SPAGGIARI – LE CASSE DU SIÈCLE
Spaggiari est un beau gars, brun et longiligne. S’il est auditionné aujourd’hui par un juge d’instruction c’est parce qu’il serait la tête pensante de l’un des plus beaux casses de l’histoire du banditisme français.
Une famille massacrée, un vieillard accusé, en 1952, la France se passionne pour l’affaire Dominici.
Texte : Alexis Kebbas Voix : Eric Lange
Dimanche 28 novembre 1954, devant le Palais de justice de Digne, une foule compacte, dont 150 journalistes présents sur place, résiste à une pluie battante. Elle attend le verdict d’un procès qui passionne et divise la France.
Après 12 jours d’audience où les contradictions ont fusé et aucune vérité n’a vraiment émergé faute de preuves, le verdict de la cour d’assises tombe.
Les juges déclarent GASTON DOMINICI, 77 ans coupable sans circonstances atténuantes. Il est condamné à mort pour le triple meurtre d’une famille de campeurs britanniques, les DRUMMOND.
Lire la suiteDeux ans plus tôt, dans la nuit du 4 au 5 août 1952, le long de la Route Nationale 96 qui traverse la commune de Lurs dans les Alpes de Hautes Provence, un couple de Britanniques, Lady Anne et Sir Jack Drummond, garent leur break vert olive immatriculée en Grande Bretagne sous un mûrier jauni pour camper avec leur fille de 10 ans, Elizabeth.
Le lendemain matin, Gustave Dominici, un des fils de Gaston, découvre leurs cadavres suppliciés. La ferme aux volets éternellement clos de la Grand’Terre où habite la famille Dominici se trouve de 150 mètres des lieux du triple crime…
C’est en allant constater les dégâts d’un éboulement sur les terres de la ferme autour de 6 heures du matin, que Gustave Dominici déclare avoir d’abord aperçu le cadavre de la petite Elizabeth, en contrebas du pont enjambant la voie ferrée qui longe la RN 96.
Gustave interpelle alors un motard qui passe, afin qu’il prévienne les gendarmes.
Anne Drummond est étendue non loin de la voiture familiale. Son mari, Jack, gît de l’autre côté de la route. Le couple a été abattu de plusieurs coups de feu. Un peu plus loin, comble de l’horreur, gît la fillette, le crâne fracassé.
L’enquête est confiée au commissaire de police Edmond Sébeille de la 9e Brigade mobile de Marseille. À 15 heures, le juge Périès, chargé de l’instruction, ne voyant pas venir les policiers de Marseille, décide de la levée des corps qui s’effectue à 15 h 30.
À l’arrivée des policiers, une altercation éclate entre le commissaire Sébeille et le juge Périès à qui il reproche de ne pas avoir contenu la foule de badauds et de journalistes qui piétine et fouille le périmètre du crime.
Les enquêteurs se mettent en quête de l’arme du crime. Ils la trouvent en contrebas de la voie ferrée : C’est une carabine USM1, vestige de la Seconde Guerre mondiale et des maquis de la Résistance. Elle est cassée en deux.
Dans leur esprit, un scénario se dessine : le couple aurait été assassiné par balles et la petite, tentant d’échapper à la mort, se serait enfui avant d’être rattrapée et massacrée à coups de crosse.
Rapidement, les soupçons se portent vers la famille Dominici, Gaston, le patriarche taiseux d’origine italienne, sa femme Marie, leur fils, Gustave et Yvette leur belle-fille.
Dès le premier jour, Gaston Dominici avec sa tête de vieillard rusé de 75 ans, ses pantalons de velours, sa ceinture de flanelle, son chapeau à large bord et son éternelle canne à la main, donne le sentiment de chercher à orienter l’enquête. En allant jusqu’à offrir son vin aux gendarmes.
Les Dominici sont une famille provençale de paysans bourrus et durs au mal qui vit comme un clan, sous l’autorité ombrageuse et sans partage de Gaston, qui se flatte de n’être parti de rien, d’avoir acquis assez de terre pour être considéré et d’avoir élevé ses 9 enfants, vu naître ses 14 ou 15 petits-enfants sans rien devoir à personne.
En ce début de mois d’août 1952, où les journalistes n’ont pas grand-chose à mettre en une, l’affaire fait les gros titres des journaux en France et en Angleterre. Ils arrivent en masse, mais les détails croustillants se font rares. Alors ils promettent des primes à quiconque fourniraient des informations. Certains publient même des déclarations de « témoins » plus ou moins fiables. Un reporter de France Soir va jusqu’à rédiger un faux journal intime de la jeune Elizabeth.
En 1952, nous sommes aussi en pleine guerre froide. On imagine des complots partout : Jack Drummond serait un membre des services secrets anglais assassiné par les Soviétiques. Des témoins disent avoir aperçu un commando. Mais cette « piste » est invérifiable.
Même le puissant Parti communiste français s’immisce dans le débat. Selon eux, Gaston Dominici, un ancien résistant et proche du PCF, est un modeste paysan oppressé par la police et le régime. La confusion règne à tous les niveaux de l’enquête.
48 heures après le drame, le 6 août 1952 les premières auditions des Dominici ont lieu.
Et les premières invraisemblances apparaissent.
La famille de paysans affirme avoir entendu les coups de feu mais non les cris et les appels de détresse des victimes. Le vieux Gaston s’attribue la découverte de l’éclat de crosse de la US M1 et prétend l’avoir trouvé à 30 cm de la tête de la petite victime, peu après 8 heures, en recouvrant le corps de la fillette avec une couverture.
Gustave, le fils, affirme avoir d’abord découvert la fillette, puis les cadavres des parents.
Les enquêteurs en doutent : en se rendant sur les lieux de l’éboulement, il est nécessairement passé devant la dépouille des époux. Alors Gustave change de version trois fois, quatre fois, dix fois. Rien ne colle. Tantôt la petite était encore vivante quand il l’a découverte ; tantôt il a bien vu le cadavre de sa mère, mais n’y a pas touché ; tantôt il l’a déplacé.
A chaque fois, il déclare avoir menti pour ne pas avoir d’ennuis, et affirme que, cette fois, il dit toute la vérité… Avant de transformer à nouveau ses propos !
Pendant plus de 15 longs mois, l’enquête piétine et le mystère s’épaissit.
Puis dans l’après-midi du 13 novembre 1953, au cours d’un énième d’interrogatoire, Gustave, le fils, craque. Il accuse son père Gaston d’être l’auteur du triple meurtre.
Puis c’est Clovis, un autre frère, qui charge, lui aussi, son père. Il évoque une conversation où son père lui a révélé, fin novembre 1952, qu’il est l’auteur du triple crime.
Convoqué, Gaston commence par nier puis dans la journée du 14 novembre, à 19 heures, alors qu’il est en tête-à-tête avec le gardien de la paix Guérino, il s’accuse du meurtre des Drummond tout en précisant qu’il s’agit d’un accident : les Anglais l’ont pris pour un maraudeur et l’ont attaqué.
Plus tard dans la nuit, il renouvelle ses déclarations au commissaire Sébeille.
Gaston prétend alors avoir vu Mme Drummond se déshabiller et lui avoir proposé un rapport sexuel. Le bruit de leurs ébats aurait réveillé le mari. Une bagarre aurait suivi et Gaston aurait fait taire le mari bafoué par trois tirs, dont deux de face, avant de tirer une fois ou deux sur l’épouse Drummond.
La petite Elizabeth qui s’était enfuie vers le pont, aurait été rattrapée par Gaston, et il l’aurait assommée d’un seul coup de crosse sur la pente de la Durance.
Cette nouvelle version ne semble pas plus crédible que les précédentes.
D’autant que le cadavre de Lady Anne Drummond a été retrouvé entièrement habillé.
3 jours après les premiers aveux de Gaston Dominici, le matin du 16 novembre 1953, une reconstitution est réalisée sur les lieux du crime.
A 9 heures 15, le vieux Dominici, enfoui dans son pardessus au col relevé, descend d’une traction avant entre le juge d’instruction Périès et le commissaire Sébeille.
Les trois hommes gagnent le terre-plein de la ferme. Les photographes, les journalistes se précipitent et se heurtent à un peloton de gendarmes qui les maintient au bord du fossé.
Alors que la reconstitution tire à sa fin, Gaston Dominici tente de se suicider en se jetant sur la rambarde du pont. Il s’en faut d’une seconde qu’il tombe sur la voie ferrée. Mais les gendarmes sautent aussitôt sur lui et le maîtrisent.
Cette tentative de suicide est aussitôt interprétée comme un aveu de culpabilité.
À l’issue de la reconstitution, le vieux Dominici est officiellement inculpé du triple meurtre à la prison Saint-Charles de Digne-les-Bains.
Dans les jours qui suivent l’incarcération de Gaston, la presse l’accable, le traitant de « tueur tatoué », de « sanglier des Basses-Alpes », de « monstre de Lurs » et encore de « bouc lubrique ».
Il est soupçonné de relations contre nature avec ses chèvres. On parle d’adultère, de beuveries et de violences familiales. Les filles et femmes Dominici sont accusées d’avoir tous les vices.
Depuis sa cellule, Gaston revient encore sur ses aveux. Le patriarche accuse ses fils Gustave et Clovis d’avoir fomenté un complot contre lui avant de rejeter la responsabilité du triple meurtre sur son fils Gustave.
Après un an d’instruction, le ministère public considère qu’il dispose d’assez d’éléments et renvoie Gaston Dominici devant la cour d’Assises de Digne, le 17 novembre 1954, pour le triple assassinat des Drummond.
Pour la justice, les conclusions de l’enquête sont les suivantes :
Préoccupé par un éboulement sur ces terres, Gaston Dominici s’est relevé dans la nuit du 4 au 5 Août, pour inspecter son champ et n’a pu que passer devant le campement des vacanciers.
Son arrivée impromptue au milieu de la nuit effraye les Drummond. Il s’ensuit une dispute. Gaston repart chercher la carabine. Les choses tournent mal. Anne et Jack Drummond sont tués.
Restent des questions : Quid de la petite, retrouvée près de 100 m plus loin ? S’est-elle enfuie où a-t-elle été transportée et tuée sur place, comme semble le suggérer l’absence de marques sous ses pieds nus ?
Gaston a-t-il demandé de l’aide aux siens pour la transporter ? Ou pour la tuer ? Cela pourrait permettre de comprendre les silences des Dominici.
Pour les gendarmes, la pièce à conviction déterminante, c’est l’arme du crime. : Cette carabine une carabine USM1 a été utilisée par le réseau de résistants auquel a appartenu Gaston Dominici pendant la guerre.
Et cette arme, on l’a longtemps vue dans l’étable de la ferme.
Le procès se tient au Tribunal de Digne, les avocats de Gaston Dominici sont des ténors du barreau de l’époque, Maîtres Pollack, Charrier et Charles-Alfred.
Après 12 jours de débats et de confrontations enflammés, le verdict tombe, le 28 novembre 1954.
Gaston Dominici est rendu connu coupable du triple meurtre d’Ann, de Jack et d’Elizabeth Drummond.
Il est condamné à mort est transféré à la prison des Baumettes à Marseille dans l’attente de l’exécution de sa peine.
Quelques jours après sa condamnation… nouveau rebondissement !
Gaston Dominici convoque ses avocats afin de leur faire part « d’importantes déclarations ».
Il affirme avoir surpris le matin du meurtre une conversation entre son fils Gustave et son épouse Yvette où il était question de fillette déplacée et de bijoux.
A la suite de ce énième revirement, la police décide de rouvrir le dossier, mais la culpabilité de l’accusé allait être finalement réaffirmée, sans qu’aucune preuve irréfutable du crime ne soit apportée.
Trois ans plus tard après sa condamnation à mort, le 3 août 1957, le président René Coty commue la peine capitale de Gaston Dominici en travaux forcés à perpétuité, elle-même transformée en prison à vie, en raison de son âge : 80 ans.
Charles de Gaulle, le président de la République qui succède à René Coty, gracie ensuite Gaston Dominici, le plus ancien des prisonniers français, le 13 juillet 1960.
Le patriarche Dominici, qui n’est plus que l’ombre de lui-même et a perdu ses moustaches broussailleuses légendaires, quitte la prison des Baumettes, le 14 juillet 1960 au matin.
Après un passage à Grand’Terre, sur les lieux du triple crime, il s’installe chez sa fille Clotilde à Montfort. Il y est assigné à résidence dès le mois d’août 1960.
Contraint de vendre sa ferme pour payer les frais de justice, Gaston Dominici entre à l’hospice de Digne où il meurt en 1965, à l’âge de 88 ans.
Ses obsèques ont lieu, le 5 avril 1965, à Peyrius, le lieu de résidence de son fils Gustave, en présence de deux cents personnes.
Le vieil homme est mort sans avoir livré son secret. Qui dure encore.
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