fbpx

FRANKENSTEIN – QUI A RÉELLEMENT CRÉÉ LE MONSTRE ?

FRANKENSTEIN – QUI A RÉELLEMENT CRÉÉ LE MONSTRE ?

Sa peau… elle est verte comme la mousse qui rampe sur les pierres tombales.

Ses lèvres… Elles sont d’un noir définitif comme le baiser de la faucheuse.

Ses yeux… Ils sont jaune, vitreux. Ils évoquent les fluides morbides, la purulence. Ils sont cerclés de cernes d’un violet sombre.

Son front… grand, beaucoup trop grand et traversé d’une grossière et hideuse cicatrice. Dans son cou : deux énormes clous.

Il avance d’un pas résolu. Le regard fixe, les bras tendus qui semblent déjà étreindre une malheureuse victime. La créature se dirige vers une maison devant laquelle brûle une lanterne de la forme d’une citrouille.

Il sonne. La porte s’ouvre… Il crie : « Des bonbons ou un sort ! »

Ce n’est qu’un enfant. Il déambule dans la nuit du 31 octobre comme des millions d’autres. Et il arbore fièrement un des plus célèbres costumes d’Halloween : celui de Frankenstein. Un des monstres, sinon LE monstre le plus célèbre de la littérature et du cinéma.

Et son histoire… nous allons vous la raconter.

Avant de devenir la star des costumes d’Halloween, Frankenstein… c’est un roman. Une histoire qui nous vient du XIXème siècle. Et avant le monstre, il y a le savant. Le savant fou. C’est lui Frankenstein. Victor Frankenstein. 

Son récit commence en Suisse, près de Genève. Victor coule d’abord des jours heureux puis subitement, à 17 ans, il perd sa mère. Il expérimente la douleur du deuil. Ne plus jamais revoir l’être chéri. Accepter l’inacceptable : l’absence, absurde et pour toujours. Il crie son désespoir : « À qui la main glacée de la mort n’a pas arraché au moins un être cher ? » La blessure est là, elle va laisser une cicatrice qui ne guérira pas. Au contraire, comme une infection, elle va ronger l’esprit du jeune Victor et installer en lui… une obsession.

Victor Frankenstein quitte les siens. Il part en Allemagne. Il entreprend des études de philosophie naturelle, de chimie et de physiologie. Il s’y plonge avec frénésie. Il veut percer LE secret, le mystère des causes de la vie et de la mort. 

Il se met à étudier la décomposition. Il rôde la nuit dans les caveaux, dans les charniers. La description de ses trouvailles est à soulever le cœur, je le cite : « Je découvrais comment les vers se nourrissent de ces merveilles que sont les yeux et le cerveau. »

Pali et amaigri par ses nuits d’insomnies, il s’affaire dans une chambre isolée, transformée en laboratoire de fortune. D’abord il torture des animaux. Puis il se procure des morceaux de corps, dérobés aux abattoirs ou aux salles de dissection. L’odeur de la mort, la manipulation des viscères grouillants des cadavres… Victor est révulsé par l’horreur de sa besogne, il est malade… Mais il continue, dévoré par la passion du chercheur qui touche au but. 

Une sinistre nuit de novembre, alors que la pluie bat les fenêtres et que la bougie agonise, à 1h00 du matin… Sa créature prend vie.

La pièce est silencieuse. Victor retient son souffle. Un miracle se produit devant lui. Il ne sait pas encore qu’il s’agit d’un malheur. La créature a ouvert les yeux tout à coup. Leur fond est jaune, terreux. Puis la chose a respiré bruyamment et ses membres ont été secoués par un spasme.

Il a réussi. Il a créé la vie. Comment ? L’histoire ne le dit pas. Le savant ne veut pas que son erreur soit reprise par un autre fou. Sous la peau cireuse de sa création, on voit le réseau des muscles et des vaisseaux sanguins. Ses yeux sont enfoncés, ses cheveux sont longs et sombres, ses dents ont une blancheur impossible, démoniaque, sa bouche est mince et noire.

C’est ça son œuvre ? Sa création ? Cette vision le répugne et il s’enfuit du laboratoire. Il veut dormir. Oublier. 

Mais la nuit, la chose se glisse dans sa chambre. De sa stature de géant, elle se penche sur son créateur. 

Quand Victor se réveille… il voit les yeux bileux fixés sur lui. La chose pousse des grognements. Le cadavre animé tend sa main immense vers son géniteur. Victor s’évade. Il ne veut plus voir cette atrocité dont il est pourtant responsable.

Mais il la reverra. Quand celle-ci demandera des comptes.

Maintenant Frankenstein le sait et cette idée le plonge dans le désespoir : il a créé un démon. Et maintenant qu’il est dans la nature… 

De quoi est-il capable ?

Mais la réalité le rattrape. La créature est devenue un impitoyable criminel et même… un serial killer.

Le monstre commet l’impensable, il tue un enfant, le petit frère du savant. Puis tous ses proches seront sacrifiés par l’être immonde. Il surgit de nulle part et ses victimes hurlent de terreur. Avec ses mains recomposées et sa force surnaturelle, il enserre leur cou et les étrangle.    

Des actes atroces et condamnables. Pourtant, quand vient l’heure des explications, quand la créature fait face à son créateur, on se demande qui des deux est l’assassin, qui des deux est le véritable monstre. 

Car le demi vivant raconte les premiers instants de sa naissance. Livré à lui-même, il s’éveille aux sensations comme la faim, le froid, le sommeil. Il raconte son émerveillement devant le spectacle de la nature.

En observant les êtres humains, il découvre l’amour. Il se met à désirer être aimé lui aussi. Mais c’est impossible, il ne suscite que le dégoût, l’effroi.   

Le monstre est finalement une créature sensible qui aspire au bonheur. Victor Frankenstein l’a créé mais il l’a abandonné à la solitude et au désespoir. Finalement on assiste au procès de la créature contre un créateur irresponsable et sans cœur.

Ses crimes, la chose les a commis pour se venger de la cruauté de son créateur comme Prométhée, le héros de la mythologie grecque qui volait le feu de l’Olympe pour le donner aux hommes. C’est ce qui rend le roman si intemporel. C’est peut-être aussi ce qui explique le glissement du patronyme. Car aujourd’hui, quand on dit « Frankenstein », on ne pense pas au savant… on pense au monstre.

Frankenstein ou le Prométhée moderne. C’est d’abord l’histoire d’un aventurier qui écrit à sa sœur pour lui raconter ses déboires lors d’une expédition au pôle Nord. 

Il croise la route d’un certain Victor Frankenstein alors que celui-ci poursuit son monstre. L’aventurier recueille l’étrange chasseur qui lui raconte ses malheurs, puis qui raconte le récit du monstre lui-même. Le style épistolaire est à la mode quand le livre paraît.

Raconter des histoires d’épouvante… L’auteur du roman, Mary Shelley a un don pour ça. Elle est elle-même hantée. 

Autour d’elle, la mort rôde. D’abord il y a sa mère. Elle meurt en 1797, 11 jours après la naissance de Mary. Ce sera son fantôme, celle qui fera naître en elle une fascination pour la mort. 

À 16 ans, Mary rencontre l’amour de sa vie, le romancier Percy Shelley. Et que font les tourtereaux en guise de rendez-vous galant ? Ils se promènent dans le cimetière de St Pancras, ils s’assoient près de la tombe de la mère de Mary. La légende dit même que la romancière aurait perdu sa virginité dans ce décor lugubre. 

Percy est marié et pourtant, malgré le scandale à son époque, Mary s’enfuit avec lui. L’épouse de Percy se suicide alors qu’elle est enceinte et quelques temps après, Mary accouche d’un enfant mort-né. Elle fait une dépression, accablée par des visions de son enfant décédé. 

Elle fera une série de fausses couches, elle perdra deux enfants et son mari dont elle conservera le cœur dans un tiroir de son bureau. On ne peut pas faire plus gothique.

Le roman de Mary Shelley naît d’un fantasme : garder les morts près de soi. Comme elle, son héros ne craint pas la mort. Au contraire, il recherche sa compagnie, jusqu’à s’enfermer dans un laboratoire, entouré de cadavres.

Comme son auteur, le savant perd sa mère très jeune et comme elle, il est frappé plusieurs fois par le malheur. Car Frankenstein c’est aussi une histoire sur le deuil. Un ennemi contre lequel le héros lutte, vainement. 

Mais dans le désespoir où la fatalité jette le genre humain, la seule lueur à l’horizon… C’est la science. Au début du XIXème siècle, les progrès scientifiques sont en pleine explosion.

En 1752, Benjamin Franklin met en évidence l’origine électrique de la foudre. Le physicien Alessandro Volta construit la première pile électrique en 1800. La découverte de l’électricité réveille les fantasmes les plus fous. 

Fin XVIIIème siècle, Luigi Galvani crée le galvanisme, l’étude des conséquences de l’électricité sur la contraction des muscles. Il mène des expériences sur des grenouilles dont les muscles se contractent au contact du métal. Quelques années après, son neveu, Giovanni Aldini s’adonne à des expériences publiques sur des condamnés à mort. En stimulant le macchabé par un courant électrique, il parvient à contracter certains de ses muscles.  

Un espoir jaillit : et si l’on pouvait redonner la vie à des êtres trépassés ? Shelley connaissait ces expériences. Elle se serait encore inspirée des travaux de Erasmus Darwin et de George Frank Von Frakenau (un nom proche de Frankenstein) qui soutenaient des thèses sur la régénération de la matière inerte. 

La science-fiction était née.

Mais la censure fait barrage. Martyriser un corps humain après sa mort est jugé par les opposants au galvanisme comme immoral et contraire aux mœurs. 

La religion contre la science. Une lutte éternelle. Pourtant Mary est la fille d’une philosophe féministe et d’un écrivain politique. Elle a reçu une éducation très poussée pour une femme de son époque. Son concubin puis mari, Percy Shelley, a publié un traité en faveur de l’athéisme… Tout la porte au modernisme, au progressisme. 

Son roman illustre à la fois un espoir dans le progrès scientifique, et la crainte d’un châtiment divin. Le spectre de l’enfer plane sur ses personnages. La créature est fréquemment appelée « démon » par Victor qui lui souhaite les affres de l’enfer. Et le démon lui-même maudit son créateur.

Finalement, créateur et créature deviennent des ennemis jurés. Leur désir de vengeance ne peut prendre fin qu’à la mort d’un des deux. Ils ruinent les espoirs de bonheur de chacun. Victor refuse de donner à la chose une compagne qu’il devrait créer à son image, à partir de cadavres. Et le monstre assassine tous les proches du savant. 

Le démon est condamné à errer dans ce monde sans amour. Il ne peut pas se mêler aux humains car son existence même est une offense au genre humain. Il est contre-nature, d’ailleurs, il n’a pas de nom, c’est une bête. 

Quant au savant, il doit expier une faute qu’il reconnaît lui-même. Celle d’avoir voulu égaler Dieu. Il paye pour le sacrilège qu’il a commis en osant frayer avec l’ultime royaume interdit aux vivants : le royaume de la mort.

Un savant fou, une créature qui prend vie à partir de morceaux de cadavres… Pour inventer une histoire aussi fantastique, il a fallu plusieurs concours de circonstances. Il y a le passé de Mary Shelley, ses fantômes et le contexte scientifique. Mais ce n’est pas tout. Frankenstein est né d’un séjour en Suisse très spécial. 

Été 1816. Mary est en fuite avec son amant scandaleux : Percy Shelley. Elle le suit dans sa cavale, avec sa sœur, Clara. Ils décident de passer l’été dans une villa, sur les bords du lac Léman, la Villa Diodati. Ces vacances vont jouer un rôle important pour la postérité. 

Le petit groupe rejoint le poète Lord Byron. Un jeune homme sulfureux et en fuite lui aussi à la suite d’un scandale : il a quitté sa femme et couché avec sa sœur. Avec lui, il y a Polidori, un médecin. 

Le mois de juin est particulièrement pluvieux, on dit même que c’est « l’année sans été ». Cette météo est due à un événement extraordinaire. En effet, le 10 avril 1815, l’éruption d’un volcan indonésien a libéré des tonnes de particules. Elles se sont répandues et ont entraîné un refroidissement des températures sur toute la planète.

Les effets de cette éruption parviennent jusqu’en Suisse. Le ciel est sombre et chargé de nuages bas. Des tempêtes font rugir le vent et des orages déchirent le ciel d’impressionnants éclairs. L’atmosphère est lugubre…

Le décor est posé.

À la villa Diodati, on s’ennuie à mourir. Malgré le mauvais temps, on décide de prendre l’air. Percy, Byron et Polidori partent sur une barque pour faire le tour du Lac Léman. Ils sont à la recherche du château de Chillon. La forteresse est réputée pour avoir abrité dans ses cachots un condamné à mort qui passa des années enchaîné à un pilier. Cette visite enflamme les esprits romantiques des jeunes gens. 

Ils rentrent exaltés. 

Le soir, le petit groupe se réunit devant un grand feu. Ils échangent sur les découvertes scientifiques qui s’apparentent à de la magie. Puis ils lisent des romans gothiques. Des histoires de fantômes, de vampires, de créatures d’outre-tombe…

Lord Byron a une idée, un défi. Et s’ils écrivaient chacun un récit d’épouvante ? Ils sont emballés. Mais de retour dans sa chambre, Mary peine à trouver l’inspiration. Elle s’allonge et dans un demi-sommeil, elle a une vision. Elle voit un savant agenouillé devant une créature enchaînée. La chose est difforme et son visage est comme assemblé de morceaux de chairs, grossièrement cousus. 

La créature est reliée à machine…  Des étincelles surgissent. Le docteur a redonné la vie à une chose sortie d’une tombe. 

Mary se met immédiatement à noircir des pages. Elle s’enferme et écrit le roman qui la fera connaître du monde entier.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les hommes présents dans cette Villa Diodati connaîtront tous un destin tragique. Comme si tutoyer le royaume des morts avait un prix, celui d’une malédiction. Dans les années qui suivent cet été 1816, Polidori se suicide à l’acide prussique, Percy Shelley meurt noyé dans une tempête, Byron meurt d’une fièvre des marais.

Les femmes ? Les femmes survivent. Mary Shelley publie donc son roman en 1818. C’est un succès immédiat. Elle n’a que 21 ans. L’engouement du public l’encourage à vivre de sa plume et elle écrit d’autres contes gothiques.

Jusqu’à aujourd’hui, Frankenstein continue d’inspirer : pièces de théâtre, comédies musicales, livres, BD, manga, jeux vidéo, films. Certaines adaptations ont tellement marqué les esprits, qu’on en viendrait à oublier le roman originel, à oublier l’auteur. À la première adaptation sur les planches, en 1936, le maquillage de la créature était si réussi que des femmes s’évanouissaient à son apparition.  

Aujourd’hui, quand on dit « Frankenstein », on voit le monstre. Celui du cinéma. Plus précisément, cette adaptation à l’écran de 1931. Le film d’horreur est emblématique, culte. Réalisé par James Whale, c’est l’acteur, Boris Karloff, qui restera dans l’imaginaire collectif. Pour réaliser son maquillage, on s’inspire des cicatrices des opérations du cerveau. On réalise un crâne et un front carré à l’aide de coton et pour donner à ses yeux une torpeur d’outre-tombe, on lui confectionne des paupières en cire.

Dans un laboratoire en noir et blanc, les ombres décuplées par un jeu de lumière, sous fond de tonnerre, le savant hurle, en plein délire : « Its alive ! Its alive !!» Tandis que derrière lui, la main de la chose se lève, tremblante, et menaçante.

Texte : Gaëlle Le Scouarnec / Voix : Michel Elias

Encore plus de Podcast à écouter ici sur PODCAST STORY