MEURTRE AU PARACHUTE, PAR JACQUES PRADEL !
Ces véritables pépites criminelles ne sont pas à vendre… Elles sont à partager, comme l’histoire que je vais vous raconter aujourd’hui !
Ce n’est pas une légende, un jour, un homme a réellement vendu la tour Eiffel…
Texte : Bertrand Bichaud Voix : François Berland
Printemps 1925. Paris.
Sur l’avenue des Champs Élysées, deux hommes, élégamment vêtus, s’installent en terrasse d’un café huppé.
Victor et Dan sont amis. Amis et partenaires. Ils font ce qu’ils appellent des « affaires » ensemble. Et dans leur domaine, il faut reconnaître que ce sont des experts. Leur spécialité ? Les escroqueries en tous genres.
Mais aujourd’hui, ils sont presque à sec… Ils vont devoir trouver une nouvelle arnaque.
Alors qu’ils dégustent leurs cafés, soudain un large sourire illumine le visage de Victor
Il a trouvé !
L’idée vient de s’imposer à lui en repensant à un article lu le matin même. Le journal expliquait que la Ville de Paris réfléchissait à l’avenir de la tour Eiffel.
Il serait même question de la démonter.
Créée pour l’exposition universelle de 1889, elle devait être démantelée 20 ans plus tard.
Aujourd’hui, 36 ans après, elle rouille.
Et les coûts de sa maintenance sont énormes.
Le journaliste termine son papier par cette question « Devra-t-on vendre la tour Eiffel » ?
Victor regarde Dan et lui fait part de sa décision. Il va mettre en vente la tour Eiffel. Il vient d’imaginer la plus grande escroquerie du 20ème siècle.
Lire la suiteVictor, c’est Victor Lustig.
Né en 1890, il est originaire de la haute bourgeoisie d’Autriche-Hongrie. Son père, grand industriel, rêve de le voir devenir avocat.
Son destin l’amène finalement à passer de l’autre côté de la loi.
Pas avocat, truand !
Enfant, il est considéré comme vif, intelligent, malicieux…
Adolescent, il parle couramment 5 langues dont le français. Ses professeurs lui promettent un grand avenir. Il apprend vite et comprend tout. Tous ses proches s’accordent sur le fait que Victor est un jeune homme talentueux dans bien des domaines.
Pour couronner le tout, il est doté d’un redoutable charme. Son charisme en fait une personne que l’on remarque, que l’on admire, qui inspire la sympathie, et la confiance.
Dès qu’il le peut, il abandonne les études. Il n’est pas fait pour ça. Il s’ennuie.
Même constat pour le monde du travail.
Ce que désire Victor, c’est s’amuser, jouer et gagner.
Il se met au billard, il y excelle si bien qu’il devient l’un des meilleurs joueurs d’Europe.
À cette époque, il enchaîne les conquêtes féminines. Joignant l’agréable à l’utile, il invite certaines de ses maîtresses à vendre leur charme pour son compte.
Mais, cette activité de proxénète montre vite ses limites. Il gagne peu d’argent et s’ennuie à attendre passivement ses revenus.
Plus que l’appât du gain, ce qu’il aime avant tout, c’est imaginer, créer de toutes pièces des arnaques, et leur donner vie.
Il se lance alors dans une carrière de joueur de cartes. Avec une prédilection pour le poker. Et s’il remporte régulièrement de coquettes sommes lors de ses parties, ce n’est pas à sa chance qu’il les doit.
Au-delà de ses talents pour tricher sans se faire prendre, Victor a un incroyable flair pour trouver les proies idéales.
Dans un premier temps, après avoir fait connaissance, il fait en sorte que ce soit elles qui insistent pour jouer avec lui. Puis, il s’arrange pour perdre plusieurs parties d’affilée, avant de prendre la main pour ne plus la lâcher, jusqu’à avoir remporté toutes les mises.
Son terrain de jeu favori ? Les énormes bateaux faisant la liaison transatlantique. C’est au sein des cercles de jeux de ces navires luxueux qu’il prend ses habitudes. Un lieu idéal pour trouver de fortunés hommes d’affaires venus s’encanailler. Des aristocrates prêts à payer cher pour quelques instants de frisson.
Mais le début de la première guerre mondiale sonne la fin de la partie, ces traversées touristiques deviennent trop dangereuses, elles sont suspendues pour toute la durée du conflit.
Victor part aux États-Unis. Là-bas, il met en place de nouvelles arnaques. Les plus rentables impliquent des banques. Il y effectue d’importants emprunts, qu’il se passe bien entendu de rembourser. L’utilisation d’une de ses 24 fausses identités lui permet de ne jamais se faire attraper.
Ayant un penchant pour l’univers des sports hippiques, il organise aussi de fausses courses de chevaux.
Il prend des paris et…disparaît avec les mises…
En 1925, il décide de s’installer en France.
Victor se fait désormais appeler Mr le Comte Lustig. Grand amateur de femmes, sentimental à ses heures, il lui arrive de tomber amoureux. Un soir, pour impressionner et conquérir une dame récemment rencontrée, il arrive dans un jardin, déguisé en maharaja, juché sur un éléphant. Il en descend et dit à la dame :
« Je vous offre cet animal, symbole de l’amour que je vous porte ».
C’est à cette époque qu’il rencontre Dan, Dan Collins, qui devient rapidement son ami.
Il le présente à ses futures proies comme son secrétaire particulier.
Avec à son CV, 36 arrestations et 5 condamnations, Dan surnommé « Le dandy » a du métier. Ce qui inspire à Victor autant de sympathie que de respect.
Les deux compères profitent de la ville lumière et de tous ses excès. Ils sortent la nuit, font la fête, et dépensent leur argent sans compter.
Jusqu’à ce beau jour de printemps, où assis à une terrasse des Champs Élysées, Victor fait part à Dan de sa nouvelle brillante idée : Vendre la Tour Eiffel.
Dès le lendemain, il envoie un courrier aux cinq plus grands industriels spécialisés dans la récupération de métaux ferreux en France.
Les lettres sont signées par la société d’exploitation de la tour Eiffel.
Ce sont des faux, bien sûr.
Il convie chaque destinataire à une réunion de la plus haute importance. Pour plus de discrétion se tient dans une suite du prestigieux hôtel Crillon, place de la concorde.
C’est ainsi que le 12 avril 1925 à 14 h, Victor reçoit les cinq hommes d’affaire. Il se présente sous un faux nom, en tant que haut fonctionnaire de l’État.
Il est, dit-il, mandaté par le premier ministre et le président de la République Gaston Doumergue pour leur faire une offre qui, compte tenu de son importance, doit rester pour le moment secrète.
Victor explique les coûts exorbitants que représente la maintenance de la Tour Eiffel.
Le chef de l’État a donc pris la décision de la démanteler pour la vendre.
En tout : 7 300 tonnes de ferrailles. 15.000 poutres et 2 millions et demi de rivets.
Victor leur demande la plus grande discrétion, et les invite à réfléchir, si cela les intéresse, à une offre d’achat.
Les cinq hommes, d’abord surpris, se montrent rapidement enthousiastes.
Tout particulièrement l’un d’entre eux.
Victor sait instantanément qu’il tient là sa prochaine victime. L’homme, un provincial, est peu sûr de lui, mais apparaît excité à l’idée de réaliser une telle affaire. Il rougit souvent, bafouille quand il prend la parole. Victor en est certain, il vient de ferrer sa future proie.
L’homme qui est en train de mordre à l’hameçon, ça ne s’invente pas, s’appelle Mr Poisson, André Poisson.
Victor emmène les cinq industriels visiter la tour Eiffel. Muni d’une fausse carte du ministère des PTT, fabriquée le matin même, il impressionne le gardien, qui leur propose sur le champ une visite en bonne et due forme.
Enfin, pour conclure cette rencontre, Victor les informe qu’ils ont une semaine pour réfléchir. Le Président choisira l’acheteur le dimanche suivant.
Dans les jours qui suivent, comme prévu, Victor reçoit des propositions. Et l’une émane de sa proie.
Mr Poisson l’informe qu’il est fort intéressé, mais qu’il va devoir hypothéquer sa maison.
Il propose un montant de 100 000 francs.
Victor l’invite à dîner avec sa femme.
Bien que l’épouse d’André Poisson soit assez suspicieuse, Victor l’amadoue.
Une fois de plus, son talent fait ses preuves.
Le lendemain, Victor voit Poisson en tête à tête, il lui explique que son offre a été présentée au président, mais qu’il hésite avec une autre.
Il souligne qu’une commission en liquide serait bienvenue.
Une enveloppe discrète mais bien garnie qui pourrait faire la différence.
Cette manigance rassure paradoxalement l’acheteur, qui a entendu parler de ces pratiques chez les hauts fonctionnaires.
Poisson hoche la tête en rougissant, et lui dit que, bien entendu, il comprend la demande.
Le soir même, Victor informe Poisson qu’il a été choisi par le président de la République.
Pour finaliser la vente, il lui demande de préparer un chèque certifié, qui ne doit pas préciser le nom du bénéficiaire. Ceci afin de pouvoir conserver le plus longtemps possible la discrétion nécessaire à la bonne réalisation de la transaction.
Victor n’aura donc plus qu’à remplir au dernier moment le chèque de son véritable nom pour pouvoir l’encaisser.
Quelques jours plus tard, il reçoit en mains propres le chèque de Poisson, à qui il remet en échange un faux contrat. L’affaire est conclue.
Après avoir vendu un temps les charmes de ses conquêtes féminines, Victor vient cette fois de vendre La Dame de fer, tout entière.
Par précaution, dès le lendemain matin, Victor et son associé quittent Paris pour se rendre à Vienne. Dans les jours suivants, alors qu’ils cherchent dans le journal des informations sur leur arnaque, ils ne trouvent rien.
André Poisson, lorsqu’il s’est rendu compte de l’arnaque, a préféré garder le silence plutôt que de se retrouver la risée de toute la ville, voire de tout le pays. Car si le ridicule ne tue pas, il peut gravement blesser l’amour propre…
Il n’en faut pas plus pour convaincre Victor de retourner à Paris.
Et voilà nos deux compères de retour dans leur suite de l’hôtel Crillon à recevoir quelques nouveaux industriels.
Mais cette fois, les choses ne se déroulent pas aussi facilement. Une fois sa proie trouvée, Victor découvre que ce dernier a alerté la police, flairant qu’une arnaque se cache derrière cette vente au cadre si peu officiel.
À peine leurs bagages défaits, Victor et Dan fuient Paris. Ils décident d’un commun accord que leur chemin se sépare ici.
Victor part pour la Floride.
C’est là-bas qu’il invente « Le coup du coffret Roumain ».
« Le coffret » est une boîte censée reproduire à l’identique des billets de banque. Le principe est simple, il suffit d’introduire un billet dans une fente placée à l’avant du coffret et d’attendre 12h. Ensuite, en tirant un tiroir à l’arrière de la boite, on découvre ce billet dupliqué à l’identique.
Victor fréquente les lieux les plus huppés de la ville. Il se présente comme un très riche homme d’affaires. À chacune de ses nouvelles rencontres, il parle de ses maisons aux quatre coins de la planète, de ses suites réservées à l’année dans les plus grandes capitales d’Europe.
Rapidement, il repère sa prochaine victime. Il s’agit d’un homme ayant une bonne situation mais travaillant beaucoup.
Il admire l’aisance de Victor, sa facilité à s’intégrer dans le beau monde.
Un soir, alors qu’ils sirotent ensemble une coupe de champagne au bar d’un grand hôtel, l’homme lui demande d’où vient sa fortune. Victor explique qu’il a hérité d’une importante somme d’argent durant son adolescence. Mais qu’il en a dilapidé rapidement la totalité en vivant bien au-dessus de ses moyens.
Puis, d’une voix basse, du ton de la confidence, il lui propose de lui dévoiler un secret. L’homme est intrigué, et fier de la confiance qu’on lui accorde.
Victor lui raconte comment il a acheté à un vieil inventeur Roumain les plans d’une machine extraordinaire. Un coffret qu’il a fabriqué et qui lui permet de dupliquer des billets. Il lui explique qu’il ne s’agit en rien de faux billets, juste de copies de billets réels.
Depuis des années, il vit grâce à cette invention.
L’homme lui demande s’il en existe plusieurs exemplaires, et s’il a gardé les plans de fabrication. Victor lui répond qu’il n’en a qu’une seule, mais qu’il a en effet conservé les plans, et qu’il devrait pouvoir de nouveau en concevoir une si nécessaire.
L’homme lui demande s’il peut voir ce fameux coffret et s’il serait envisageable de lui acheter. Victor l’invite dans sa suite pour une démonstration.
Il prend dans son portefeuille un billet de 1000 dollars et le place dans la fente. Il donne rendez-vous 12 heures plus tard à son futur acheteur.
Une fois seul, il récupère son billet, le glisse dans le tiroir du coffret, puis y met un second, sur lequel il modifie les numéros de série pour qu’ils correspondent à l’original.
Le lendemain lorsque sa future victime le retrouve dans sa suite, il lui suffit d’ouvrir le tiroir pour en faire sortir les deux billets identiques.
L’homme lui fait aussitôt une très bonne offre pour acheter son coffret.
Victor réfléchit un moment puis, lui expliquant qu’ayant conservé les plans, il allait pouvoir se fabriquer une nouvelle machine, il accepte.
Amusé par son propre stratagème, Victor décide de fabriquer réellement une machine à imprimer de faux billets.
Pas des copies, mais des faux.
Victor devient faussaire.
Il vit ainsi des mois durant.
C’est dans l’Oklahoma qu’il finit par se faire arrêter par un shérif, pour trafic de faux billets. Après de longues discussions avec le policier, il arrive à le convaincre de le libérer. En échange, il s’engage à lui offrir son « Coffret Roumain ».
Une fois la machine remise, le shérif détruit les pièces à charge contre Victor et le laisse filer. Mais il se rend compte rapidement de l’arnaque, la machine ne duplique pas, comme promis, les billets de banque.
Le shérif traque Victor pendant des semaines.
Un avis de recherche est lancé.
C’est à Chicago qu’il se fait arrêter. Avec son bagout habituel, il téléphone au shérif à qui il a vendu son coffret et joue l’énervement. Il lui explique qu’il ne sait pas se servir de sa machine, mais qu’elle fonctionne parfaitement. Il lui propose de rentrer en Oklahoma pour lui montrer. Le shérif ordonne de remettre en liberté Victor. Rendez-vous est pris pour la semaine suivante. Bien entendu, Victor n’honorera jamais son engagement.
Rouler un policier, il faut reconnaître que c’est fort. Le rouler à deux reprises, c’est très fort. Mais Victor, juste pour la beauté du geste, s’est fixé un objectif encore plus ambitieux : Arnaquer le plus grand escroc de son époque.
C’est ainsi qu’en 1926, toujours à Chicago, il se rapproche des hommes de mains d’Al Capone pour solliciter une rencontre.
Le gangster accepte de le recevoir.
Dans son fauteuil, un verre à la main, Al Capone lui demande le plus courtoisement du monde ce qu’il peut faire pour lui.
Al Capone sourit, jauge son interlocuteur du regard un court instant. Il se lève, quitte la pièce quelques minutes. Il revient avec une mallette qu’il tend à Victor.
Les deux hommes se quittent en se serrant la main. Victor va aussitôt à la banque déposer l’argent.
Un mois plus tard, jour pour jour, il passe à la banque récupérer les 50 000 dollars et se rend chez Al Capone.
Une fois assis face au célèbre gangster, Victor s’excuse humblement, il explique simplement qu’il est profondément déçu. Il n’a pas pu réaliser son affaire telle qu’il l’avait prévue. Il remercie avec sincérité Al Capone de la confiance qu’il lui a accordé, et lui fait part de sa profonde reconnaissance.
Puis il lui tend la mallette dans laquelle se trouve les 50 000 dollars. Enfin, il s’engage dès qu’il le pourra de nouveau, à lui proposer une nouvelle affaire.
Capone, peu habitué à ce type de discours, est décontenancé par l’apparente sincérité de son interlocuteur.
Il voit en Victor un homme d’honneur.
Capone reprend son argent et lui demande où en est sa situation financière. Victor reconnaît qu’il rencontre alors des difficultés importantes. Capone le regarde un moment puis lui tend une liasse. Un paquet de 5 000 dollars.
Voilà comment, en ne faisant presque rien, en deux entrevues rondement menées, Victor a réussi à manipuler et arnaquer le plus grand mafieux du 20ème siècle.
Se sentant dans son élément, il reste aux États-Unis et continue à faire son coup du coffret Roumain et diverses autres arnaques.
Il est arrêté 47 fois. Il sort libre les 47 fois.
Mais sa 48ème arrestation se solde par une condamnation à une peine de prison de 5 ans.
Il parvient à s’évader, il est repris et termine finalement à Alcatraz avec cette fois, une peine de 20 ans de prison.
Il y retrouve bientôt Al Capone.
Restés en bon termes, ils partagent quelques projets d’avenir qui ne verront jamais le jour. Victor refuse de travailler en prison. Quant à Capone, ironie du sort, après avoir passé sa carrière à blanchir de l’argent, il accepte un petit boulot à la blanchisserie d’Alcatraz.
Mars 1947. Victor meurt d’une pneumonie.
Ainsi s’achève la destinée flamboyante d’un flambeur qui a brûlé sa vie par les deux bouts.
Sur le mur de sa cellule, on retrouve une carte postale. En photo, la tour Eiffel. À droite de la tour, de son élégante écriture, il a écrit ces mots : Vendue 100 000 francs.
Le médecin qui constate son décès, devant préciser la profession du défunt hésite un moment. Faute de mieux, il inscrit sur l’acte de décès : Vendeur.
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