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DAHLIA NOIR, Le « cold case » le plus célèbre des États-Unis

DAHLIA NOIR, Le « cold case » le plus célèbre des États-Unis

1947, le corps d’une femme coupé en deux est trouvé sur une plage californienne. L’histoire a traumatisé l’Amérique et 75 ans plus tard, on cherche toujours le coupable…

Texte : Claudia Valencia Voix : Eric Lange

15 janvier 1947. Los Angeles, secteur Sud. Le quartier résidentiel de Leimert Park. Le quartier idéal pour une famille américaine : des Maisonnettes blanche, des pelouses impeccablement tondues, les palmiers qui se balancent doucement au gré du vent. 

Il n’y a que cette grande parcelle en friche qui gâte un peu le décor : Lover’s Lane, le chemin des amoureux. Tu parles… Juste un tas de broussailles parsemé d’ordures.

Il est encore tôt. Le soleil se lève à peine. Et pourtant… Des curieux s’amassent sur le terrain vague : une dizaine de gars environ, ils ont garé leurs voitures en vrac sur le milieu de la route. 

La raison de ce rassemblement ? 

Une jeune fille coupée en deux.

Elle est étendue sur l’herbe : auréole de cheveux noirs et teint de porcelaine… Ses bras rejetés derrière la tête. Nue. 

Les badauds sont choqués. Los Angeles affiche à son compteur un bon paquet de meurtres sordides mais là, on est un cran au-dessus.

Tranchée en deux. Littéralement. 

La scission est à hauteur du bassin, impeccable, comme faite à la machine. 

Une trentaine de centimètres sépare les deux tronçons. 

Sur la partie inférieure, les jambes sont grandes ouvertes, une balafre rouge parcourt le ventre, le pubis a été cisaillé à coups de scalpels. 

La partie supérieure est particulièrement atroce. 

Sein droit découpé, trou sanglant près du mamelon gauche. 

Des hématomes et des lacérations défigurent le visage, les dents sont broyées… 

Mais le plus glaçant, c’est la bouche : aux commissures des lèvres deux entailles sanglantes. Les balafres sillonnent la chair des joues et s’étirent jusqu’aux oreilles : un sourire de sang. Genre Joker.

Poupée mutilée puis balancée aux ordures. 

Il s’agit d’Elizabeth Short, 22 ans, originaire du Massachusetts. 

La postérité la retiendra sous un autre nom : le Dahlia Noir.

Le Dahlia c’est une très belle plante, avec des petites feuilles de couleurs vives, rouge, violette, orange…

Dahlia Noir… C’est une femme coupée en deux.

En Amérique, sa seule évocation ranime toute une époque, le Los Angeles des années quarante : Détectives privés déambulant sous un soleil éclatant, flics ripoux , filles faciles et vénales,… Et pour couronner le tout, Elizabeth Short, l’icône macabre de ce monde interlope.  

Livres, films, séries, chansons, jeux vidéo…On la retrouve aujourd’hui partout. Sa silhouette hante la mémoire américaine. 

Et la mienne. Je ne suis pas le premier à me pencher sur elle, des centaines d’autres m’ont précédé. Mais bon… Comme eux, j’ai eu le malheur de tomber sur les photos.

Depuis, impossible de les oublier. Quel cinglé a pu commettre un tel massacre ? J’ai écumé tous les forums, avalé du documentaire, et fatigué mes yeux à force de décortiquer les rapports d’enquête.  

Par où commencer ? Les pistes sont si nombreuses… Il faut remonter à la source. Celle par qui tout commence, la victime, elle-même : Elizabeth Short. 

Qu’est-ce qu’on a pas raconté à son propos : Oie blanche prise dans la folie de Sodome, Wannabe, starlette, femme fatale, pute… 

Elizabeth naît en 1924, dans le Massachusetts, au sein d’une famille de classe moyenne. 

Celle qu’on surnomme Betty, grandit dans un foyer uni. Elle a quatre sœurs.

En 1929, la crise économique rabat les cartes. 

Écrasé par les dettes, le père se fait la malle. 

Betty n’a que quatre ans. Madame se retrouve seule à subvenir aux besoins de ses cinq filles. Les temps sont durs, Betty est encore adolescente lorsqu’elle abandonne l’école. Elle enchaîne des petits boulots de secrétaire, d’ouvreuse de cinéma et de serveuse… 

1941. Les Etats-Unis entrent en guerre. 

Betty voyage de ville en ville, de job en job. 

Sur sa route, elle croise pléthore de GI’s. Dans cette atmosphère d’incertitude,  de guerre, on s’étourdit de swing, on boit, on flirte… Betty papillonne. Jusqu’au jour où elle succombe au regard de braise d’un beau pilote. Ils se fiancent aussitôt. Mais au cours d’une mission l’appareil du fiancé s’abîme en mer. Elizabeth est dévastée par le chagrin…  

1945, le Japon capitule. Pour l’Amérique et pour Betty, c’est le début d’une nouvelle ère.

1946. La jeune femme pose le pied à Los Angeles. 

Dans les lettres adressées à sa mère, elle dépeint une fresque en Technicolor : elle sera actrice ! 

En réalité, Betty ne travaille pas. Elle fréquente des pensions miteuses, passe de longues heures à errer au hasard… Toute vêtue de noire à l’exception de ses gants blancs. 

Et…dans ses cheveux de jais, elle plante un dahlia. Tous les jours. Un Dahlia immaculé.

Elle attire les regards… il y a toujours un gentleman pour lui proposer un verre… Elle accepte, dîne avec l’heureux élu, sort en boîte, il n’est pas rare que la virée se termine dans une chambre d’hôtel.

Mais au fond Betty n’a pas le cœur à la fête : elle peine à dégotter un travail stable et elle a faim. Elle n’est pas la seule : Los Angeles regorge de soldats revenus du front et il y a peu de boulot pour eux. En revanche, la mafia ne chôme pas. Filles, drogue, jeu clandestin, la criminalité bat des records dans la cité des anges.

9 janvier 1947, Elizabeth est aperçue à la réception du Biltmore Hotel. Ce sera la dernière fois qu’on la verra vivante. Six jours plus tard, elle est retrouvée morte à Leimert Park. 

Le rapport d’autopsie est accablant. Marques de cordes aux poignets et aux chevilles, traces de strangulation…Elizabeth Short a été séquestrée et torturée. Aucune trace de sperme mais l’anus anormalement dilaté suggère qu’elle a été violée. Un détail sordide corrobore l’hypothèse du crime sexuel : Un petit tatouage de rose a été prélevé sur sa cuisse gauche et le morceau de peau enfoncé dans son vagin. L’assassin s’est acharné sur Betty. Sa féminité, sa beauté… Il a voulu les réduire à néant.

Les détectives débattent sur la façon dont le corps a été coupé en deux : la méthode est impeccable, il faut du savoir-faire pour ce genre de tâche. Un professionnel certainement, mais dans quel domaine ?  Un boucher ? Un chirurgien ? 

Autres particularités : le corps de Betty a été drainé de son sang et soigneusement lavé à l’essence. Autour d’elle aucune trace sanglante n’a été retrouvée. La jeune femme était donc déjà morte avant d’atterrir à Lover’s Lane.  Ce qui est expliquerait pourquoi elle a été coupée en deux : l’assassin a pu transporter le corps plus facilement. 

Les policiers s’interrogent : Pourquoi avoir déposé le corps à cet endroit précisément ? Des maisons jouxtent le terrain, du monde passe, pas mal d’allées et venues… Un sacré coup de chance que l’assassin ne se soit pas fait surprendre !  Le coupable connaissait-il bien les lieux ? Y habitait-il ?

Les résidents de Leimert Park sont longuement interrogés. En particulier ceux qui exercent une profession médicale. La police emploie les grands moyens : pas moins de 750 hommes sont mobilisés. 

Un élément leur donne du fil à retordre : l’emballement médiatique. Les reporters ont été les premiers à débarquer sur la scène du crime et les photographes ne se sont pas gênés pour manipuler le corps, c’est dire le nombre d’indices qui ont dû passer à la trappe…  

Les tabloïds de LA ont dégoté le saint graal ! Du Sexe et du sang ! Et il, y’a ce titre : Le Dahlia Noir… Les journalistes n’ont même pas eu à l’inventer ! Le surnom a été donné à Betty de son vivant par des clients d’un drugstore où elle avait ses habitudes. 

Sous la plume des chroniqueurs, Betty subit un relooking express : l’archétype de la fille perdue, une starlette de seconde zone en quête de gloire, voire une prostituée. La morale doit être édifiante… Et on n’hésite pas à rajouter du piquant :  réseau de prostitution ? Gang de lesbiennes ? Et oui…  A l’époque l’homosexualité est encore un crime.

10 jours après le meurtre, le journal le « Los Angeles Examiner » reçoit un mystérieux appel. 

A demi-mots le correspondant dévoile qui il est… L’assassin du Dahlia Noir ! 

La preuve ? Elle ne va pas tarder à venir. Peu après, Le journal reçoit une volumineuse enveloppe de papier kraft. Elle contient un carnet d’adresses avec quelques pages arrachées, un extrait de naissance, des photos… 

Pas de doute, ce sont les affaires de Betty ! Impossible de prélever les empreintes digitales de l’envoyeur, le paquet a été nettoyé à l’essence. 

 Les enquêteurs du LAPD s’emparent du carnet d’adresse et l’épluchent de long en large. Que des hommes ! Et ils se comptent par dizaines ! Les détectives interrogent chacun d’entre eux, certains retiennent tout particulièrement leur attention…

C’est le cas d’un dénommé Red. Il a été repéré au Biltmore Hotel en compagnie de Betty. Le gars rechigne à admettre qu’il a fréquenté la jeune femme. Et pour cause : Il est marié et père de famille ! Red est mentalement fragile mais il n’a pas le profil d’un assassin. Passé au détecteur de mensonge, il en ressort blanchi. 

Un autre nom interpelle la police, Marc Hansen. Pendant un temps Elizabeth a logé dans sa villa : un établissement qui abritait des jolies filles souhaitant percer à Hollywood.

Hansen est un gros bonnet du monde de la nuit, une rumeur lui attribue même un réseau de prostitution…  

Apparemment il aurait craqué pour Betty mais celle-ci l’aurait rembarré. Mark s’est-il vengé ? Des doutes mais faute de preuve matérielle, Hansen est relâché.   

Plus tard, c’est un certain Carl Balsiger qui est dans le viseur de la police. Lui aussi a fréquenté Betty. En 1941, il a été suspecté du meurtre de son ex petite amie. Même profil qu’Elizabeth Short : brune, ravissante… Et mise à mort particulièrement atroce. Comme par hasard, Balsiger a déserté la Californie peu après le meurtre de Betty. Mais les soupçons ne suffisent pas à l’envoyer sous les verrous. 

Une litanie d’individus louches parsème le carnet d’Elizabeth Short. À croire que la jeune femme avait un faible pour les mauvais garçons…Et pour corser l’affaire, il y a Betty elle-même… Ou plutôt sa faculté à affabuler. 

A sa mère, elle racontait qu’elle allait devenir actrice. Pourtant, on ne l’a jamais vu à un casting. 

Les dernières personnes à l’avoir hébergé, madame French et sa fille, étaient persuadées que Betty avait été mariée. La jeune femme leur avait confié qu’elle avait eu un enfant mort peu après sa naissance. 

Elizabeth Short mentait sur à peu près tout et n’importe quoi : Sa profession, les lieux où elle se rendait, les gens à qui elle rendait visite… Un genre de toc ? ou Betty avait-elle des événements à cacher ? Fuyait-elle ? Mais alors, qui ?

Les French font part d’une anecdote troublante :  Lors du séjour d’Elizabeth Short, trois étrangers sont venus en pleine nuit tambouriner à leur porte. Le lendemain, Betty faisait ses valises… elle semblait terrifiée. On n’en saura jamais plus sur ces mystérieux visiteurs.

Le LAPD s’échine à résoudre l’affaire, au total, une soixantaine de personnes sont appréhendées. En vain. Chaque piste conduit à une impasse. Trop peu de preuves matérielles, aucun aveu. 

Au printemps 1947, après 5 mois d’enquête, le procureur se résigne à classer l’affaire…

Avec le temps le Dahlia Noir devient le cold case le plus célèbre d’Amérique. La police a peut-être baissé les bras mais les amateurs de crimes irrésolus ont pris le relais. 

Avec eux la liste des suspects s’allonge. On évoque un serial killer assoiffé de sang, un complot au cœur du LAPD, des célébrités sont mêmes impliquées : on cite Bugsy, un mafieux notoire, mais aussi des têtes plus improbables, Orson Welles et Walt Disney !

La théorie qui aura eu le plus de retentissement est sans doute celle qui inculpe Georges Hodel. Un sacré lascar ce George, il coche toutes les cases du psychopathe vicieux et génial : Médecin réputé, ami d’artistes surréalistes, libertin et volage. En 1951 il s’exile aux Philippines après qu’une de ses filles l’ait accusé d’inceste. 

 1999 George Hodel décède de sa belle mort. Il lègue à son fils Steve un vieil album photo. Le rejeton tombe sur deux clichés qui lui mettent la puce à l’oreille : il montrent une belle jeune femme à l’épaisse chevelure brune. Comme un sentiment de déjà vu…Steve écarquille les yeux : il la reconnaît, c’est d’Elizabeth Short ! Il en est persuadé, son père est l’assassin du Dahlia Noir !

Steve Hodel se lance dans une enquête. En fouillant les archives du FBI, il découvre que son géniteur a été suspecté du meurtre d’Elizabeth Short et que sa villa a même été mise sur écoute. Son paternel était à deux doigts d’être embarqué mais George Hodel connaissait quelques des pontes du LAPD qui était à l’époque, une des polices les plus corrompues d’Amérique ! 

Ses relations lui épargnent la prison. 

Un récit palpitant, pas vrai ? Moi aussi, j’ai mordu à l’hameçon. Seulement Steve nourrit une conception toute personnelle de la vérité. Les fameuses photos ? Elles existent bel et bien. En revanche, il suffit d’un seul coup d’œil pour constater que ce ne sont pas celles d’Elizabeth Short ! 

Oui, Georges Hodel faisait partie des suspects… Mais il l’était parmi des centaines d’autres et ce n’était pas le premier sur la liste. Quant aux écoutes ? Elles ont été effectuées pour déterminer si oui ou non il avait abusé de sa fille, rien à voir avec le Dahlia.

Mais si la légende est belle… Imprimez la légende ! Et Steve Hodel en a bien profité : Il a publié sept livres dans lesquels il impute une centaine de meurtres à son géniteur. Le lipstick killer? C’est lui ! Le tueur du Zodiaque ? C’est encore lui !

Steve Hodel a par ailleurs omis une information importante concernant le métier de son père : il était médecin certes mais la chirurgie n’était pas son fort. 

Ce qui nous ramène à un aspect essentiel du Dahlia.   

La façon dont le corps a été coupé en deux. La technique est d’une remarquable précision. A l’époque, un petit nombre de personnes dans le domaine médical pouvait se targuer d’une telle opération. Un chirurgien particulièrement doué ? la piste est plausible…

C’est ce qu’avance Larry Harnish, un journaliste du Los Angeles Times. Son hypothèse a eu moins d’impact que celle de Steve Hodel, néanmoins elle vaut le détour. Pour le journaliste, le suspect numéro un est le Docteur Alonzo Bayley, ancien résident de Leimert Park et éminent chirurgien. 

Son nom ne figure pas dans le carnet d’adresse de Betty, mais il existe de fortes chances pour que ces deux-là se soient connus. Une des sœurs d’Elizabeth Short était invitée au mariage de la fille unique de Bayley. On peut imaginer que la pauvre Betty, fauchée et sans logement, ; se soit tournée vers cette lointaine connaissance pour lui demander de l’aide.

Fait intéressant, Bayley avait un cabinet médical à proximité du Biltmore Hotel, là où Betty a été vue pour la dernière fois vivante. 

Mais pourquoi le médecin l’aurait-il assassinée ?

Retour en arrière. A la fin des années quarante, le bon docteur est en pleine tourmente : il a perdu son travail County Hospital et fait face à de sérieux problèmes d’argent. Pour ne rien arranger, sa famille lui a tourné le dos : Bayley a convolé avec une infirmière et rien n’indique qu’il retournera parmi les siens. 

Jour après jour, le chirurgien s’enfonce dans la déchéance : il devient violent, ses proches ne le reconnaissent plus. 

Pour se détendre, Bailey a des singulières occupations : avec sa maîtresse il se sert de son cabinet pour organiser des dîners aux chandelles devant des films d’opération chirurgicale, le tout sur fond de musique classique !  

Aurait-il céder à ses pulsions macabres avec Elisabeth ?

Bailey ne vivait plus à Leimert Park au moment des faits, mais son épouse oui.  A t-il laissé le corps d’Elizabeth à proximité de son ancienne demeure dans le dessein de se venger ? 

Spéculation, spéculation… Bailey ne sera jamais inquiété. Il meurt en 1948 d’une pneumonie, un an après la mort de Betty.

Plus les années s’écoulent et plus les chances de dénicher le tueur du Dahlia Noir s’amenuisent. Ne reste que le mythe… 

Elizabeth Short s’est muée en créature de fiction, une muse qui alimente la face obscure du rêve américain : Jame Ellroy lui a dédié un roman, Brian de Palma l’a adaptée en film…  Elle est apparue dans la série American Horror Stories et s’est même incrustée dans l’univers du jeu vidéo avec Los Angeles Noire. 

Les images de son meurtre ont fait le tour du monde… Vous les trouvez en deux clics… 

A force de les examiner, j’avais occulté le plus important : la victime. Non pas le pantin déchiqueté que les fans de meurtre horrifique se plaisent à exhiber, mais la vraie, la bien vivante Elizabeth Short. Betty pour ses proches.

Il existe d’autres photos d’elle : un après-midi sur une plage de Miami avec son amie Marge, une autre où elle tient la main de son fiancé… Les Traces d’un bonheur révolu. On la disait douce et fragile, une éternelle rêveuse aspirant à plus grand qu’elle … mais après quoi soupirait-elle le plus ? Son fiancé ? Ce père si peu connu ? Les paillettes d’Hollywood ?

Le Dahlia Noir…comme un vieux secret de famille enfoui dans le placard de l’Amérique.

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