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VIE ET MORT DES HIPPIES

VIE ET MORT DES HIPPIES

« Les hippies ont rêvé d’un paradis, ils sont morts en enfer. Histoire d’un grand voyage qui n’a finalement duré qu’une vingtaine d’années ».

Y avait tous ces mômes…

Fallait les voir.

Des cheveux qui tombaient sur les épaules, avec des fleurs…des vraies fleurs, autour de la tête, accrochées dans des turbans…ils étaient minces, la peau cuivrée par le soleil et la mer, habillés de toutes les couleurs dans des fringues qui pendaient de partout…On devinait la peau, les cuisses, les seins…souvent torses nus, des garçons, des filles…des enfants nus aussi qui cavalaient sur leurs petites jambes potelées 

Ils étaient des centaines…

Mille peut être…c’était sur une de ces collines à San Francisco…l’herbe verte, le ciel qui devient orange à l’Ouest quand le soleil tombe là-bas sur l’Océan…

Et ceux qui chantent, qui dansent, boivent des bières, fument des joins gros comme ça…écoutent Jefferson Airplane et les Doors…

En haut de la colline, un garçon habillé tout en blanc fait des grands signes !

Venez ! Il dit. Venez, il est temps !

Regardez !

Et il montre à bout de bras, un panier d’osier.

Il plonge sa main dedans et prend une poignée de petits carrés en papier.

Ce sont des buvards.

Imprégnés de LSD.

Le garçon les lancent en l’air !

Les autres s’approchent.

Pas de cohue. On est bienveillants.

On prend un buvard, on le met dans la bouche de l’autre… qui fait de même…et on s’embrasse.

Et on roule dans l’herbe, on se caresse, on oublie le monde dans le plaisir qui monte comme une vague infinie…

Un trip collectif incroyable.

Une grande messe psychédélique !

C’était en 1967.

L’été.

Plus tard, ces quelques mois sont entrés dans l’histoire sous le nom du Summer of Love.

L’été de l’amour.

La naissance des Hippies.

1960, 7 ans avant le Summer of Love.

John a quinze ans.

Il a une petite sœur, qui en a 12 ans, Cindy.

Son père, Mike, est ingénieur chez un fabricant de pneus, sa mère, Amie, ne travaille pas, elle s’occupe de la maison et des enfants. 

Ah si, depuis deux ans, elle participe à des réunions Tupperware.

La famille vit dans une maison de la banlieue de Hutchinson, une ville de 40 000 habitants. C’est le Kansas, le cœur de l’Amérique. C’est une ville importante, elle vit des mines de sel.

La famille de John habite une belle maison en bois, peinte en blanc, comme les classes moyennes s’en offraient alors. 

Un étage, un grenier, la chambre de John, un sous-sol, une pelouse impeccable devant, avec le drapeau américain en haut de son mât, un vélo par terre, sur l’herbe, deux fauteuils sur la véranda, un chien, deux voitures dans le garage. Une Ford et une Chevrolet.

Ces années-là, l’Amérique est souriante, propre sur elle, blanche, croyante et consommatrice.

Oui, consommatrice.

C’est le firmament d’un monde basé sur la consommation et le crédit.

Une vision, une utopie, presque une religion. On y croit dur comme fer. Grâce au capitalisme de consommation, un monde meilleur s’ouvre devant nous.

Et il faut reconnaître que ça marche ! Le niveau de vie augmente, les Américains s’enrichissent.

Enfin, les Américains blancs…

On achète tout un tas de trucs qui n’existaient pas avant, de l’électroménager, des téléviseurs, des vêtements de marques, on mange dans des fast-food, on boit du Coca…les drapeaux Mac Do et les enseignes KFC s’installent dans le paysage…

La publicité s’invente, c’est l’époque des Mad men et des pubs sans retenue pour les cigarettes, l’alcool, la bouffe et la voiture…

C’est les années Kennedy.

John Fitzgerald vient d’être élu.

Tout va bien au pays libre des hamburgers.

Et pourtant…

Une bien curieuse contestation est en marche.

L’avenir de John est tracé.

Après le lycée, il ira à l’université pendant 3 ans.

Et il travaillera ensuite dans une grande entreprise américaine. Il épousera une Américaine, blanche comme lui. Il achètera une maison avec la pelouse, le drapeau devant et deux voitures dans le garage, il ira à l’église le dimanche, c’est comme ça…et c’est très bien comme ça d’ailleurs.

Pourquoi changer ?

Le grain de sable dans la vie toute tracée de John, c’est un livre.

Ça s’appelle On The Road, Sur la Route, écrit par un dénommé Jack Kerouac.

Ce livre va bouleverser John et des milliers de jeunes américains.

En lisant « Sur la Route », John réalise qu’il est libre. Que s’il le veut, il peut prendre la route 50 qui passe juste là, dans sa ville, il ira jusqu’à Dutch City et pourra continuer vers l’Ouest, vers la Californie…

Il peut s’élancer dans le grand vide américain, des territoires immenses et somptueux l’attendent…

Il n’a pas de voiture, et alors ? Il montera en clandestin sur des trains de marchandises, ou il fera du stop…

Il peut aller dans toutes les villes, tous les quartiers, dans tous les ports…

Il peut rencontrer des fous et des vagabonds.

Il n’est pas obligé de croire ce que raconte le révérend tous les dimanches au temple.

Il n’est pas obligé de croire en Dieu…

Il peut aimer qui il veut, il n’est pas obligé de se marier…il peut même coucher avec des garçons si ça l’attire.

Il peut prendre des drogues, picoler, s’endormir sous les étoiles…

Vivre sans argent.

Ne pas travailler.

Il peut être libre.

John découvre la beat génération.

Le mot Beat Génération, a été inventé par Kerouac lui-même. C’est du moins ce que raconte la légende.

Kerouac décrivait ainsi la bande qu’il constituait avec d’autres artistes, des écrivains et des poètes comme Allen Ginsberg, Gregory Corso ou William Burroughs…

Le crédo de la beat génération ?

Refuser le mode de vie à l’américaine, refuser la consommation à outrance, l’église, les destins décidés.

Ils fuient le craquant bourgeois et religieux.

Pas de travail, pas de maison, pas de famille, ou alors, une famille qu’on s’invente faite de garçons et de filles comme nous.

Ils regardent du côté du bouddhisme et du chamanisme pour glisser une dose de spirituel dans leur rébellion.

Ils prônent la liberté, le mouvement, l’aventure.

Ils prônent le nomadisme, la vie au jour le jour…

D’où vient le mot d’ailleurs, beat…

C’est à la fois un rythme, un battement, le beat de la musique.

Mais c’est aussi un adjectif qui signifie brisé, vaincu, battu.

Kerouac lui, y voit le mot français, béat…la béatitude, autrement dit le bonheur…

La beat Génération, les beatniks comme on dira aussi, sont des jeunes gens vaincus par la société, mais en mouvement, et heureux de bouger.

Des vagabonds libres.

Les clochards célestes.

Finalement, Kerouac invente le concept du routard qui vit sur la route, détaché de tout, complètement fauché mais heureux…béat…

Il faut imaginer l’explosion d’émotions que l’émergence de ces idées entraîne dans le jeune esprit de John, totalement formaté pour l’American Way of life.

Comment ? La vie peut être différente ?

Cette plénitude qu’offre le modèle américain, ultra matérialiste, conservateur, inamovible et quelque part rassurant, n’est finalement qu’une sorte de prison dorée ?

C’est tout un monde qui s’effondre.

Une éducation qui part en fumée.

Et ce n’est pas tout…

A ce refus d’une vie bourgeoise se greffent d’autres luttes qui émergent ces années-là.

Les droits civiques. Dans l’Amérique des années 60, la discrimination raciale est courante, voir légale dans certains états. On se bat pour que les noirs aient les mêmes droits que les blancs, le droit de vote, le droit à l’éducation, les mariages mixtes… 

La place de la femme aussi est une nouvelle lutte. La femme américaine est alors une brave nunuche cantonnée au rôle de maman, tout juste bonne à cuisiner des pancakes et des tartes aux pommes.

Les femmes doivent se libérer.

Le sexe doit aussi se libérer ! Terminé le couple à vie béni par Dieu jusqu’à ce que la mort nous sépare…on balaye tout ça et on prône l’amour libre, le plaisir…une véritable révolution des mœurs dans une Amérique très puritaine…

Et puis, surtout, il y a la guerre du Vietnam.

Les Américains s’engagent en 65.

Des centaines de milliers de jeunes garçons reçoivent leur feuille de route. Ils doivent partir se battre à l’autre bout du monde. Ils ont en moyenne 19 ans.

Et cette jeunesse conteste la guerre. Elle prône le pacifisme, l’amour…

Nous avons donc les beatniks avec la création d’un mouvement intellectuel libertaire, anarchiste et poétique. Nous avons aussi la lutte pour les droits civiques, la sexualité débridée, la place de la femme et, la contestation de la guerre du Vietnam.

Vous prenez tous ces ingrédients.

Vous remuez.

Vous ajoutez du bouddhisme, de l’hindouisme, de l’écologie, des shamans, une bonne dose de rock et de drogues psychédéliques… 

Vous chauffez un peu et vous obtenez…le mouvement hippie !

John suit le mouvement.

Il quitte un beau matin Hutchinson, il monte dans un bus et trois jours plus tard, il débarque à San Francisco. En Californie.

C’est là que ça se passe.

C’est là que la jeunesse américaine lance cette bien curieuse révolution qui n’en est pas une.

Pas de violence, pas d’injonction, pas d’idéologie ni de leader…les maîtres à penser sont écrivains, poètes, musiciens…

C’est plus un refus qu’une révolte.

On délaisse le monde des géniteurs, on refuse purement et simplement tout ce que l’on nous a enseigné.

Le travail, la famille, la réussite sociale, l’argent, la propriété…

D’ailleurs, on les taxera facilement de marxistes, de communistes, ultime pêché dans l’Amérique conservatrice d’alors.…

Les hippies transforment le centre de San Francisco et le campus de l’université de Berkeley, en une sorte d’immense foire, une fête bordélique et obscène, on danse, on boit, on se drogue, on fait l’amour…

On squatte des maisons, des terrains, on monte des cantines communautaires, on se regroupe autour de feux de camp, on fait des farandoles toute la nuit, …

On crée de nouveaux modes de vie, en tribus, hommes, femmes, enfants, mélangés…

Le mouvement s’étend.

Il gagne toute la Californie.

Il voyage vers la côte Est, arrive à New York et à Washington où les hippies organisent d’immenses manifestations devant la Maison Blanche pour exiger la fin de la guerre du Vietnam.

Il traverse l’Atlantique. Débarque en Europe.

En France, en Allemagne, en Angleterre, on porte des fleurs dans les cheveux et on prône l’amour…

Mais l’histoire rattrape John.

Alors qu’il profite pleinement de la vie de bohème, des filles, du rock’n roll et du LSD, il reçoit sa convocation de l’armée américaine.

Ça y est. C’est son tour. Il doit rejoindre une caserne, il suivra un entraînement et ensuite il partira un an, au Vietnam, pour faire la guerre.

John ne veut pas. Il brûle son ordre de route et comme tant d’autres, par une nuit sans lune, il passe clandestinement la frontière avec le Canada.

Là-bas, s’est créé tout un réseau de pacifistes qui accueille les déserteurs.

Certains restent au Canada, d’autres partent.

Plus loin.

Ce sera le grand voyage des hippies à travers le monde, jusqu’à Goa en Inde.

Où ils mourront sous les étoiles.

Et John va entreprendre le grand voyage.

John débarque en Europe à l’aube des années 70.

Il traverse la France, il va dans les Cévennes et sur le plateau du Larzac où les hippies créent des communautés qui tentent l’autosuffisance.

Il poursuit en Espagne, il fait un saut sur l‘île d’Ibiza où là aussi les premières communautés hippies cohabitent avec les paysans locaux.

John poursuit.

Il passe Gibraltar, traverse la Méditerranée et se rend au Maroc, à Tanger. Il découvre le monde arabe, l’exotisme et cette ville mythique qui grouille de trafiquants, d’artistes, de truands et de prostituées. Il s’enivre des plaisirs du kif, le cannabis local qui se consomme dans des petites pipes en terre.

John poursuit son voyage vers l’Est. Vers l’Orient.

Il arrive au Liban, à Beyrouth.

Une ville cool à l’époque. Moderne, ouverte sur le monde, on la surnomme la Suisse du Proche Orient. C’est bien le problème, Beyrouth est trop chère pour les hippies qui reprennent la route jusqu’à Istanbul.

Là ils se posent.

Ils investissent les petits hôtels, les cafés, les rues…

Ils sont au carrefour de l’Orient et de l’Occident, à la frontière entre l’Asie et l’Europe.

Il y a ceux qui arrivent et ceux qui partent, dans des bus colorés qui traversent le monde sur des routes chaotiques et incertaines.

On parle du Hippie Trail, la route des hippies, dans les Magic bus…

John reste quelques mois à Istanbul, il trafique un peu, vend du haschich et de l’héroïne aux nouveaux arrivants, il travaille aussi pour les hôtels à qui il ramènent les clients qu’il va chercher le matin à la gare routière. Il est cuisinier, serveur, guide, chauffeur…

Il amasse un petit pécule et reprend la route. Il traverse l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan. 

Mais l’Islam cohabite mal avec le mouvement hippie, libertaire, égalitaire, halluciné, pacifiste, immature et sexuel.

Alors John continue et il arrive…au Népal.

Là c’est différent. Le bouddhisme et l’hindouisme, les temples, la méditation, la paix et l’amour… 

John se sent bien.

Avec les autres, il pose son sac à Katmandou où il restera encore un an, avant de repartir.

Il descend de l’Himalaya jusqu’en Inde, il se perd dans cet univers bizarre fait de multiples Dieux, de vaches sacrées, de bûchers funéraires, de palais décrépis, de gourous et de sâdhus peinturlurés…

L’Inde est une sorte de livre d’aventure, un moyen âge oriental mais avec des voitures, des trains et des téléphones…

John adore l’Inde.

Il est fasciné. C’est sans doute l’endroit au monde où il se sent le plus loin de ses racines américaines. Rien n’est semblable. La vie, la mort, l’amour, la religion, rien ne ressemble à ce qu’il connaît.

Il sillonne le pays et finalement…il arrive dans le sud, sur la côte Ouest de l’Inde… à Goa.

C’est une révélation !

C’est là !

C’est LE but du grand voyage !

Imaginez…des villages de pêcheurs, des petites maisons colorées, perdus dans des forêts de palmiers…on circule sur des chemins de terre rouge…des rizières couvertes de brumes…des rivières d’eau douce qui s’écoulent jusque sur les plages immenses où grondent régulièrement les lourdes vagues de la mer d’Oman.

On peut tenir des années ici avec du riz, des fruits et des poissons.

Dans ce décor idyllique, on allait vivre comme des Brothers et des Sisters, main dans la main, les yeux dans les étoiles, les pieds dans l’eau et plein d’amour partout !

Au début, ils n’étaient que quelques centaines.

Ils dansaient sur la plage, autour de grands feux, ils jouaient de la musique, fumaient du haschich, mangeaient pour quelques roupies et dormaient là, sur le sable.

Les Indiens les regardaient avec curiosité et bienveillance. Ils étaient beaux et touchants ces jeunes blancs, nus, avec leurs cheveux dorés…

Mais ça n’a pas duré.

L’information a circulé : on a trouvé le Paradis ! On a découvert le pays des Hippies, c’est ici, en Inde, à Goa !

Et l’information est remontée jusqu’au Népal d’où elle est partie à Londres, Paris, Berlin, New York, San Francisco…Et ils sont venus. De partout. Tous les routards du monde ont visé Goa ! Des milliers, des dizaines de milliers qui ont colonisé l’Eden !

Trop de monde.

Trop de drogues.

Les nouveaux arrivants ont apporté l’héroïne et les acides. La société idéale, l’utopie hippie, s’est transformée en partouze junkie.

Détruits par la came, les hippies fleuris des premiers jours se sont transformés en squelettes malades et pauvres. Et les Indiens, qui pourtant en connaissent un rayon sur la misère, en ont eu assez de voir ces clochards de moins en moins célestes crever sur leurs plages.

Ils ont fait le ménage.

La police indienne a ratissé Goa.

On a fait la chasse aux hippies, on leur a rendu la vie impossible et…ils sont partis.

Une dizaine d’années plus tard, au début des années 80, c’était fini.

Aujourd’hui, dans les années 2020, Goa est une station balnéaire.

Des millions de touristes ont remplacé les hippies. Ils viennent revivre le mythe. La techno a remplacé les Doors, les Full Moon parties ont lieu tous les soirs. Les hôtels ont des looks ethniques, des bars en bambous donnent sur la plage, on arbore un look flower power, avec des tee shirts psychédéliques, des jupes colorées, des pantalons évasés et des chemises fleuries.

On joue à être un hippie.

Comme partout.

C’est fini aussi en Turquie, au Maroc, à Ibiza, dans le Larzac et même à San Francisco où les apôtres de la contre-culture sont devenus les businessmen du numérique mondial.

John est toujours à Goa.

Aux dernières nouvelles, il est vivant. Il a 75 ans.

Vous pourrez le croiser sur le flea market de la plage d’Ajuna les mercredi et vendredi. Il vend des bracelets, des breloques et raconte ses histoires aux touristes.

Les autorités indiennes l’autorisent à rester.

Ils sont quelques dizaines comme lui.

Une sorte de réserve.

Une attraction touristique annoncée dans les guides de voyage.

Ils sont là.

Les derniers hippies.

Comme une preuve que tout cela, est bel et bien arrivé.

Texte & Voix : Eric Lange

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