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L’AFFAIRE YANN PIAT – PAR JACQUES PRADEL

L’AFFAIRE YANN PIAT – PAR JACQUES PRADEL

Le 25 février 1994, on apprenait avec stupeur l’assassinat de la députée du Var, madame Yann Piat, abattue par deux tueurs à moto sur la petite route qui menait à sa villa, sur les hauteurs du « Mont des oiseaux », tout près de la ville de Hyères, dans le Var.

Cette affaire exceptionnelle, car on n’avait jamais tué en France une élue de la République, va déboucher sur une série de suppositions et de rumeurs, qui ne seront pas retenues par la Justice. La thèse officielle sera celle d’un assassinat crapuleux, commandité par une figure du milieu local, proche d’un ancien parrain du Var assassiné l’année précédente, et propriétaire d’un bar, le « Macama ».  

Le 26 février 1994, la nouvelle de l’assassinat de la députée du Var fait la une de tous les médias. Et dans les heures qui suivent, le film des événements se fait plus clair, le chauffeur et homme de confiance de la député, Georges Arnaud, dit « Jo » qui a été blessé par une des balles des tueurs à moto a pu raconter dans le détail aux enquêteurs comment les choses se sont passées.

Il est 19h45. Yann Piat, 44 ans, mère de deux enfants, députée de la 3ème circonscription du Var, quitte les bureaux de sa permanence, installée au 42, avenue des Îles-d ’Or à Hyères. Elle prend place près de Jo à l’avant de sa Clio Baccara. Elle a emporté avec elle les dossiers qu’elle doit encore étudier au cours de la soirée. Comme de coutume, elle se place de trois-quarts sur son fauteuil, prenant appui à la fois sur la banquette et sur la porte du véhicule, afin de pouvoir parler de manière plus conviviale avec son chauffeur. Ce dernier met en général moins de 10 minutes pour franchir les 4km et demi qui séparent la permanence du Mas Bleu, la maison de sa patronne. L’itinéraire emprunté est toujours le même… la Clio traverse le quartier de la gare, coupé par un passage à niveau, grimpe la montée de Costebelle, puis s’engage sur la petite route sinueuse, abrupte, toute en lacets et en épingles du Mont des Oiseaux. Ce soir-là est un soir de pleine lune…

Jo Arnaud conduit tranquillement, à vitesse modérée. Il ne remarque rien d’anormal, du moins jusqu’à l’avenue des Roitelets, moins d’un kilomètre avant le domicile de sa patronne. Soudain, au dernier virage avant le sommet, une épingle très raide qui oblige la voiture à repasser en première vitesse, une moto surgit, « comme un diable de sa boîte » dira Jo. La lunette arrière de la Clio explose… Yann Piat hurle « Jo, on nous tire dessus ! ». La moto et ses deux occupants est environ à deux mètres derrière la voiture de l’élue. Puis elle se porte à hauteur du véhicule, côté droit et le passager arrière tire à nouveau. La vitre de la portière arrière éclate à son tour. Six balles touchent la Clio. Yann Piat s’écroule sur son siège. Jo Arnaud ressent une violente douleur à la cuisse gauche. Sa patronne a été touchée d’abord au poumon droit, puis une balle est venue transpercer l’artère pulmonaire, provoquant une hémorragie massive… La moto a maintenant dépassé la voiture des victimes à toute allure. Mais le pilote négocie mal le virage suivant. La moto glisse, le conducteur est coincé sous la machine. Son passager, lui, n’est pas tombé. Il se dirige maintenant, à pied, vers la voiture et ouvre à nouveau le feu. Jo Arnaud l’aperçoit dans le faisceau de ses phares. « On aurait dit un extra-terrestre », racontera-t-il plus tard aux enquêteurs. « J’ai cru que mon dernier moment était arrivé ! J’ai alors glissé ma jambe blessée contre l’embrayage, puis de mon pied valide, j’ai accéléré comme un fou en marche arrière, j’ai fait une manœuvre dans le virage en épingle et je suis reparti en direction d’Hyères, je pissais le sang … » Aux côtés de son chauffeur, Yann Piat gémit. Jo raconte encore : « Elle s’était ramassée sur elle-même, comme une poupée de chiffons, la tête et le buste penchés en avant. Elle murmurait : « sauvez-moi, sauvez-moi, je ne veux pas mourir… »

Il est 20h12 précises lorsque la Clio s’engouffre, au bas de la colline, dans la cour d’une caserne de pompiers. Face à l’urgence de la situation, le sergent-chef Ruiz, de permanence ce soir-là, appelle aussitôt le SMUR de l’hôpital d’Hyères. Les médecins arrivent moins d’un quart d’heure plus tard. Malgré un massage cardiaque et une injection d’adrénaline pour tenter de faire repartir le cœur, ils ne peuvent que constater le décès de la députée, à la suite d’une hémorragie interne massive. 

L’annonce de l’attentat, qui n’a duré au total que trois minutes, frappe de stupeur ceux qui l’apprennent par les radios qui enchaînent toute la soirée les flashs spéciaux… Première réaction du procureur de la république de Toulon, André Ride : « Il s’agit d’un contrat ! ». 

Seuls les amis et les proches de Yann Piat ne sont pas vraiment surpris. Ils racontent aux journalistes que la députée se sentait menacée depuis de longs mois. En 1993, des gros bras, liés au parrain de la pègre du Var, Jean-Louis Fargette, sont venus perturber un de ses meetings. Sa permanence a été plastiquée. 

Sa lutte assumée contre les liens entre le milieu politique et la pègre lui avaient valu les surnoms de « Yann d’Arc » ou encore de « Yann Courage ». Elle appelait son département « le Var ouest » ! Référence au « Far West » !  

15 jours avant d’être abattue, le 11 février, elle s’était ouverte de ses craintes à Bernard Tomasini, le chef de cabinet du ministre de l’Intérieur de l’époque, Charles Pasqua. Au cours de sa conversation avec le haut fonctionnaire, elle avait dénoncé l’emprise grandissante de la mafia dans son département, mettant en cause des élus de son propre camp. 

Certains figureront d’ailleurs dans une première grande rafle des enquêteurs quelques jours après sa mort. Ce sera le cas, entre autres, de son grand rival UDF dans la course à la Mairie d’Hyères, Joseph Sercia, et de Michel Hamaïde, un conseiller général, ancien suppléant de François Léotard. Mais ils seront rapidement mis hors de cause et libérés. Cette « piste politique » sera renforcée pourtant, quelques temps plus tard, par la découverte au domicile de la députée d‘une lettre avec cette mention sur l’enveloppe : « à n’ouvrir qu’en cas de mort suspecte ». Yann Piat y désignait cinq personnes à entendre selon elle en priorité s’il lui arrivait quelque chose. On y trouvait les noms de représentants du milieu local mais aussi ceux de personnages politiques très haut placés dans la région PACA. 

La piste politique sera finalement abandonnée et les personnes désignées blanchies. Le seul qui ne pourra pas être interrogé a été mystérieusement abattu un an plus tôt. Il s’agit de Jean-Louis Fargette, le parrain, qui lui vouait une haine farouche parce qu’elle avait décidé de moraliser les pratiques socio-économiques locales et de se présenter aux prochaines élections municipales pour être élue maire de la ville d’Hyères. En cas de victoire, elle voulait s’opposer concrètement à l’agrandissement de l’aéroport de Toulon-Hyères et à des projets immobiliers, comme la construction d’une marina sur la presqu’île de Giens. « Ils ne vont pas être déçus. Nous exigerons un appel d’offres avec ouverture des plis contrôlée par huissier pour l’aménagement du territoire de la commune. C’est un marché de 316 milliards, pour 14000 hectares disponibles. Ils ne reculeront devant rien », avait-elle déclaré.

Où est donc la vérité dans cette affaire ? Quelles autres hypothèses pourraient-elles expliquer qu’un contrat ait pu être lancé sur la tête d’une élue de la République ? La thèse du crime crapuleux, de la vengeance d’une petite bande de voyous locaux qui gravitaient autour du bar « le Macama » est-elle réellement solide ? c’est pourtant celle qui a finalement été retenue par la justice. Sur les sept suspects jugés, Lucien Ferri, le tireur, et le patron du bar, Gérard Finale, seront finalement condamnés à la prison à perpétuité.  Mort en 2010 à 65 ans, Gérard Finale, le présumé commanditaire de l’assassinat a emporté son secret dans la tombe. 

Texte & Voix : Jacques Pradel

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