se retrouve avec un énorme stock sur les bras.  L’atelier est au bord de la faillite. 

Les frères d’Ole interviennent. Ils lui proposent de sauver son commerce avec leurs économies, à la condition expresse qu’Ole oublie cette ridicule lubie de jouets. Il faut revenir à l’activité première, les meubles. 

Notre héros refuse catégoriquement. Il va même plus loin, il décide de rebaptiser son entreprise pour ne produire QUE des jouets. Il y croit tellement qu’il réembauche 7 employés. Son intuition ? Si le mobilier est un investissement trop lourd pour les modestes foyers de l’époque, ils auront toujours à cœur d’offrir à leurs enfants loisirs et éducation. 

1934: l’usine s’appellera désormais LEGO, contraction de “Leg godt”, “joue bien” en danois. 

Pourtant le destin n’en a pas encore fini avec notre pauvre Ole.

Certains AFOL, acronyme pour désigner les “adultes fans de Lego”, ont bien compris comment rentabiliser leur passion de la brique :  

Le Strasbourgeois Jérome Kloepfer s’est fait connaitre avec son site “quand la brique est bonne.com”, où il met en scène le sosie de Jean Jacques Goldman en Lego. Et ça marche, ses vidéos dépassent les 100 000 vues et il se met à correspondre avec le vrai chanteur qui lui dédicace un sosie Lego. Celui-ci est conservé sous scellé…

A Chicago, l’artiste Joe Trupia a lancé “Citizen Brick”, un e-commerce où il vend ses propres figurines Lego personnalisées.

En mars 2022, il lance son Lego du président ukrainien (vendu 100 dollars) et un Lego “cocktail molotov” à 10 dollars. Les ventes au profit d’une ONG contre la guerre ont rapporté 145 000 dollars en quelques heures. 

Une autre piste pour vivre grâce aux Lego :  

Sur le site “Lego Ideas”, il est possible de soumettre officiellement des assemblages originaux. On envoie le plan de construction ou une photo. Si c’est validé par 10 000 personnes, Lego le commercialise, et reverse 1% des ventes au créateur. Parmi les meilleures ventes, les pirates de la baie de Barracuda (199 euros sur la boutique officielle en 2020, près du double aujourd’hui), la chaussure Adidas, le tableau “La nuit étoilée de Vincent Van Gogh”. Il y en a pour tous les goûts et parfois, ça rapporte très gros !

L’intuition d’Ole a payé. Ses jouets sont désormais connus dans tout le Danemark et son usine compte une quarantaine de salariés. Notre Danois s’est remarié et a eu son 5e enfant, une petite fille. La chance semble avoir tourné… en tout cas jusqu’au 23 mars 1942. 

Cette nuit-là, de nouveau un incendie ! Son usine est ravagée…A nouveau, il doit tout reconstruire. Mais à nouveau, il va en profiter pour se moderniser.  

Pendant plusieurs mois, les Christiansen vivent à 7 dans une seule pièce : Ole a hypothéqué la maison pour reconstruire Lego. C’est à cette époque qu’il se tourne vers un nouveau matériau synthétique, le plastique. Il est moins cher, plus résistant  et plus en vogue que le bois, devenu rare avec la seconde guerre mondiale. Il va aussi adopter le taylorisme. Ce mode de production qui met les ouvriers à la chaîne vient d’être importé des Etats Unis. Les efforts payent : un an après l’incendie, Oleu a de nouveau 40 employés à son service.

En 1949, invité à la foire des jouets de Londres, Oleu et son fils Gottfred  découvrent les briques emboîtables inventées par un anglais: Hilary Page, fondateur de la marque de jouets Kiddicraft.

La légende dit qu’Oleu glisse une de ces petites briques dans sa poche pour plancher sur sa propre version dès son retour à Billund. Ce qui est certain, c’est qu’à partir de ce moment, Lego ne s’arrêtera plus de produire les célèbres briques que l’on connaît.  C’est que le fondateur de Kiddicraft a fait une sacrée erreur : il a totalement oublié de déposer son brevet dans les pays scandinaves…du coup Lego est libre de copier l’idée. 

Petit aparté : En 1981 Lego rachètera quand même les derniers droits de la brique emboitable à Kiddicraft, pour la modique somme de 45 000 livres.

Damien ne décroche plus des tutos “investir dans les Lego”. Il met en place une véritable stratégie. 

il va miser sur un ensemble tout petit, parce qu’il contiendra des pièces plus rares  -comme cette brique unique de la statue de la liberté, 80 euros à l’heure actuelle, pour une seule brique!  Damien veut aussi stocker des boîtes gigantesques, construites en plus petites quantités et donc plus rares. Il faut choisir une valeur sûre et indémodable, comme Star Wars ou un monument. 

Il scrute désormais le site “brickpicker”, une mine de renseignements : on y trouve la valeur des sets en temps réel, le cours de la brique, des bons plans d’achat, des outils pour calculer la rareté et les tendances. C’est le Wall Street du Lego !

Oleu meurt le 11 mars 1958 après une vie bien remplie. Son fils Gottfred Kirk Christiansen, 35 ans, prend naturellement la relève. C’est lui qui met en place les constructions Lego telles qu’on les connaît, avec un assemblage conçu pour fabriquer un objet précis.

En 1960, comme son père, Gottfried affronte un incendie qui ravage l’usine. Cette fois c’est la foudre qui frappe. Et comme son père, il prend une décision radicale :  l’empire Lego contre-attaque en éliminant définitivement le bois de son catalogue. Désormais, on ne fera QUE des briques en plastique. 

Et devinez qui va remplacer Gottfried à sa retraite ? Son fils évidemment. Kjeld va diriger la société de 1979 à 2004. C’est lui qui va avoir l’idée géniale de s’associer à d’autres licences comme Marvel, Disney ou Pixar pour relancer les Lego. Il faut dire qu’avec l’arrivée des jouets électroniques, la société traverse une crise financière importante dans les années 90. Mais comme toujours chez Lego, l’embûche est transformée en poule aux œufs d’or ! 

A l’heure où nous enregistrons ce podcast, les  Kirk Christiansen sont la famille la plus riche du Danemark, avec une fortune totale s’élevant à 32,8 milliards de dollars. Les 3 enfants de Kjeld, milliardaires comme leur père, occupent des postes stratégiques dans l’entreprise familiale. 

En 2022, Lego était présente dans 130 pays et enregistrait une augmentation des ventes aux consommateurs de 13%, pour un chiffre d’affaires de plus de 3 milliards d’euros. Soit 17% d’augmentation en un an…

Thomas, le fils aîné de Kjeld, l’arrière petit-fils d’Ole, prendra la suite de son père en 2023.

Après avoir passé des nuits entières à rechercher le meilleur investissement Lego,  Damien décide de se lancer dans le business. Il achète l’immense set Tour Eiffel que sort la marque fin 2022. A ce jour, c’est le plus grand ensemble Lego jamais sorti : 1 mètre 50 de haut, 10 000 pièces… L’ensemble coûte 629 euros. Mais dans quelques années…qui sait ? 

Arrivé chez lui avec son immense carton Lego, Damien réalise qu’il a oublié quelque chose de très important : mais où va-t-il donc conserver ce truc ? Un voile de panique traverse son regard. 

Ce soir-là, quand sa fiancée rentre du travail… Damien lui prend la main et lui parle doucement. Il lui demande de bien vouloir libérer le dressing de l’appartement.  

Oui,  parce qu’il compte y remiser quelques boîtes Lego neuves un moment.  Pendant…disons 5 ou 6 ans ?

Texte : Anneka Bodocco / Voix : Marine Guez Vernin & Eric Lange

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