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C’est une bonne démarche, n’est-ce-pas ? Faire du spectacle, de la distraction, de l’action mais y inclure un contexte qui va amener la réflexion.
Quelquefois, on se sent obligé de comparer. C’est humain. Quand on vous propose au même moment la série du Seigneur des Anneaux et la série Game of Throne, c’est comme si on vous incitait à comparer les deux, à voir l’un en fonction de l’autre. C’est un peu idiot, vous le savez bien, car chaque série a son propre style. On ne compare pas des petits pois et des haricots verts sous prétexte que se sont des légumes et qu’ils ont la même couleur ! Mais pas le choix, vous devez prendre parti, pour l’un ou pour l’autre.
Mais eux, cela fait près de 58 ans que vous devez choisir, l’un ou l’autre. Chacun son camp. Cela fait 58 ans qu’il y a le camp des Addams et le camp des Monstres. Et ça ne s’est jamais arrêté , à coups de séries, de dessins animés, de films, de réunions, de remakes et de nouvelles incarnations.
Depuis plus d’un demi-siècle, sans que vous ne vous en doutiez, c’est… La Guerre des Monstres.
Exemple concret avec la série de Tim Burton face au film de Rob Zombie.
On est vendredi soir. Il est 20h30 et vous êtes devant la télé. On est le 25 septembre 1964. Oui. 1964. Non mais… je sais : vous n’étiez pas né ! Et alors ?! Faites travailler votre imagination. Je vais vous y aider. Imaginez que vous êtes aux Etats-Unis et que vous avez envie de découvrir les nouveautés de cette rentrée 1964. Déjà, vous avez bien aimé cette nouvelle série, en début de semaine, l’histoire d’un gigantesque sous-marin ultra-sophistiqué, le Neptune. Et puis vous trouvez ce nouveau mélodrame assez intriguant et surtout ses interprètes : une petite Mia Farrow, et un grand sexy Ryan O’Neal. Ils iront loin ! Et vous n’avez surtout pas loupé cette nouvelle série qui fait penser à James Bond, avec un agent secret de l’organisation UNCLE…
Et ce vendredi soir, vous découvrez cette comédie avec cette famille, le père, la mère, les deux enfants, l’oncle, le serviteur et le chauffeur… une famille qui serait comme les autres si ses membres n’étaient pas macabres et terrifiants. C’est franchement très décalé, inhabituel et ça serait très sympathique si vous n’aviez pas une drôle d’impression : ça, vous ne l’avez pas déjà vu hier ?
Ah ben si, hier soir, à 19h30, mais sur une autre chaîne : une famille hors du commun qui vit à Mockingbird Lane et habite dans un manoir. C’était d’ailleurs le lancement de la série hier soir, et comme la famille de la série de ce soir, ils ne comprennent pas que les autres citoyens ne soient pas aussi normaux et banals qu’ils ne le sont, eux !
Alors vous saisissez votre magazine télé pour comprendre et là, vous voyez que ce ne sont pas du tout les mêmes séries : celle d’hier s’appellent Munsters et ce soir, vous regardez la Famille Addams. Pourtant c’est exactement le même concept ?! C’est fou, ça : deux comédies traitant du même sujet qui débutent en même temps.
Le fait qu’il s’agisse de personnages surnaturels, ça, ça ne vous surprend pas trop : les comédies, à cette époque, donnaient plutôt dans le saugrenu et le fantastique. On faisait rire avec des sorcières, femmes au foyer, un génie dans une lampe d’Aladin mais un génie sexy et franchement naïf, à un cheval qui parle, à une voiture dans laquelle la mère du propriétaire s’est réincarnée, à un martien avec ses antennes en villégiature sur la Terre… Les sitcoms avec des répliques percutantes et des gens de tous les jours, des Cosby Show, ou des Friends, ça viendra quelques décennies plus tard. Là, nous vivons le début de l’ère des sitcoms magiques.
Alors, plongeons avec plaisir dans ces comédies burlesques qui nous entraînent dans un autre monde.
Celle de ce soir, c’est La Famille Addams, du nom de Charles Addams, le maître du macabre. C’est un dessinateur qui a commencé à faire des dessins humoristiques en 1932 dans le journal le New Yorker . En 1937, il commence à peupler ses dessins de ces personnages bizarres qui n’avaient pas de nom. Ce n’était pas très utile : ils n’apparaissaient que dans des gags avec un dessin unique.
C’est spécifiquement quand on a voulu en faire une série télé que Charles Addams leur a donné des prénoms. Il a d’ailleurs donné le choix au producteur: alors, le chef de la famille, Repelli ou Gomez ?
Le producteur a tranché : ça sera Gomez.
Et Gomez, c’est Le souriant John Astin, acteur de théâtre, qui ensuite fut dans de nombreuses séries et sitcoms.
Morticia, c’est la vraie chef de famille – et pas Gomez. Elle passe son temps à nourrir Cléopâtre, sa plante carnivore, et à couper ses roses… enfin… à couper la fleur et à garder la tige ! Elle et Gomez se livrent à des duels à l’épée, en criant « en garde », en français dans la série !
Morticia est basée sur Vampira, un personnage de télévision qui présentait les films d’horreur, un peu comme Eddy Mitchell nous présentait des western dans la Dernière Séance. Vampira était très grande, très mince, avec une robe noire, donc Morticia est longiligne avec une robe moulante noire. Morticia, c’est Carolyn Jones, vedette hollywoodienne qui a joué face à Marlon Brando, à Frank Sinatra, à Elvis Presley et était mariée à Aaron Spelling. Oui, Aaron Spelling, le créateur de La croisière s’amuse, de Dynasty et de Beverly Hills.
Oncle Fester, c’est Jackie Coogan . Oui, Jackie Coogan. Vous savez bien : le Kid dans le film de Charlie Chaplin, en 1921/ Il avait 4 ans !!! Coogan était fan des cartoons d’Addams donc il s’est rasé le crâne, et maquillé comme l’oncle Fester pour convaincre le producteur de le prendre, lui, pour le rôle.
Le facétieux oncle Fester a l’habitude de tirer des coups de canon !
Il y a les deux enfants, Pugsley et Wednesday Addams, appelée ainsi en référence à une comptine : l’enfant du mercredi porte malheur. On va y revenir.
Lurch, c’est le serviteur, chauffeur, maître d’hôtel toujours morose. Il a même eu droit à une musique et à une danse, le Lurch, que Lurch venait jouer sur les plateaux télé entouré de danseuses. Lurch, c’est Ted Cassidy, qui tenait là son tout premier job d’acteur. On retrouvera son physique impressionnant dans de nombreux films et séries.
Et c’était lui qui, en secret, tenait le rôle de La Chose, la main vivante qui sort de sa boîte. C’était tout simple, hein, Cassidy était sous la table et il y avait un trou pour laisser passer sa main et donc jouer la Chose, mais ça marchait. Et c’était très officiellement un deuxième rôle, donc un deuxième contrat pour l’acteur.
Pour la série, on le paye 1000 $ chaque semaine mais ça couvre tous les droits. Donc rien pour les années à venir.
Cousin Itt, une petite boule de cheveux qui rejoindra la famille un peu plus tard, est incarné par l’acteur de petite taille Felix Silla. C’est lui aussi qui, quelques années plus tard, sera Twikkii le robot qui fait bidibidibidibidi dans Buck Rogers.
Voilà. La famille est au complet, ils sont creepy et kooky, mystérieux et fantomatiques, comme c’est dit dans la chanson du générique. Une chanson que vous n’êtes pas près d’oublier d’ailleurs, avec son ‘snap’ – ‘snap’ – dadadadada – « ‘snap’ ‘snap’.
Dès que la série est vendue à la chaîne ABC, on charge le scénariste Nat Perrin de produire les épisodes. Pourquoi lui ? Parce qu’ il a travaillé, par le passé, avec les Marx Brothers et que l’humour burlesque et absurde des Marx convient bien aux Addams.
Sauf que, avant d’en arriver là, il faut que la chaîne soit convaincue. Adapter des bandes dessinées, c’est un pari risqué et mettre en scène des espèces de punk qui voient la vie du côté sombre et macabre et passent leurs loisirs à arracher la tête de leur poupées, c’est pas vendeur.
Jusqu’au jour où la chaîne d’en face annonce une série dans le même style.
La série que, justement, vous avez vu hier, jeudi soir.
Elle, elle a pour titre The Munsters, les Monstres, ou plutôt les « Munstres », si on veut coller au titre d’origine. Et pas étonnant que vous les ayez confondus avec les Addams.
Si les Addams ont un manoir à Cemetery Lane, les Munsters ont un manoir à Mockingbird Lane.
Ils sont des adaptations des grands monstres cinéma de la firme Universal : le monstre de Frankenstein pour Herman Munster, Dracula pour Grandpa, le Loup Garou pour le jeune fils, Eddie, la fiancée de Frankenstein pour Lily …
Leur apparence est donc très différente de celle des Addams : Les Monstres, eux, nécessitent des heures de maquillage spéciales. Près de 2h pour faire de Yvonne de Carlo la maîtresse de maison Lily Munster. Yvonne de Carlo, justement, grande star des années 40 et 50, avec des films comme « Les 10 Commandements », a mis du temps à admettre qu’elle jouait maintenant dans une sitcom télé. L’argent était sa seule motivation et les premiers mois ont été un peu compliqués sur le tournage – bon, on va vous le dire : elle faisait un peu sa diva. Mais ensuite, tout est rentré dans l’ordre.
Lily et Herman étaient d’ailleurs le premier couple de sitcom à être montrés couchant dans le même lit ! Avant eux, c’était interdit : quand on montrait des couples à la télévision, ils devaient dormir dans des lits que l’on voyait clairement comme étant séparés.
Un membre de la famille Munster qui ne nécessitait aucun maquillage spécial, par contre, c’était Marylin. Parce que Marilyn est, elle, tout à fait normale. En fait, c’est même une beauté absolue qui ressemble à Marilyn Monroe. Et évidemment, sa famille, Herman, Lily et Eddie, ont pitié d’elle.
Le projet initial des Munsters remonte à 1943 et avait pour titre The Monster Family.
Ce sont deux scénaristes à succès, Joe Connelly et Bob Mosher, qui relancent l’idée pour la télévision. Leur pedigree était impressionnant : ils ont fait une sitcom devenue mythique aux Etats- Unis : Leave it to Beaver. Donc on leur fait confiance pour leur nouvelle création : on prend !
Et c’est justement cela qui va être la goutte d’eau qui va faire péter les plombs au créateur de la version télé de la famille Addams. Il entre donc dans une colère noire et passe la porte des gens de ABC : « Bon maintenant ça suffit. Vous hésitez depuis des semaines à donner le feu vert à notre série, et là, on découvre que la compétition, la CBS, va lancer une comédie similaire. Alors que c’est nous qui avons l’originale ! Non mais c’est une mauvais blague ? »
Penaud, et voyant qu’effectivement ils risquent de se faire griller par la concurrence, ABC lance donc définitivement sa Famille Addams.
Résultat, les deux comédies sont lancées la même année et personne ne peut s’empêcher de les comparer: la cynique famille Addams, la burlesque famille Munster.
En terme d’audience, les Munsters arrivaient à la 18ème place, devant la Famille Addams, 23ème .
La famille Addams prend fin après 2 saisons et donc 64 épisodes.
La même semaine, les Munsters sont annulés.
Les deux comédies auraient pu en rester là et reposer en paix dans le cimetière des bonnes séries télé, aux côtés de Hill Street Blues et de Nowhere Man, mais non. La guerre des monstres va continuer
La série à peine achevée, la famille Munster se retrouve au cinéma pour un long métrage en couleur, Munster Go Home.
La famille Addams a connu une calamiteuse réunion en 1977 pour Halloween. Et il en est de même pour les Munsters, réunis en 1981 là aussi pour un téléfilm. Et un autre en 1995. Et un troisième l’année suivante. Non mais je vous dis : ils sont immortels
Il y a eu une série animée de la famille Addams ( en 1973), une autre en 1992 avec le retour de John Astin pour faire la voix de Gomez, puis les fameux films de Barry Sonnenfeld avec Raul Julia et Anjelica Huston. Tous étaient basés sur les cartoons de Chas Addams plus que sur la série télé – mis à part les noms des personnages considérés comme acquis depuis qu’ils avaient été créés pour la série.
Et il y a eu ensuite deux films d’animation et même une comédie musicale !
Mais ne croyez pas les Munsters morts et enterrés : on les fait revivre quelque 22 ans plus tard dans une nouvelle sitcom. The Munster Today, ou en français Les Nouveaux Monstres sont arrivés en 1988 et la guerre entre les deux familles continue : on lance la Nouvelle Famille Addams en 1998, une nouvelle sitcom elle aussi.
Et on se retrouve en 2022. Rob Zombie, le fameux réalisateur du remake de Halloween, écrit et tourne une version contemporaine des Munsters pour Netflix. Un téléfilm dans le genre burlesque, filmé dans un style très cartoonesque.
Et sur Netflix aussi, c’est un autre réalisateur culte, Tim Burton, qui réalise les premiers épisodes de Wednesday. Cette fois-ci, c’est une série en 8 épisodes.
Si Morticia , interprété par Catherine Zeta Jones, et Gomez incarné par Luiz Guzman, sont bien dans la série, il y apparaissent de façon sporadique. C’est l’impertinente Wednesday Addams qui est la vedette de la série, et elle va devoir intégrer un nouvel institut depuis qu’elle a lancé des piranhas contre des étudiants dans son ancien lycée. Maintenant, elle est à Nevermore, là où son père et sa mère se sont rencontrés, un lieu où l’on instruit les jeunes vampires, loups garous, sirènes et gorgones. Wednesday va immédiatement être impliqué dans une série de meurtres et va découvrir des secrets passés de la vie de sa famille. Aidée en cela par la Chose, bien sûr.
Ce sont les deux producteurs de Smallville qui ont ainsi réinventé la Famille Addams dans le cadre d’un thriller ado avec de grands mystères, comme auparavant l’était Riverdale. Jenna Ortega est une inquiétante Wednesday Addams, qui doit laisser passer un sourire une seule fois dans le courant de la saison. Mais, en bonus, Wednesday Addams possède maintenant un pouvoir psychique qu’elle va apprendre à maîtriser.
Donc, un peu comme vous l’avez fait en 1964, installez vous tranquillement pour regarder Wednesday, la nouvelle version de la Famille Addams. Et bientôt de la nouvelle version des Munsters. La guerre des monstres continue.
Texte & Voix : Alain Carrazé
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