fbpx

NAPOLÉON ET LES FEMMES

NAPOLÉON ET LES FEMMES

L’empereur les voulait à la maison, soumises et silencieuses. Son code civil, le fameux code Napoléon, les privera des quelques droits qu’elles avaient enfin acquis…

Texte : Claudia Valencia Voix : Françoise Cadol

Un soir d’octobre 1795 à Paris. Voilà un an que la Terreur s’est achevée. La guillotine, les exécutions arbitraires, … de vilains souvenirs que la bonne société exorcise à grands renforts de fêtes fastueuses. 

Ce soir Madame de T fait réception, tout le beau monde y est convié.     

Le clavecin résonne sous les candélabres, des beautés vêtues à l’antique conversent avec des messieurs engoncés dans d’énormes cravates. 

Un homme lance des regards effarés sur cette foule bigarrée. 

C’est un militaire. Il triture nerveusement la poignée de son sabre d’apparat. 

Il rumine de sombres pensées. Tous ces falbalas ce n’est pas sa tasse de thé… Mais depuis qu’il a été promu, plus question de se cantonner au champ de bataille ! Son objectif ? Se trouver une maîtresse, le meilleur moyen pour accéder aux hautes sphères ! 

Ses yeux glissent sur les étoffes de gaze, s’attardent sur de profonds décolletés. Une élégante capte son attention.

 « Pas de la première fraîcheur mais un tas de gandins lui tourne autour, le prestige avant tout ! » 

Il s’avance vers le groupe. Elle parle avec vivacité, expose ses réflexions quant à l’avenir du pays, disserte sur la récente insurrection royaliste… 

Le militaire blêmit.  La dame lui demande s’il va bien. Il répond : « Madame, je n’aime pas que les femmes se mêlent de politique. »  Elle réprime un petit rire et répond : « Vous avez raison Général, mais dans un pays ou on leur coupe la tête, il est naturel qu’elles aient envie de savoir pourquoi. »

Le militaire c’est Napoléon Bonaparte. Quant à la dame, il s’agit de Germaine de Staël, une des personnalités littéraires les plus en vue de son temps. C’est elle qui a rapporté l’échange. 

Ce n’est pas une révélation : Napoléon Bonaparte n’a jamais tenu les femmes en grande estime.

Il a d’ailleurs laissé à la postérité un florilège de citations comme celle-ci : « Les femmes ne sont que des machines à enfants ».

Ou encore : « On devrait reléguer les femmes dans leurs ménages ».

Encore une : « La femme est la propriété de l’homme comme l’arbre à fruits est celle du jardinier ».

Vous me répondrez qu’il s’agissait d’une opinion largement répandue pour l’époque :  taxer Napoléon de misogynie serait un anachronisme. Presque … mais pas tout à fait. En plus de s’exprimer, Bonaparte a agi. Et pas qu’un peu.  En créant son fameux code civil, il a dégradé la situation juridique des femmes : les quelques droits acquis sous la Révolution française ont été réduits à peau de chagrin.  

Encore une citation de l’illustre général ? 

« Les femmes sont faites pour l’intimité de la famille et pour vivre dans l’intérieur ». 

C’est vite dit. Car le paradoxe de cette histoire, c’est que, si Bonaparte est devenu Napoléon, ce n’est pas seulement grâce à son génie militaire : des femmes l’ont aidé et, on s’en doute, elles ne l’ont pas fait en tricotant sagement au coin du feu.

La première, celle à laquelle il doit son caractère et sa détermination, c’est sa mère, La Mama, Laetitia. 

Bien qu’issue de la noblesse corse, elle ne s’est pas payé le luxe de rester dans ses appartements. Elle n’a que 13 ans lorsqu’elle se marie au père du futur Napoléon.

1769. la république de Gênes a vendu la Corse à la couronne française, une partie de la noblesse locale refuse le traité, le pays s’enfonce dans la guerre civile. 

Âgée de 19 ans, Laetitia décide de suivre son époux : elle prend le maquis avec lui. 

Le périple est difficile, elle approche au terme d’une énième grossesse, et l’enfant peut naître d’un moment l’autre. 

A plusieurs reprises, pour se donner du courage, elle répète à voix haute : il sera le vengeur de la corse ! 

L’accouchement se produit le jour où elle revient chez elle. Elle n’a pas le temps d’atteindre son lit, elle est obligée de mettre au monde son enfant sur le tapis du salon. 

Le nouveau-né, vous l’aurez deviné, n’est autre que Napoléon.

Laetitia a trente-cinq ans lorsque son mari succombe à la maladie. Elle est propulsée au rang de chef de famille. Huit enfants ! Pas une mince affaire pour gérer tout ce petit monde Surtout qu’elle est à court d’argent… Mais malgré les difficultés elle réussit à maintenir sa tribu hors de l’eau. Têtue, prévoyante, courageuse… À coup sûr Napoléon a hérité des qualités maternelles.  Il qualifie sa chère maman de cette façon : « Une tête d’homme sur un corps de femme. » Un compliment dans sa bouche. 

1795. Le jeune général Bonaparte récolte victoire sur victoire. Mais pour monter en grade il ne suffit pas de ferrailler sur les champs de bataille, le jeune homme se met en tête de conquérir la capitale. 

Nous sommes en plein Directoire : une période intermédiaire entre la révolution et l’empire. Après les avanies de la Terreur, les dames de la bonne société font de nouveau salon. L’avenir du pays ne se détermine plus seulement sur les bancs de l’assemblée. Réceptions, bals, soupers… C’est surtout ici que se nouent et se dénouent les alliances politiques. Sous couvert de mondanité, ces belles jouent un rôle déterminant. 

La révolution ne leur a pas accordé le droit de vote mais elles peuvent au moins se marier avec l’homme de leur choix. Et si la flamme s’éteint ? On divorce en un tour de main. Du jamais vu ! A la liberté des mœurs s’ajoute la liberté des corps. Aux orties les robes encombrantes, fini les corsets et les perruques ! On s’habille à la grecque, des robes si légères qu’on peut y voir au travers. La chevelure est à peine attachée, un mince ruban suffit. Les plus intrépides n’hésitent pas à couper leurs boucles aussi court que possible ! 

Napoléon est tout aussi fasciné qu’il est rebuté par cet univers qui est un savant mélange de politique et de frivolité. Il comprend vite : pour s’y faire une place, il doit passer par les femmes. Ne les surnomme-t-on pas les reines du Directoire ?  Thérèse Tallien, Juliette Récamier, Germaine de Staël… Et parmi elles une certaine Joséphine de Beauharnais. 

Elle a six ans de plus que lui, elle n’est pas spécialement belle mais elle a quelque chose de piquant. Sans doute parce qu’elle vient des îles : une créole qui se languit sous les palmiers, ça a quelque chose d’exotique ! Ne nous fions pas à son allure frivole, Joséphine revient de loin. Son mari est passé sous la guillotine pendant la Terreur. Elle-même a croupi en prison avec ses deux enfants en attendant l’heure fatale. Elle a vu la mort de près, c’est une rescapée.  

Le général est pris d’un coup de foudre en la voyant. Ni une ni deux, ils deviennent amants. 

Contre toute attente, l’amourette se change en passion : le jeune homme veut faire de Joséphine sa femme. Elle hésite…Elle a de nombreux amants et Bonaparte ne sera ni le premier ni le dernier… Il n’a pas un sou en poche, pas de chance, elle croule sous les dettes ! Oui, mais cette demande en mariage relève du miracle, elle qui a déjà trente-six ans ! Est-elle amoureuse de lui ? Pas sûr… Mais il semble si sincère, si épris !

Napoléon est l’homme du moment, son nom revient sur toutes les bouches, un concert de louanges : il ira loin… Joséphine ne peut se résoudre à rester veuve toute sa vie, il lui faut un protecteur. Elle accepte. 

Joséphine de Beauharnais a de l’expérience, elle connaît les usages du monde. Bonaparte, ne pouvait rêver meilleure guide : la belle créole l’introduit dans un univers qui jusque-là lui demeurait inaccessible. Le petit général s’achemine vers son destin : aux côtés de sa dulcinée, il s’apprête à devenir Napoléon.

15 jours après ses noces, Bonaparte part guerroyer en Italie. 15 jours plus tard, Joséphine le trompe. On a beaucoup gaussé sur les infidélités de la belle créole, c’est oublier que son mari lui a rendu la pareille au centuple.  

Joséphine se paye du bon temps avec de charmants officiers mais elle n’en néglige pas pour autant les intérêts de son époux. Tandis que monsieur bataille, madame cultive ses réseaux. Elle reçoit le président du directoire, dîne en compagnie du chef de la police, correspond avec le Secrétaire général du ministère de la guerre, a de longs entretiens avec monsieur de Talleyrand… 

1799. Bonaparte revient en France, il nourrit un grand projet… L’ambitieux met sa femme dans la confidence. C’est chez elle à l’hôtel de Beauharnais qu’il échafaude son plan. Il peut compter sur son épouse : durant son absence, Joséphine lui a préparé le terrain. 

La suite on la connaît. C’est le coup d’Etat du 18 brumaire 1799. Napoléon escorté de ses soldats fait irruption à l’assemblée.  

Fini le Directoire ! 

La révolution est définitivement enterrée, place au consulat et bientôt à l’empire !

Lorsqu’on pense au sacre de Napoléon, une image vient en tête : la célèbre toile de David. L’’empereur s’apprête à couronner Joséphine, des dames de cour retiennent le lourd manteau d’hermine de l’impératrice. Dans l’ombre, Laetitia jette un regard ému sur son fils. Pure propagande : La mama n’était pas présente le jour de la cérémonie, elle et son fiston étaient en froid à l’époque. 

Quant à Joséphine, elle est dépeinte agenouillée, mains jointes, tête baissée… L’audacieuse qui faisait tourner les têtes sous le Directoire n’existe plus, le tableau nous représente une matrone soumise à l’autorité de son mari. 

Et cette image d’une femme à genoux, représente l’idéal qui va s’imposer au reste du pays.

Bientôt toutes les Françaises seront obligées de se prosterner au pied de leur époux… 

Institué en 1804, le Code civil, le code Napoléon, érige le pater familias en souverain absolu. 

C’est le paternalisme inscrit dans la loi.

L’épouse doit obéissance à son mari et lui seul a autorité sur les enfants.  En dehors de l’approbation de l’époux, rien n’est permis. 

Madame veut porter une action en justice ? Il lui faut l’accord de monsieur. Son argent ? C’est monsieur qui le gère. Et si la dame n’est pas mariée ? Dans ce cas, l’autorité incombe au père. Et s’il n’y pas de père, on cherchera un oncle, un frère… Vous l’avez compris sans la tutelle d’un homme, les femmes n’ont aucune existence juridique.

Le Code maintient le divorce en place mais la procédure devient un véritable chemin de croix…pour les femmes bien sûr. Un exemple :  madame demande le divorce pour cause d’adultère. Possible… mais pour cela Monsieur et sa maîtresse doivent être pris sur le fait devant témoins au sein du seul domicile conjugal. 

Imaginons le cas inverse : cette fois c’est monsieur qui souhaite le divorce pour adultère. Il n’est pas dans l’obligation de surprendre les amants fautifs au sein du foyer, n’importe quel autre endroit est envisageable. D’ailleurs, pas besoin de découvrir Madame et son soupirant, les quatre fers en l’air. Quelques lettres enflammées suffisent à les incriminer. 

Le mari a tous les droits : il peut faire jeter les amants en prison et si sur le coup de l’émotion il tue les deux tourtereaux enlacés, on lui reconnaîtra des circonstances atténuantes … En revanche, ne vous attendez pas à trouver la même mansuétude pour l’épouse trompée.

Pas de pension versée aux veuves de guerre, non reconnaissance du crime d’inceste, fichage systématique des prostituées… Sous prétexte de ramener l’ordre, la législation s’abat comme une chape de plomb sur les Françaises. Le despotisme de Napoléon s’exerce au sein des foyers et s’étend à la sphère publique : Toute forme de contestation est réprimée.

Quelques voix s’élèvent, Germaine de Staël fait partie des plus virulentes… Germaine de qui ? Souvenez-vous, la dame qui a lancé une réplique bien sentie au jeune Bonaparte sur les femmes et la politique. 

Femme de lettres, philosophe, fille de de ministre, Germaine de Staël fréquente les hautes sphères depuis son plus jeune âge. Après le coup d’État de Napoléon, elle est l’une des rares à lui tenir tête : Elle préside un salon où l’on critique ouvertement le grand homme ! Ambitieuse, spirituelle, usant de ses amants pour distiller ses idées politiques …. Elle symbolise tout ce que Napoléon déteste. 

Pour lui, elle est une réminiscence de l’Ancien Régime : lorsque les rois laissaient leurs maîtresses fourrer leur nez dans les affaires de l’État. Hors de question que cette intrigante en fasse de même ! L’empereur contraint Germaine De Staël à l’exil et ses romans sont interdits sur le territoire français.  

De Staël surmonte les obstacles, elle parvient à se faire publier et ses livres remportent un franc succès. L’écrivaine y pourfend le despotisme et vante les mérites d’une Europe fédérale… Tout l’opposé de l’idéologie impériale. 

Napoléon n’est pas bon joueur : Il dénigre la romancière et la fait passer pour une amoureuse éconduite : Elle l’aurait poursuivi de ses assiduités du temps où il était général, et maintenant elle se venge ! 

Comme tout bon souverain qui se respecte Napoléon collectionne les maîtresses. Chanteuses, comédiennes, femmes de ministres… leurs charmes sont d’ordre secondaire, elles servent surtout à prouver sa virilité. 

Pas de salamalecs : Il ordonne, elle dispose. L’empereur se passe de bonnes manières. Selon lui la courtoisie et l’élégance sont des concepts galvaudés. A trop faire des révérences devant ses dames, la noblesse européenne aurait dégénéré et les aristocrates se seraient changés mauviettes efféminées.  Alors que Napoléon est un homme, un vrai !

1810.  Un an que Napoléon a divorcé de Joséphine. Pourquoi ? Elle n’a pas pu lui donner d’héritier. Une obsession pour Napoléon : il lui faut un fils, sans cela il ne pourra jamais asseoir sa dynastie !  L’empereur ordonne, l’Europe dispose. Il lorgne sur la fille de François premier de Habsbourg, la jeune Marie Louise.

La lignée des Habsbourg remonte à la nuit des temps, l’une des plus vieilles d’Europe. Seulement voilà, l’empereur des Français, a laminé leur empire. François premier n’a pas le choix, il doit lui accorder la main de sa fille. 

Marie Louise est âgée de 19 ans, c’est une toute jeune fille. Depuis qu’elle est enfant, on lui parle de Napoléon : « Un ogre, le diable, l’antéchrist ! Et ses terribles français qui coupent la tête de leurs rois… »

 Marie Louise est autrichienne, elle n’ignore rien du destin tragique de celle qui l’a précédée, sa grande tante Marie Antoinette. Dix-sept ans plus tôt , la reine périssait sur la guillotine… Va-t-elle subir un sort similaire ?

Lorsque la nouvelle impératrice pose son pied en France, la cour impériale ricane. On qualifie la jeune femme de ventre, une génisse portée en sacrifice au Minotaure…Mais passé les quolibets, il faut se rendre à l’évidence : elle fait le job. Distinguée, pas trop dépensière, visiblement éprise de son impérial époux… 

En 1811 la jeune souveraine met au monde un garçon ! Le prince tant attendu est salué par une volée de coups de canons. Les dernières lueurs avant la chute…

Un an plus tard, l’empereur part conquérir la Russie. L’hiver glacial met un terme à ses ambitions impérialistes, la grande armée est décimée.

1814. Le début de la fin.  Napoléon est contraint d’abdiquer. Marie Louise et son enfant sont récupérés in extrémis par l’Autriche. Plus tard on accusera l’impératrice d’ingratitude, c’est omettre qu’elle n’a jamais été qu’un pion sur l’échiquier diplomatique. 

1815. Napoléon a tout perdu. Avant de s’exiler à Sainte Hélène, il se rend au château de Malmaison. C’est ici, après son divorce que Joséphine s’est réfugiée. 

Lorsque l’empereur déchu gravit les marches du perron, il ne constate qu’une chose : l’absence de sa bien-aimée. La belle créole est morte de pneumonie l’année précédente, elle avait 51 ans. Napoléon l’admet enfin : Joséphine a été l’amour de sa vie.

L’empire est mort, vive l’empire ! L’arsenal administratif laissé par Napoléon va durablement peser sur les institutions françaises. Le code civil est à ce titre brandi comme son leg le plus fondamental. 

Sous son égide, une nouvelle ère débute :  un dix-neuvième siècle ou le père de famille familias règne en maitre incontesté et ou la femme est astreinte au statut d’éternelle mineure. La règle ne s’appliquera pas seulement à la France mais à l’Europe tout entière.  

Il faudra attendre le siècle suivant pour que les choses prennent un nouveau tournant.  Progressivement le code s’affranchira de ses articles les plus inégalitaires mais la bataille sera longue… 

1965 l’Assemblée nationale donne aux épouses le droit d’ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de leurs maris.

2013.  Le parlement abroge une loi vieille de plus de deux cents ans : l’interdiction du pantalon pour les femmes ! Et oui ! Si l’ordonnance n’était plus appliquée par qui que soi, elle restait encore inscrite dans les petits papiers de l’Etat Français !

Encore plus de Podcast à écouter ici sur PODCAST STORY