fbpx

TREMBLEZ ! VOICI : L’INQUISITION !

TREMBLEZ ! VOICI : L’INQUISITION !

Au 12ème siècle, l’Europe vit sous la poigne des moines inquisiteurs qui ont le pouvoir de juger, torturer et tuer les hérétiques. Que s’est il vraiment passé ? Réponse dans ce podcast.

Texte : Claudia Valencia Voix : François Berland

30 juin 1680, Madrid. La capitale espagnole est en liesse. Les cloches sonnent à toute volée et le peuple s’amasse sur les artères principales. Personne ne veut manquer une miette du spectacle !

Pedrito est perché sur les épaules de son papa. Une vue féerique : Les fenêtres sont parées d’or et de brocart, des dames ruisselantes de bijoux se penchent au-dessus des balcons en agitant leurs éventails, partout des visages extatiques. L’enfant est émerveillé.

Un bruissement parcourt la foule « Ils arrivent, ils arrivent ! ». Soudain les visages se décomposent, l’allégresse vire à la sauvagerie, on hurle, on crache : « Maranos ! Putain ! Crève sale porc ! ». 

La mêlée est générale, on jette des légumes pourris et des ordures.

 Pedrito prend peur, il éclate en sanglots et veut descendre, son père le retient en riant : « N’aie pas peur, regarde, regarde-les ! » 

A travers ses larmes Pedrito discerne le fruit de tout ce vacarme : un cortège de chapeaux pointus… Beaucoup d’hommes, quelques femmes…Des flammes rouges ont été peintes sur leurs tuniques, certains sont bâillonnés, d’autres ont une corde enroulée autour de la gorge. 

Des panneaux pendent à leur cou, avec des inscriptions.. Pedrito les déchiffre avec application : Juif, Mahométan, blasphémateur, sodomite… Il ne comprend pas. Entre deux hoquets le gamin demande : c’est un carnaval ?    

Non, un autodafé. Une cérémonie publique où les hérétiques défilent pieds et poings liés devant le peuple en délire. 

On en compte 120 ce jour-là. Ramenés des quatre coins du royaume pour la plus grande joie des Madrilènes. Le consensus est général : la très sainte inquisition a fait du beau travail cette année, la procession restera longtemps dans les mémoires.

L’inquisition.

Là, tout de suite, quelles images vous viennent en tête ? Des bûchers en flammes ? Des prêtres aux yeux exorbités hurlant « hérésie » à tout bout de champ ? Ou bien un attirail de torture si dément qu’il révulserait le pire des sadiques ? 

L’âne espagnol, le berceau de Judas, la chaise infernale, la vierge de fer ! Avec des noms pareils, on frémit déjà. Vous imaginez sans doute des temps archaïques, les âges sombres, le bas moyen âge… Stop ! 

Les bûchers ont rarement été utilisés, les prêtres n’étaient pas tous des fous de dieu, et la torture était loin d’être systématique. 

L’inquisition a vu le jour pendant l’ère médiévale, oui, mais elle ne s’est pas cantonnée à cette période.  

Saviez-vous qu’en Espagne elle a existé jusqu’en 1834 ? Et qu’il a fallu attendre 1965, oui 1965,  pour que le Vatican y mette un terme ?  Pas si archaïque que ça finalement…

Revenons aux origines : L’Europe du douzième siècle. L’Église catholique règne en maîtresse incontestée. Nature, société, philosophie, science, éducation, techniques, art… Tout, absolument tout, passe par le prisme religieux. 

Penser par soi même est inconcevable. Votre vie tout entière doit se conformer à l’évangile : aller à la messe, prier, exercer la charité… et surtout obéir au chef suprême, le pape ! 

C’est sur ce point que les choses se corsent. 

Tous les chrétiens ne sont pas d’accord, des voix s’élèvent : « le pape n’est pas infaillible, pourquoi lui accorder autant d’importance ? Et si on choisissait soi-même ses prêtres ? L’église chante les louanges de la pauvreté mais certains cardinaux vivent comme de grands seigneurs ! N’est-ce pas hypocrite ? »

A Rome, le chef de l’église catholique fulmine. Des idées aussi putrides que la lèpre ! Laissez-les prospérer et c’est toute la chrétienté qui sera contaminée ! Il faut repérer les voix discordantes et les extirper avant infection !

A problème exceptionnel, mesures exceptionnelles. L’Église crée une institution qui n’a qu’un seul objectif : traquer la dissidence et la bâillonner une fois pour toutes. 

L’inquisition est née.

Les premiers inquisiteurs sont des moines dotés d’une réputation exemplaire. Vivant pauvrement, disciplinés et inflexibles. Ce sont aussi des lettrés. Un sacré avantage… 

Sous leurs plumes les contestataires se transforment en suppôts de Satan : des conspirateurs qui veulent renverser la papauté et s’adonnent à des cérémonies orgiaques, bref des hérétiques !

L’ennemi est diabolisé. Maintenant il faut le dénicher. Des délégations de clercs sont envoyées aux quatre coins de l’Europe. Leur mission ? Débusquer et éliminer l’hérésie. Pour leur faciliter l’affaire, le pape les bombarde de privilèges : On les dispense de se soumettre aux lois locales, les seigneurs, les cardinaux, les rois eux-mêmes doivent s’incliner devant eux. Les inquisiteurs cumulent toutes les charges : procureur, enquêteur et juge. Nul ne saurait les contester : s’en prendre à un inquisiteur, c’est comme s’en prendre au pape lui-même.

Imaginez : Vous habitez une petite ville dans le sud de la France au début du treizième siècle…

 Votre bourgade est en ébullition : « Les inquisiteurs sont là ! ». 

Leur procession est impressionnante : L’inquisiteur en chef est escorté par des soldats, il est suivi d’une armada de scribes et de notaires. Un événement d’importance… Les autorités communales ordonnent le rassemblement de la population sur la place principale. 

Face aux habitants, l’inquisiteur en chef prononce un beau sermon sur les mérites de l’Église catholique. A la fin de son prêche il conclut par ces mots : un délai de plusieurs jours a été accordé à votre cité. Durant ce laps de temps chaque citadin est invité à se confesser. Les inquisiteurs recueilleront leurs confessions et leur accorderont leur pardon. Mais pour que la rédemption soit complète, il faudra s’acquitter d’une autre tâche : désigner les mauvais chrétiens de votre paroisse. Vous rechignez à jouer les délateurs ? Dans ce cas vous serez taxés d’hérésie.  

Le début d’un sinistre engrenage. L’échéance fixée par l’inquisiteur est arrivée, les noms tombent : vous faites partie de la liste. Il faut vous présenter devant le tribunal de l’inquisition. Obéissez, ou gare à vous !  

Vous êtes seul devant l’inquisiteur. 

Dans l’ombre quelques moines copistes retranscrivent l’interrogatoire. On vous somme d’avouer. 

Avouer quoi au juste ? 

L’inquisiteur s’abstient de vous en informer. Bien… Vous en déduisez que cela tourne autour de l’hérésie.  

Le terme est vaste et il englobe beaucoup de choses : Il y’a des délits mineurs comme sécher le linge un samedi au lieu du dimanche, faire bonne chère pendant le jeûne du carême… D’autres plus graves : critiquer le curé, débattre autour du dogme, ou pire, suivre des messes avec des prêtres qui n’ont pas reçu l’onction papale ! 

Il faut des témoins pour prouver de telles choses, n’est-ce pas ? Vous demandez qui ils sont. Le tribunal refuse de dévoiler leurs noms. On estime que vous pourriez leur faire du mal ou les influencer. 

Avez-vous le droit à un avocat ? Oui, évidemment mais il sera à son tour soupçonné d’hérésie.

Vous ne voulez rien admettre ? Au cachot ! 

Un cloaque infâme où ne perce pas la moindre lumière. Votre ventre crie famine et vous n’avez aucun contact avec le monde extérieur… Lorsqu’on vous laisse enfin sortir, c’est pour être de nouveau interrogé. Le seul être humain avec lequel vous puissiez communiquer est l’inquisiteur et il n’a que ce mot à la bouche : l’aveu !  

Vous niez ? Retour au cachot ! Ce petit jeu peut durer des années… 

Vous perdez la notion du temps, la peur vous ronge à petit feu, les questions sont répétées jusqu’à l’absurde, vous ne vous y retrouvez plus, tout ce que vous dites finit par se retourner contre vous. 

Vous êtes épuisé, ce supplice doit cesser ou vous allez perdre la raison. L’inquisiteur saute sur l’occasion : mot à mot il vous fait répéter sa vérité. Vous être trop faible pour le contredire : « Oui vous avez fait sécher votre linge un samedi, oui, vous avez été tenté par Satan et vous avez cédé… » Dans la foulée vous dénoncez votre conjoint et vos enfants. Votre compte est bon.

Chantage, menace… L’inquisition use de tous les moyens pour parvenir à ses fins. Jusqu’à monnayer les services de mouchards professionnels. Et si rien de tout cela ne marche ? La torture viendra à bout des plus récalcitrants. Son recours est exceptionnel, dans la majorité des cas, la pression psychologique suffit. 

L’inquisition a plus d’un tour en poche mais l’arme qu’elle affectionne par-dessus tout c’est la bureaucratie ! Commune après commune, année après année, les inquisiteurs classent, étiquettent, organisent… Un maillage d’encre et de papier dont ils sont les seuls à détenir la clé. Sous leur instigation, une accusation vieille de 10 ans peut resurgir en un claquement de doigt. Les inquisiteurs ne sont pas tant des fanatiques aveuglés par leur foi que des fonctionnaires pleins de zèle.

Plus tard, au 20ième siècle, après la barbarie Nazie, la philosophe Hanna Arendt donnera un nom à cette soumission, elle la nommera : la banalité du mal.

Les fonctionnaires obéissants suivent sans broncher les ordres de leur hiérarchie et élaborent des procédures d’une rationalité à tout épreuve. Rigueur et modernité sont leurs maîtres mots. 

Après avoir été déclarés hérétiques, les suppliciés sont exhibés sur la place principale. Les sentences sont prononcées à voix haute devant le peuple réuni :  port d’un vêtement infamant, exil, pèlerinage, ou prison… La peine de mort est rare… Elle n’est distribuée qu’en cas de récidive ou pour ceux qui refusent le repentir.

Vous vous en tirez avec quelques coups de fouet. 

Vous croyez que le pire est passé ? Grave erreur. Après exécution de sa peine, l’hérétique est mis à la marge : Ses biens sont confisqués, il est déchu de ses droits civiques et il lui est impossible de retrouver un emploi. 

Ce n’est pas fini ; le malheureux entraîne les siens dans sa déchéance. Se marier avec un enfant d’hérétique ? Du suicide social ! Le coupable et sa descendance sont comme maudits. Et ceux qui oseraient venir à leur secours ? Ils seront à leur tour poursuivis. 

Le système broie les individus et disloque les communautés. 

Même les défunts ne sont pas épargnés : on déterre les cadavres et on les brûle. Une punition épouvantable pour l’époque :  En incinérant le corps vous empêchez l’âme d’accéder à la vie éternelle !

Semer l’effroi, ce n’est pas mal mais il existe des tactiques autrement plus subtiles et l’inquisition en use avec maestria.

Elle encourage la délation et entretient un climat de paranoïa qui empoisonne les esprits :  vous, moi, le voisin, ou le premier venu, n’importe qui peut être hérétique !

Les chrétiens dissidents ne sont plus les seuls à être visés. Tout ce qui est considéré comme déviant peut être écrasé par le système :  Homosexualité, relations hors mariages, bigamie, adultère, blasphèmes… Les esprits et les corps sont scrutés à la loupe, nul n’est à l’abri.  

La terreur atteint son apogée pendant la renaissance. 

A la fin du quinzième siècle un nouveau royaume voit le jour : l’Espagne. Sa devise ? Une bannière, un roi et surtout… Une foi : la religion catholique, bien sûr ! Les nouveaux monarques en sont persuadés :  elle seule assurera l’unité du pays. 

L’idéal ne colle pas à la réalité : depuis des lustres, Chrétiens, Juifs et Musulmans vivent ensemble. 

Qu’importe. Les souverains d’Espagne veulent unifier leur territoire et ils le feront à n’importe quel prix. Le judaïsme et l’Islam sont déclarés religions hérétiques et les non chrétiens sont mis devant le fait accompli : la conversion ou la mort.

Des milliers choisissent l’exil, l’inquisition en profite pour les dépouiller de leurs biens. Forte de ces rentrées d’argent, l’institution devient plus puissante que jamais. Jusqu’à concurrencer l’autorité royale. Désormais, elle a le champ libre pour appliquer son programme : s’assurer que chaque espagnol soit un bon catholique. 

Aussitôt dit aussitôt fait. Les tribunaux fleurissent à travers tout le pays. Leur cible principale ? Les nouveaux convertis. Avoir été juif ou musulman suffit à vous rendre suspect. 

L’inquisition se saisira du moindre prétexte pour vous déclarer hérétiques. Posséder des livres qui ne sont pas en latin, faire sa prière dans une langue inconnue, manger de la viande le vendredi, ne pas consommer de porc… La liste est infinie. 

Année après année l’inquisition ibérique resserre son emprise. Les faits et gestes des Espagnols n’entrent pas seuls dans la balance. Leur généalogie est aussi scrupuleusement étudiée. On les juge selon leur « limpieza de sangre ». La pureté du sang, en français.  

Ayez le malheur d’être un arrière-arrière-petit-fils de converti et le tribunal se fera une joie de conduire une enquête à votre encontre. 

Dans sa grande miséricorde, le système épargne les femmes enceintes. En revanche, il ne ménage pas les jeunes, voire les très jeunes. La limite est de 12 ans pour les garçons, 14 pour les filles 

Amérique du Sud, pays bas… Lorsque l’Espagne conquiert de nouveaux territoires, l’inquisition lui emboîte le pas. Sous son égide l’épuration est systématique, il ne saurait y avoir qu’un seul dogme, tout le reste est hérésie. L’enfer va durer trois siècles.

L’inquisition espagnole se démarque par son fanatisme mais elle reste un cas à part. 

A Rome, l’organisation prend un autre chemin. L’invention de l’imprimerie a entraîné un profond changement dans l’accès aux connaissances : le savoir n’est plus réservé à quelques privilégiés et il circule plus rapidement que jamais. 

Les inquisiteurs qui officient dans la ville éternelle en ont bien conscience. Beaucoup sont de doctes savants qui s’abreuvent de livres et se tiennent informés de l’avancée du monde. Ils en tirent cette conclusion : Plus que les hommes, ce qui menace l’Église, ce sont leurs idées. 

Au lieu de s’en prendre aux individus, il faut court-circuiter le réseau. Nait « l’index » : une liste régulièrement mise à jour des mauvais ouvrages. 

Tout écrit qui réfute ou met en doute les évangiles, est immédiatement proscrit. Si un catholique est surpris avec un livre banni, il encourt l’excommunication. 

Le dispositif va se poursuivre jusqu’au milieu du vingtième siècle.  Descartes, Kant, la totalité des philosophes des lumières, Balzac, Baudelaire, Victor Hugo, Heidegger, Beauvoir et Sartre sont un tout petit échantillon des auteurs mis à l’index.

Au dix-septième siècle les prisons de l’inquisition romaine se vident progressivement. Mais il reste des exceptions notables : Giordano Bruno, un moine défroqué qui théorise sur la multiplicité des mondes… Rome l’enjoint d’arrêter, Bruno refuse de courber l’échine. Il meurt brûlé sur la piazza Del Fiore en 1600.

Trente- trois ans plus tard, on frôle à nouveau le drame. Face à une congrégation de prélats, un vieillard pose en tremblant sa main droite sur la bible. Les menaces de mort auront eu raison de lui, il doit abjurer. Solennellement il déclare que la terre ne tourne pas autour du soleil.
Ce vieil homme c’est Galilée. 

Le Vatican attendra 1992 pour le réhabiliter. 

Bruno et Galilée ne sont que les premiers.

La brèche est ouverte et l’inquisition n’arrivera pas à la colmater. 

A mesure que le temps passe les savants puis l’Europe tout entière s’affranchit de le domination des religieux. L’Église catholique redouble d’efforts mais elle ne parvient plus à dicter sa loi. 

A partir du dix-huitième siècle l’inquisition décline, la crainte qu’elle suscitait devient un lointain souvenir. Une longue agonie…Les autorités ecclésiastiques continuent de mettre les livres à l’index mais plus personne n’en tient rigueur.

En 1965 c’est la fin : Le Vatican décrète la dissolution du saint office, l’inquisition est morte et enterrée 

Pendant longtemps on s’est focalisé sur les aspects les plus macabres de l’institution. Quitte à verser dans la caricature : Bûchers érigés tous les quatre matins, usage immodéré de la torture, et des morts se comptant par millions…  A force, l’essentiel a été occulté :  

Le but principal de l’inquisition n’était pas de tuer mais de surveiller : Un contrôle des esprits poussé jusqu’au boutisme. Débusquer les voix contestataires n’était pas assez, il fallait les persuader de leur culpabilité, provoquer une désintégration totale de la psyché.

Quelque chose de familier peut-être ?  

Eh oui… A bien des égards, l’inquisition préfigure les régimes totalitaires du vingtième siècle. Des systèmes qui placent les concepts au-dessus des hommes et qui sous prétexte d’universalité annihilent toute contestation.

Le nazisme, le fascisme, le communisme soviétique et chinois ou encore les Khmers Rouges, tous ont suivis les mêmes méthodes, emprisonnements arbitraires, menaces, dénonciations, même au sein des familles, procès, tortures, mise à mort…   

L’inquisition a disparu mais sa logique lui a survécu. 

Aujourd’hui encore elle continue de prospérer…

Encore plus de Podcast à écouter ici sur PODCAST STORY