A 14H45, un séisme survient à presque 130 kilomètres des côtes Nord-Est du pays, dans le Pacifique.
Le fond de l’océan est couvert de plaques, les fameuses plaques tectoniques.
Il arrive que ces plaques bougent.
Le vendredi 11 mars, sur plus de 300 kilomètres, la plaque océanique plonge sous la plaque continentale.
La friction provoque un tremblement de terre.
Dont la première conséquence, à la surface, est une petite vague de quelques centimètres…
Dans une école primaire de Sendaï, l’une des grandes métropoles de la côte Nord-Est du pays, Yuki, 36 ans, hoche lentement la tête en direction des élèves.
Aussitôt, les enfants se lèvent en silence et se placent debout à côté de leur pupitre en bois.
Comme toutes les semaines, à la veille du week-end, la jeune maitresse entame le cours de chant.
En cœur, ses petits élèves de 6 ans entonnent la chanson de la fête de fin d’année, celle qu’ils interpréteront devant leurs parents dans quelques jours.
Sur l’horloge qui surplombe la petite salle de classe, le cadran affiche 14h46.
Soudain, le sol ondule et les murs tremblent.
Yuki et les enfants sont habitués.
Situé sur la ceinture de feu du Pacifique, à la jonction de plusieurs plaques tectoniques (*pacifique, eurasienne et Philippines), l’archipel du Japon est une zone sismique et volcanique très active.
La jeune maitresse ne s’inquiète pas, tout cela ne dure en général que quelques secondes.
Et puis ici, ils sont en sécurité : Les bâtiments répondent tous aux normes antisismiques et encaissent les chocs.
Mais les vibrations se transforment en violentes secousses ininterrompues, si puissantes que de larges fissures se dessinent sur toute la surface du plafond et des murs.
Yuki demande calmement aux enfants de se positionner comme on leur a appris, en boule sous leur petite table en bois.
À plus de 300 km de là, le sol de Tokyo, la capitale Japonaise tremble à son tour.
Durant de longues et terrifiantes minutes, les convulsions de la terre secouent les bâtiments et fissurent les routes.
Dans le petit restaurant de la famille Saito, les murs tremblent si fort qu’un morceau de plafond se décroche.
Blottis sous les tables, les clients disparaissent sous un amas de gravats et de poussières.
Dehors, c’est la panique ! Les gens quittent les bâtiments à toute allure en hurlant.
Aïko, le plus jeune des enfants de la famille Saito profite d’une accalmie de quelques secondes pour s’enfuir.
Il saute par-dessus le comptoir, pousse violemment la porte et court au milieu de la rue.
Autour de lui, des édifices tanguent.
Au loin, dans la banlieue, d’immenses nuages fumées noires envahissent le ciel.
Dévastée par la puissance du tremblement de terre, la raffinerie est en feu.
Aiko se retourne brusquement en direction du restaurant. À l’intérieur, toute sa famille…
Mais impossible d’y retourner, les vibrations reprennent et s’intensifient.
Du haut de ses 17 ans, jamais il n’en a senti d’aussi fortes !
Dans la rue, les poteaux électriques chutent, les écrans géants qui animent les façades des gratte-ciels s’éteignent les uns après les autres, des morceaux entiers de bâtiment se fissurent et s’écrasent sur les trottoirs.
Le monde d’Aïko s’écroule. Il doit fuir ! Oui mais où ?! Le danger est partout…
Au même instant, le train de la compagnie East Japan Railway qui rejoint la ville d’Ishinomaki, au nord, toujours, sur la côte est, s’arrête brusquement.
Zoey et William, un couple de Canadiens, s’agrippent aux accoudoirs de leur siège.
Dans le wagon, le silence est total. Pas même un cri. Rien. Les passagers sont tétanisés.
La terre tremble si fort que les rails ondulent comme une vague et leur donne la sensation que le train continue d’avancer.
La sœur de Zoey qui habite Tokyo depuis plusieurs années les avait prévenus : on est au Japon ici, quand ça bouge, ça bouge…c’est impressionnant, mais pas de panique, les bâtiments sont conçus pour résister aux tremblements de terre. On finit même par s’y habituer !
Zoey a beau se répéter en boucle les paroles rassurantes de sa sœur, elle n’est pas très rassurée.
Ces longues minutes de secousses sont trop violentes !
Face à elle, William est terrifié.
À travers la vitre, il regarde disparaître sous d’épaisses fumées noires les immenses gratte-ciels qui oscillent au loin, comme de simples feuilles prises dans le vent.
À une centaine de kilomètres de là en suivant la côte, à la centrale de Fukushima, la coupure d’électricité provoquée par les premières secousses, a marqué l’arrêt immédiat des réacteurs nucléaires 1, 2 et 3.
Dans la salle des commandes, tous les regards sont tournés vers les écrans de contrôles.
Pour le moment, rien d’anormal.
La sécurité est maintenue, aucune défaillance ni de rejets radioactifs ne sont enregistrés.
Il est 14h51.
Après plus de 5 minutes de violentes secousses, la terre s’arrête enfin de trembler.
Ce séisme, d’une magnitude record de 9,1 sur l’échelle de Richter, est le plus puissant jamais enregistré au Japon.
Si puissant qu’il fait même trembler les bâtiments de Pékin, la capitale chinoise située à plus de 2000 kilomètres de là.
Dans la petite salle de classe de la ville de Sendaï, les élèves sortent timidement de dessous les tables, les visages couverts de plâtre et de débris.
Affolée, la jeune maîtresse se précipite pour les faire sortir rapidement du bâtiment.
Au milieu de la cour de l’école, le seul espace ouvert loin des édifices, d’autres élèves sont déjà réunis autour de leur professeur.
Tous, petits et grands font preuve d’une maîtrise et d’un calme remarquable.Yuki et les enfants les rejoignent.
À Tokyo, Aïko marche lentement entre les débris qui recouvrent les trottoirs.
Il s’est éloigné du restaurant où ses parents sont restés enfermés.
Il ne sait plus très bien où il est.
C’est le chaos.
Autour de lui, des gens courent dans tous les sens, d’autres au contraire, sont figés sur place, sidérés.
Les métros et les trains sont arrêtés, tous les taxis sont pris d’assaut.
Partout les sirènes des pompiers et de la police résonnent sans arrêt.
Aïko attrape son téléphone et tente de nouveau d’appeler le restaurant.
Pas de sonnerie, ni de tonalité. Rien.
Le réseau téléphonique est coupé, plus aucun portable ne fonctionne.
Au nord-est du Japon, sur la ligne de chemin de fer, le train de Zoey et William est toujours à l’arrêt.
Comme les transports aériens et routiers, le trafic ferroviaire est interrompu.
Dans le wagon, Zoey se rassure doucement.
Autour d’elle, les passagers semblent maintenant plus détendus.
« C’est fini » se dit-elle à voix basse…
Mais William lui, toujours enfoncé dans son fauteuil, les mains fermement agrippées aux accoudoirs du siège, est encore sous le choc.
Au large, sur la mer, les vaguelettes de quelques centimètres, se sont transformées. Des vagues d’un mètre de haut déferlent de plus en plus nombreuses vers le littoral.
On dirait que la mer…enfle…que le niveau de l’eau monte, monte, monte encore.
Et puis d’un coup, la terre se remet subitement à trembler.
Une réplique !
Il est 15h21, un nouveau séisme sous-marin de magnitude de 7,9 cette fois, fait encore trembler la partie nord du pays et provoque des séries de vagues toujours plus hautes, qui se rejoignent, s’amplifient….
Sur l’ensemble des territoires du Pacifique, une alerte majeure au tsunami est déclenchée.
45 minutes après la première secousse, une immense barre noire apparait au large des côtes (Nord-Est) de l’archipel.
Encore terrorisés par le séisme, les habitants regardent maintenant se diriger droit sur eux, ce gigantesque mur d’eau qui semble s’étendre à l’infini.
Pourtant, malgré la menace qui se dessine au loin, les Japonais semblent rassurés, ils savent que les digues sont toutes désormais conçues pour résister à des vagues de près de 12 mètres de haut.
Mais à bord de l’hélicoptère militaire qui sillonne la côte, c’est la panique !
L’horizon annonce la pire des catastrophes.
Le tsunami qui approche maintenant à près de 400 kilomètres à l’heure est un véritable monstre.
Haut de plus d’une vingtaine de mètres, il cache derrière lui une multitude de vagues, toutes aussi effrayantes.
À la centrale Fukushima, le mur protecteur de 6 mètres de haut construit en mer se brise instantanément sous la force de la première vague.
Pourtant jugée solide, voire imparable, la muraille ne résiste pas.
Terrifiés, les employés de la centrale nucléaire quittent les bâtiments et rejoignent à toute vitesse la colline qui surplombe la baie.
À l’intérieur, les équipements tremblent, les murs grincent bruyamment et rapidement, l’eau pénètre dans les systèmes de refroidissement des réacteurs nucléaires.
Progressivement, la température et la pression augmentent dans la cuve des réacteurs.
Il est 15h41, les scientifiques de la centrale nucléaire de Fukushima perdent le contrôle…
Depuis le sommet de la butte, les immenses réacteurs de 13 mètres de haut ressemblent à des rochers qui émergent de la mer.
Le raz-de-marée meurtrier engloutit des centaines de villages et de villes sur près de 600 kilomètres de côtes.
Les rouleaux de l’océan brisent des bâtiments en béton et noient les rues, avalant tout sur leur passage : bateaux, maisons, véhicules…
Depuis les hauteurs des édifices, les habitants hurlent et tentent d’avertir les gens encore dehors, dans les rues.
Il est trop tard.
Sous les regards terrorisés des habitants réfugiés en haut des bâtiments, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont emportés par les flots.
Dans le wagon du train toujours à l’arrêt, les passagers se précipitent vers les fenêtres.
Au loin, un immense navire avec une centaine de personnes à bord est avalé d’un seul coup par la vague géante qui déferle maintenant sur plusieurs kilomètres à l’intérieur des terres.
Les yeux écarquillés, les deux jeunes Canadiens regardent le paysage s’effacer devant eux.
Affolé, William attrape le bras de Zoey et la tire vers le couloir du wagon.
Ils n’iront pas bien loin…Tous les accès sont déjà bloqués par les passagers qui tentent désespérément d’ouvrir les portes de sorties.
Dehors, la vague arrive.
Adossé au mur du couloir, le jeune garçon, paniqué, envoie de violents coups de pieds sur la vitre. Mais elle bien trop épaisse pour être brisée aussi facilement…
Le regard perdu, William s’arrête net. À ses côtés, Zoey hurle de toutes ses forces.
À Tokyo, la plupart des immeubles sont maintenant privés d’électricité. Partout, des incendies sont en cours.
Notamment le complexe industriel de la compagnie pétrolière nippone Cosmo Oil qui disparaît dans des flammes immenses.
Heureusement, depuis près de 20 minutes, la terre ne tremble plus.
Dans le petit restaurant de la famille Saito, les clients blessés, choqués, sortent lentement dans la rue, les mains sur la tête pour se protéger des débris qui tombent encore sur les trottoirs.
En cuisine, la mère d’Aïko est dans tous ses états.
Son mari est allongé sur le carrelage, assommé.
Dans le ciel du Japon, huit avions militaires décollent pour inspecter les dommages.
En mer, des navires des forces navales d’autodéfense foncent vers les côtes Pacifique, touchées par le séisme.
Il est 16h16, une vague de dix mètres de haut submerge le centre-ville de Sendaï, située pourtant à presque 10 kilomètres des côtes.
Des voitures et leurs conducteurs sont éjectés hors des routes par l’eau déchaînée, des morceaux d’immeubles et des maisons entières se brisent, emportés par la violence des torrents de boue.
Comme des milliers de personnes déjà entraînés par la marée sombre, les petits élèves de primaire disparaissent à leur tour sous les eaux, au milieu des conteneurs et des débris qui parsèment la ville.
Yuki elle, est toujours vivante.
Désespérément accrochée à l’un des arbres de la cour de l’école, elle résiste de toutes ses forces au courant.
À la télévision japonaise, la journaliste de la première chaîne rapporte les propos rassurants du Premier ministre.
Les dommages sont importants mais les quatre centrales nucléaires ont été “arrêtées en toute sécurité“.
Il n’y a à ce stade aucun danger pouvant nuire à la santé humaine, à la faune et à la biodiversité.
En réponse à ces propos, et alors que le sol n’a plus bougé depuis près de 2 heures, la terre…Tremble une fois encore.
Il est 17h23, une 3e réplique du séisme survient.
À Sendaï, la jeune maîtresse d’école est à bout de force. L’arbre aussi.
Sous la puissance du torrent de boue, il cède.
En un instant, Yuki disparaît avec lui au fond de l’eau.
À quelques kilomètres de là, le train de la compagnie East Japan Railway dans lequel voyagent Zoey et William, disparaît dans les flots.
La panique gagne tout le Japon et même au-delà.
Sur tous les écrans de télé du monde, les premières images de la catastrophe racontent de l’ampleur de la destruction.
Sur plus de 600 kilomètres de côte, les villes et les ports sont submergés, détruits à 90%.
Par endroits, le mur d’eau a atteint jusqu’à trente mètres de haut et rayé de la carte bon nombre de villages qui bordent le littoral.
Et puis partout, des centaines de corps, encore visibles, flottent lentement entre les carcasses de voitures et les maisons qui gisent au milieu de paysages dévastés.
Il est 18h, au pays du Soleil levant, tout devient encore plus sombre.
Sans électricité, chauffage, ni eau potable, des centaines de milliers de survivants s’apprêtent à passer la nuit dans l’obscurité et le froid glacial.
A la centrale de Fukushima, 70 camions générateurs d’électricité des forces armées arrivent sur le site.
Mais devant l’ampleur des dégâts, les soldats en tenue de protection anti-radiations, ne peuvent que constater les dégâts.
Le système de refroidissement est en panne, l’eau a envahi les installations, coupé l’alimentation électrique et noyé les générateurs de secours.
Dans la cuve des réacteurs 1, 2 et 3, la température grimpe à toute vitesse et l’évaporation menace sérieusement de rependre à l’air libre des matières hautement contaminées…
Des bureaux de la centrale nucléaire à ceux des plus hautes sphères du gouvernement, la pression et l’angoisse s’intensifient : Les risques imminents de fuite radioactive autour du site font craindre une catastrophe encore pire.
Il est 19h, les habitants proches de la centrale doivent évacuer en urgence.
Des milliers de riverains abandonnent leur maison et s’engagent sur les routes, à pied, sans trop savoir où aller…
A Tokyo, Aïko a retrouvé sa famille.
Comme des millions de japonais, ils passeront cette nuit dehors, dans la rue, par crainte de nouvelles secousses.
Partout, d’immenses panaches de fumée s’élèvent encore au-dessus de la ville.
Avec plus de 160 000 personnes délogées, près de 22 000 morts et disparus, le Japon connaît ce vendredi 11 mars 2011 la plus grave catastrophe naturelle de toute son histoire.
Dévasté, le pays va pourtant encore souffrir.
Au matin du samedi 12 mars, une radioactivité 1000 fois supérieur à la normale est détectée dans la salle de contrôle du réacteur numéro 1 de la centrale nucléaire de Fukushima.
Face à l’urgence de la situation, le gouvernement ordonne l’évacuation immédiate des populations sur un périmètre de 20 kilomètres autour du site.
Plus de 100 000 personnes abandonnent à leur tour leur maison et prennent la fuite.
Les jours passent et les événements s’enchaînent.
L’explosion du réacteur n°3 d’abord, l’incendie du n°2 quelques jours plus tard, et enfin, la fuite des premières particules radioactives…
Au matin du jeudi 24 mars, la centrale nucléaire de Fukushima est définitivement incontrôlable.
Alors que des milliers de mètres cube d’eaux contaminés se déversent dans la nature, une épaisse fumée blanche s’échappe du réacteur n°1…
Lentement, un immense nuage radioactif s’étend sur le nord de l’archipel, et fait de nouveau sombrer le pays tout entier, dans le chaos et la psychose.
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