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AGNÈS LE ROUX – HÉRITIÈRE, MILLIONNAIRE, DISPARUE !

AGNÈS LE ROUX – HÉRITIÈRE, MILLIONNAIRE, DISPARUE !

Texte : Morgan Tatincloux Voix : Michel Élias

Nice. Février 1978.

Deux policiers arrivent au 99 boulevard Carnot. Un immeuble cossu et moderne qui domine la Baie des Anges. 

Un serrurier, boîte à outils à la main, les attend sur place. Sur le palier du dernier étage, l’artisan perce la serrure de l’appartement et finit par la faire sauter à grands coups de marteau. L’homme reste sur le pas de la porte et laisse passer les deux agents de police. En poussant la porte d’entrée, celle-ci résiste légèrement. En baissant les yeux sur le sol, les agents découvrent un amoncellement de courriers, journaux et enveloppes fermées.

Il n’y a personne et tout semble en ordre. Cependant, les plantes sont desséchées. Une fine pellicule de poussière recouvre certains meubles et une forte odeur de renfermé donne à l’appartement une atmosphère étrange. Les enquêteurs comprennent très vite que personne n’a mis les pieds ici depuis un long moment. 

Ils ouvrent les fenêtres et actionnent le répondeur qui se met à diffuser plusieurs messages, tous plus ou moins semblables : “Agnès tu es là ? Rappelle-moi s’il te plait”, “Agnès c’est Annie, on commence à s’inquiéter à la boutique. Qu’est ce qui se passe ?” , Tout le monde t’attend pour le repas. Je te rappelle que c’est Noël. Maman commence à s’impatienter”. Agnès c’est ta mère au téléphone, je m’inquiète pour toi. Où es- tu ?”

Les deux hommes font le tour du propriétaire. Les vêtements sont dans la penderie, les produits de beauté dans la salle de bain et les valises sont vides. En survolant le bureau un des inspecteurs remarque, bien en évidence, un message manuscrit pour le moins intrigant pour ne pas dire inquiétant : 

“Désolé, je dérape. Ici se termine mon chemin. Tout est bien. Agnès. 

Je désire que Maurice s’occupe de tout” 

Avec ces mots, commence l’une des plus grandes énigmes judiciaires françaises. Une enquête sur plusieurs décennies où se mêle héritage, trahison, secret et mafia : l’affaire Agnès Leroux. 

Sur la côte d’Azur, Agnès 29 ans longue chevelure noir de jaie et regard de braise n’est pas une inconnue. Elle est une riche héritière. C’est la fille de Renée Leroux, la propriétaire du célèbre casino, le Palais de la Méditerranée, situé sur la Promenade des Anglais 

Ex mannequin pour la maison Balenciaga, Renée Leroux, 55 ans, a repris les rênes du casino en 1976 après le décès de son époux.

Elle possède, en indivision avec ses quatre enfants, 50% des parts de la société.

Le reste est détenu par d’autres actionnaires associés. 

Quelques mois avant sa disparition, Agnès Leroux était rentrée d’Afrique, fraîchement divorcée prête à vivre une nouvelle vie. 

Indépendante, rebelle et imprévisible, Agnès réclame à sa mère sa part d’héritage pour pouvoir ouvrir la boutique d’art et de livres qu’elle aimerait tant. 

Renée refuse. Impossible pour elle de lui racheter ses parts qui s’élèvent à près de 3 millions de francs. Car malgré les apparences, derrière la façade d’un blanc immaculé au style art déco, les caisses du Palais de la Méditerranée sont dans le rouge.

Depuis 1975, mafieux et hommes d’affaires se livrent à une véritable guerre des casinos sur la Riviera. Le Palais de la Méditerranée est l’objet de toutes les convoitises. En particulier celle de Jean Dominique Fratoni, le sulfureux propriétaire du casino concurrent, le Rhul. Malgré les intimidations de Fratoni et du milieu, Renée Leroux refuse de se plier. Elle ne craint rien, ni personne.

Au début de l’été 77, un joueur chanceux fait sauter la banque du Palais à une table de jeu. Le jackpot est de 40 millions de francs. Renée Leroux soupçonne Fratoni d’avoir truqué la partie à l’aide de complices pour faire couler le casino. En bon samaritain, l’homme d’affaires propose son aide pour reprendre le casino. Renée ne cède toujours pas. 

Agnès, elle, ne se soucie pas vraiment de cette guerre de gros sous. Agnès est surtout une jeune femme amoureuse. Et pas de n’importe qui : de Maurice Agnelet. 

Agnelet, 39 ans, est l’avocat de sa mère et représentant fidèle du casino. C’est un homme séducteur et prétentieux. Bien que marié et père de deux enfants, Maurice multiplie les conquêtes. Par ailleurs il se verrait bien aussi changer de carrière et devenir LE nouveau directeur des jeux du Palais. Renée, elle, n’est pas de cet avis. Ce refus catégorique fait naitre chez l’avocat un désir de vengeance. 

Sous les conseils sournois d’Agnelet, Agnès entre en contact avec l’ennemi juré de sa mère. Fratoni reçoit les deux amants dans sa luxueuse villa baignée de soleil. Avide et sans scrupule, il propose un marché à Agnès : 3 millions de francs sur un compte en Suisse en échange de son vote contre la réélection de sa mère à la tête du casino à la prochaine assemblée générale.

Déjà en accord avec les autres actionnaires du casino, une voix supplémentaire d’un des enfants Leroux lui assure le Palais de la Méditerranée. Agnès accepte. Elle vient de signer un pacte avec le diable. Maurice se charge du transfert d’argent et ouvre un compte à leurs deux noms sur la demande d’Agnès.

Le 30 juin 1977, se tient l’assemblée générale du Palais de la Méditerranée. Autour de la grande table de la salle de réunion enfumée, Renée Leroux préside la séance. Les enfants Leroux et les actionnaires extérieurs se font face.

C’est le moment de passer au vote pour confirmer Renée à la Présidence du Casino. Renée Leroux se sait en sécurité grâce au vote de ses enfants.  

A la question “qui vote pour ?” Les mains de Renée Leroux et de ses enfants se dressent à l’acceptation de celle d’Agnès. Renée ne comprend pas.

Muette, Agnès fuit le regard de sa mère qui lui repose la question. Agnès ne réagit pas et fixe la cigarette qui se consume lentement dans le cendrier face à elle. Toute la table est abasourdie. 

La voix tremblante Renée, poursuit. “Qui est contre ?”

Du côté des actionnaires, toutes les mains se lèvent, timidement suivie par celle d’Agnès. Trahie par sa propre fille, Renée Leroux perd la présidence de son casino.  Elle est abattue. Agnelet présent lui aussi, observe la scène impassible, intérieurement, il jubile. Quelques mois plus tard Agnès disparaît. 

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En recoupant les courriers découverts chez la jeune héritière, la police parvient à fixer la date de la disparition d’Agnès au week-end de la Toussaint 77. La piste du suicide est très vite écartée et les soupçons se portent sur Agnelet.

Renée Leroux en est certaine. Elle accuse non seulement l’avocat d’être à l’origine de cette disparition mais aussi Fratoni d’avoir organisé sa chute. 

Une perquisition dans le cabinet de l’avocat permet aux enquêteurs de faire une découverte assez étrange. Dans un des tiroirs du bureau où trône fièrement une photo de sa femme et de ses enfants, un des agents trouve une photocopie du message écrit par Agnès avant sa disparition. 

“Désolé, je dérape. Ici se termine mon chemin. Tout est bien. Agnès. 

Je désire que Maurice s’occupe de tout”. 

A la vue de ce papier, Agnelet tente le bluff, mais se sent soudain pris de vertige et de bouffées de chaleur. Emmené chez le juge, Agnelet au pied du mur admet avoir joué un rôle dans l’achat du vote d’Agnès par Fratoni. Quant à la photocopie du mot laissé par Agnès, il explique simplement que c’est elle qui le lui a donné pour le conserver, sans aucune explication. Agnelet ressort libre, mais reste dans le viseur de la police.

En interrogeant le compte bancaire d’Agnès, les enquêteurs s’aperçoivent qu’Agnelet a déplacé une grande partie des 3 millions de francs sur l’un de ses comptes personnels. Pour les enquêteurs l’avocat est bel et bien le suspect idéal. 

Un an après sa disparition, toujours aucune nouvelle d’Agnès. Sa Range Rover blanche reste elle aussi introuvable. Aucun corps n’a été signalé. 

Interrogée par la police, Françoise Lesseure, la seconde maîtresse d’Agnelet, lui offre un parfait alibi. Elle affirme avoir passé le week-end de la Toussaint 77 avec lui en Suisse. La police, embourbée dans cette affaire, ne remet pas en cause ce nouveau témoignage laissant ainsi Agnelet en liberté.

Il sera tout de même rayé du barreau pour manquement professionnel. 

Les années passent et l’enquête est au point mort.

L’absence d’Agnès se fait de plus en plus pesante pour le clan Leroux.

Sa mère ne lâche rien et maintient la pression sur la police.

En 1983, un mandat d’arrêt est lancé pour abus de confiance et homicide contre Maurice Agnelet qui est parti refaire sa vie au Canada. 

Le 8 août, son avion se pose à Orly où il est arrêté sans résistance. Après deux mois de procès, la sentence tombe. 24 mois fermes pour abus de confiance et achat de vote. Quant au second chef d’accusation, celui d’homicide, Agnelet bénéficie d’un non-lieu, faute de preuves suffisantes. 

23 ans sont passés. 

Le fantôme d’Agnès plane toujours au-dessus de la Baie des Anges.

A presque 80 ans, sa mère continue son combat et mène une véritable contre-enquête pour retrouver l’assassin de sa fille. A l’aide de détectives privés, elle constitue des dossiers d’accusations, épluche les textes de loi et se démène pour requalifier sa plainte pour éviter la prescription qui approche. 

En 1999, Renée Leroux trouve la faille juridique. Elle accuse Agnelet de recel de cadavre et Françoise Lesseure de complicité. Une aubaine, le recel de cadavre n’est soumis à aucune prescription. 

Françoise Lesseure prend peur.

Face au nouveau juge chargé de l’affaire, elle avoue avoir menti par amour, victime de l’emprise de son amant.

La jeune femme était bien en Suisse le week-end de la Toussaint, mais elle y était seule.

Elle raconte avoir retrouvé Agnelet sur une aire d’autoroute pluvieuse peu après la disparition d’Agnès. Il lui a alors demandé de mentir pour lui éviter les problèmes. 

Avec cette déclaration, c’est toute la défense d’Agnelet qui s’effondre. 

Le dossier est rouvert, l’affaire reprend.

Le face-à-face est relancé.

Renée Leroux vient de faire tapis.

2006, nouveau procès. 

La cour est pleine à craquer. L’ancien avocat apparaît vieilli et fatigué au tribunal. Ses deux fils ainsi que sa femme sont à ses côtés. D’une voix tremblante, il continue de clamer son innocence devant les nombreuses caméras de télévision. 

Tout le monde attend le verdict de cette incroyable saga criminelle qui se joue depuis plusieurs décennies.

Les avocats des deux camps se livrent à un véritable match de boxe.

Dans le box des accusés, Maurice Agnelet ignore avec froideur et dédain le regard perçant et déterminé de Renée Leroux. Après 4 mois de procès, les dés sont jetés. Agnelet est une nouvelle fois acquitté au bénéfice du doute. 

Renée Leroux, fidèle à elle-même, fait appel. 

1 an plus tard et contre toute attente, le jury, sans qu’aucune nouvelle pièce ne soit versée au dossier, déclare Maurice Agnelet coupable de l’assassinat d’Agnès Leroux. Il est condamné à 20 ans de prison. Renée Leroux peut enfin faire son deuil. 

Agnès est déclarée officiellement décédée. 

La date de sa mort est fixée au 26 octobre 1977 à Nice.

Mais les règles du jeu semblent ne pas avoir été respectées. 

En 2013, la Cour européenne des droits de l’homme attaque la France et remet en cause le motif même de l’incarcération de Maurice Agnelet à savoir, le meurtre. Et c’est là tout le problème de cette affaire. S’il n’y a pas de cadavre il ne peut y avoir de meurtre ?! 

Résultat, un nouveau procès s’ouvre en 2014. 

Les jours défilent. Toujours le même cortège d’arguments et toujours la même énumération de faits. Ce procès c’est un peu comme un jour sans fin … jusqu’à ce que Guillaume, l’un des fils de Maurice ne fasse savoir qu’il souhaite s’exprimer à la barre. C’est le coup de théâtre !   

Il dit vouloir soulager sa conscience et délivre alors dans les détails un lourd secret de famille. C’est son père qui aurait tué Agnès d’une balle dans la tête au beau milieu d’une forêt en Italie. C’est encore son père qui aurait ensuite laissé le corps dénudé d’Agnès sur place et abandonné la voiture avec les clés sur le contact avant de rentrer à Nice en train. L’audience est captivée par le récit du fils qui affirme que son frère et sa mère sont eux aussi dans la confidence. L’avocat d’Agnelet reste silencieux et déstabilisé par cette révélation. Son père, ne réagit pas.

Il reste fuyant et impassible devant cette révélation  

A l’issue de ce procès épuisant, le verdict est sans appel.

Agnelet est, de nouveau, condamné à 20 ans de réclusion criminelle. Il obtient une libération anticipée en 2020 pour raison de santé et meurt à l’âge de 82 ans en Nouvelle-Calédonie au côté de son autre fils Thomas. 

Renée Leroux est décédée le 6 juin 2016 à 93 ans après 30 ans de lutte acharnée pour la mémoire de sa fille. 

Le corps d’Agnès Leroux n’a jamais été retrouvé …

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