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TOURISME SPATIAL – Nos bons plans !

TOURISME SPATIAL – Nos bons plans !

16 septembre 2021, Centre Spatial Kennedy en Floride. Dans l’ascenseur qui les monte à 77 m du sol, 2 hommes et 2 femmes non professionnels s’apprêtent à partir 3 jours, seuls dans l’espace. 

Le voyage est organisé par la société SPACEX appartenant au milliardaire Elon Musk.

Tout sera contrôlé depuis la terre. Les passagers ne piloteront pas.

Ce sont des touristes.

Les médias du monde entier ont les yeux rivés sur le pas de tir.

Tout le monde a en mémoire l’explosion de la navette Challenger, en 1986, quelques instants après son décollage.

7 astronautes avaient été tués.

Dont Christa McAuliffe, professeur de sciences sociales.

Elle était la première passagère civile à monter dans une fusée.

Elle aurait dû être la première touriste de l’espace.

Les quatre passagers du jour, prêts à risquer leur vie, ce sont Jared Isaacman, un riche homme d’affaires passionné d’aviation. C’est lui qui paye pour tout le monde, plusieurs dizaines de millions de dollars. 

Hayley Arceneaux, rescapée d’un cancer, qui travaille à l’Hôpital pour enfants Saint Jude pour lequel Isaacman a justement lancé une levée de fonds. 

La professeure de Sciences de la Terre, et pilote, Sian Proctor. Elle a toujours rêvé de partir dans l’Espace, en hommage à son père technicien pour la mission Apollo.  

Enfin, Chris Dembroski, un ancien soldat de l’armée de l’air, sélectionné pour sa générosité au cours de la levée de fonds de l’hôpital. 

Un quatuor parfait. De belles valeurs. Un rêve américain.

Depuis des mois, on les prépare physiquement et psychiquement. Ils ont même dû gravir un sommet en haute montagne, pour tester leurs limites en milieu hostile. 

Isaacman sera le commandant de bord, il a appris les gestes à accomplir en cas de dysfonctionnement. 

Leur combinaison intégrale étanche et résistante aux flammes n’a plus de secret pour eux. Elle pourrait être leur dernier refuge. 

C’est le moment des au-revoir confiants. De passer un dernier coup de fil à la famille. De chaque côté, on sait que c’est peut-être un Adieu. Les proches ne sont pas au courant mais les voyageurs ont préparé des lettres à leur donner, au cas où ça tournerait mal.

Tout ce qu’ils vont vivre est prévu au moindre détail près. 

Montée dans le vaisseau. Installation. Attente. Rétractation des bras d’accès qui retiennent la fusée. Lancement confirmé. Compte à rebours. 

La fusée « FALCON 9 » se propulse vers le ciel avec, à son sommet, la capsule spatiale et ses 4 passagers. Au sol, on pleure, on applaudit. 

Dans 3 jours, si tout va bien, ils reviendront sur terre. À la maison. « Back home », comme on dit là-bas…

2mn 40 secondes plus tard, les deux étages de la fusée se séparent. 

Le premier redescend, il sera récupéré et réutilisé.

L’autre accélère et pousse la capsule à une vitesse suffisante pour qu’elle se mette en orbite. 

La capsule est détachée. Moteur coupé. 

Mise en orbite. C’est parti pour 45 tours de la Terre. 

Les passagers ont l’autorisation de retirer leurs combinaisons, pour profiter de l’apesanteur.  Un peu plus tard, ils pourront accéder à la coupole : un petit dôme de verre avec vue à 360 degrés sur le vide spatial, et la Terre.  

Sur fonds de noir absolu, elle apparait tout entière, sans frontière, colorée. Un moment inoubliable, qui vous change, parait-il, pour la vie. 

Faire le plein d’images. Inspirer le monde.

Elon Musk dit vouloir ouvrir les portes de l’espace au plus grand nombre. 

Ca ne vous rappelle rien cette expression ?

C’est celle des années 70, quand on inventait la démocratisation du voyage. On voulait ouvrir le monde au plus grand nombre.

50 ans plus tard, 1 milliard de touristes se baladent chaque année sur la planète.

Nos quatre passagers ouvrent une nouvelle voie. A presque 600 km d’altitude, des touristes spatiaux ont vue sur Terre, au-delà de l’ISS, la Station Spatiale

Internationale.

J’ouvre une parenthèse.

Savez-vous à partir de quelle altitude on est officiellement « dans l’espace » ? La limite, c’est ce qu’on appelle la ligne de Karman, du nom de l’ingénieur qui l’a définie : 100 km au-dessus du niveau de la mer. 

La Fédération aéronautique internationale, la FAI, est très stricte là-dessus. 

Les polémiques vont bon train car selon qu’on calcule en km ou en miles, certains diront « j’y suis », et d’autres « eh non tu n’y es pas » ! L’être humain et son ego… 

Parenthèse fermée.

Aujourd’hui, si vous avez les moyens de vous offrir un voyage dans l’espace, vous avez deux options.  

Le vol suborbital, bref et intense :  montée – descente. 

L’engin est lancé jusqu’à la fameuse ligne de Karman, à vitesse rapide, mais attention, le dosage est très précis, l’appareil ne doit pas aller trop vite sinon il commencerait à tourner en orbite.

Arrivé à bonne altitude, les moteurs sont coupés, vous savourez brièvement l’apesanteur, ensuite, le grand plongeon, retour sur terre et c’est fini. 

Un super grand huit !

Autre option, cette fois pour quelques jours : on vous emmène à bord d’un lanceur, sur la plateforme de la Station Spatiale Internationale. Là-haut, vous prenez les plus belles photos de votre vie, vous participez à quelques expériences utiles et si possible, vous n’empêchez pas les astronautes qui s’y trouvent de travailler. 

La construction de la Station Spatiale Internationale, l’ISS, a débuté en 1998, il y a moins de 25 ans. 400 mètres cubes, habitables, qui tournent en orbite autour de la terre. Les astronautes vont y travailler pour des missions de plusieurs mois.  

Au départ, il n’est pas question d’y faire monter des touristes.  Néanmoins, de temps en temps, la NASA fait exception. 

Entre 2001 et 2009, 7 personnes vont y séjourner, au compte-goutte. Le tout premier, Dennis Tito, paye quand même 20 millions de dollars.

Les Russes ne sont pas en reste. Depuis 2011, avec leur fusée Soyouz, ils ont quasiment le monopole des lancements. C’est eux qui envoient hommes et matériel sur la Station Spatiale.

Et eux aussi regardent du côté du tourisme spatial.

En 2021, l’agence spatiale russe Roscosmos envoie un milliardaire japonais sur la station spatiale internationale.

Il se nomme Yusaku Maezawa, il a payé entre 50 et 60 millions de dollars pour passer 12 jours dans la station, avec un assistant qui le filmait en permanence et des millions de followers ont suivi les vacances spatiales du touriste japonais.

C’est à la même époque qu’arrivent dans la course à l’espace, 3 milliardaires.

Ces 3 hommes sont les biens connus : 

Jeff Bezos, le président d’Amazon crée la société BLUE ORIGINS

Richard Branson, le créateur du groupe VIRGIN lance VIRGIN GALACTIC, enfin, Elon Musk, le patron de Tesla qui possède donc SPACEX.

Que vous proposent-ils ?

D’abord VIRGIN GALACTIC de Richard Branson. 

Vous montrez dans un petit avion spatial qui sera transporté par un avion porteur, Donc ce n’est pas une fusée, vous ne décollez pas à la verticale. 

Quand il arrive à 15 kilomètres d’altitude, hop, la navette se détache et monte vitesse grand V avec son moteur de fusée hybride, jusqu’à 80-100 km d’altitude. 

Puis, le moteur est coupé. 

Apesanteur, et redescente à la façon d’un planeur, pour atterrir en beauté sur une piste au Nouveau Mexique.

En 2021, une première touriste, Beth Moses, est invitée à tester la cabine arrière. Une expérience qu’elle qualifie d’indescriptible. 

Mais ce qui retient les esprits, c’est le vol de Richard Branson lui-même, le 11 juillet de la même année. Accompagné de 2 pilotes et 3 passagers, il est le premier milliardaire à aller dans l’espace avec un vaisseau privé. « Le plus beau jour de sa vie », dit-il. 

Enfin, dans l’espace… il y a controverse puisqu’il monte à 86 km, soit en dessous de la ligne Karman. 

Aujourd’hui, 700 touristes ont déjà réservé leur place pour s’envoyer bientôt en l’air avec VIRGIN GALACTIC, dont paraît-il, Ashton Kutcher, Leonardo DiCaprio, Justin Bieber et Lady Gaga. 

Prix des billets : 450.000 euros. Pour un vol de 90 mn, décollage et atterrissage compris, cela revient donc à 5000 euros la minute.

Regardons maintenant ce que vous propose BLUE ORIGINS, de Jeff Bezos. 

Vous vivrez des sensations très différentes. 

Cette fois vous partez en fusée, ou plutôt dans une petite capsule située à son sommet.

Comptez un peu plus de 10 mn, tout compris. 

Intense et rapide.  

La fusée NEW SHEPARD, vous propulse à la verticale. 

Même principe que précédemment, la capsule se sépare du reste et fonce jusqu’à 100 km d’altitude. Ligne de Karman atteinte, vous voilà dans l’espace. 

Moteur coupé. Rêve d’apesanteur exaucé. Redescente contrôlée et freinée grâce à l’ouverture de trois grands parachutes et de rétrofusées. Et c’est déjà fini. 

Le NEW SHEPARD fait la une quand, 9 jours après Richard Branson, cette fois c’est Jeff Bezos qui s’envole en 2021. Avec lui, son jeune frère, une aviatrice de 82 ans, Wally Funk pionnière de l’aviation, invitée de Jeff Bezos et Le dernier passager un jeune homme de 18 ans, Oliver Damen, dont le père a remporté la vente aux enchères du billet qu’il a acheté 28 millions de dollars…Il est le premier client payant de Blue Origin.

A l’heure où nous écrivons ce podcast, la 7ème mission habitée devrait bientôt être lancée. Aucun tarif n’a encore été fixé officiellement mais on parle d’un ticket à 250 000 dollars.

10 minutes.

25 000 dollars la minute.

Notre troisième agence, c’est celle d’Elon Musk, Space X.

Là, on a affaire à un autre type de voyage spatial.

Vous partez plusieurs jours, sur l’ISS ou, si l’opération est renouvelée, comme nos 4 touristes de tout à l’heure qui ont passé trois jours en orbite autour de la terre, dans une capsule spatiale, propulsée par une fusée.

Le coût du ticket serait de 50 millions de dollars.

Elon Musk franchit même une nouvelle étape avec l’hôtellerie spatiale.

Il s’est associé avec la société Axiom Space, pour ajouter une chambre à la Station Internationale. Une chambre grand luxe, dessinée par Philippe Starck. Elle pourra accueillir 8 touristes qui devront débourser 55 millions de dollars pour y passer dix jours…

Mais Elon Musk veut aller beaucoup plus loin. 

Les équipes de SpaceX travaillent activement pour le programme ARTEMIS, qui prépare le grand retour des humains sur la lune.

Une nouvelle fusée va sortir des usines. Ce sera le STARSHIP, le plus grand lanceur jamais construit, évidemment réutilisable, donc moins coûteux. 120 m de haut au total ! 

Le STARSHIP visera la lune, il pourra « allunir » quand une base sera construite pour les astronautes. A terme, un village lunaire, où on fera pousser des végétaux dans des circuits fermés. L’eau serait puisée au fond des cratères de glace.

Il n’y a pas encore de financement mais la graine est plantée.

Il est même prévu de créer un spatioport sur la lune, qui servira d’escale pour continuer plus loin. Et pour aller où ? Mars bien sûr…

Le milliardaire souhaite à terme transporter un million de tonnes de matériel utile, sur la planète rouge, pour y créer une ville autonome. 

Science-fiction ? Pour Elon Musk, c’est sans aucun doute la réalité de demain.

Alors, on applaudit ou pas ?  Pour certains, c’est dans la suite logique des choses et c’est un « plus » indéniable pour l’humanité.  

Le cheval, la voiture, le train, puis l’avion, et maintenant la fusée … après tout c’est dans la nature de l’humain d’inventer, de réserver la nouveauté à quelques-uns puis de la démocratiser au fil du temps. 

De plus, l’expérience bouleversante de l’espace permettrait de réaliser à quel point la terre est belle et fragile. Elle réveillerait les consciences.  Sur le site de VIRGIN GALACTIC, un onglet est même dédié à la promesse d’une « transformation cognitive ». 

Autre argument positif, si les vols se multiplient, de nombreux nouveaux emplois vont se développer.  Sans parler du marché qui va avec, les musées, les hôtels, les produits dérivés… 

Mais en passant outre le prix exorbitant d’un billet pour l’espace, en supposant même qu’il baisse un jour assez pour populariser le tourisme spatial, comment va le supporter notre cher climat, déjà bien mis à mal ?  

La combustion des produits qui propulsent les engins émet des quantités astronomiques de gaz à effet de serre, même si chaque engin a ses propres formules qui polluent plus ou moins.

Les centaines de tonnes de suies dégagées au décollage d’une fusée, et pendant son vol, continuent de se promener pendant bien 10 ans dans la stratosphère. 

L’empreinte carbone des passagers fera exploser les objectifs du « + 2 degrés » de l’Accord de Paris. 

Sur internet on trouve toutes sortes d’estimations alarmistes. Le lancement d’une fusée pour 4 passagers représenterait entre 200 et 300 tonnes de CO2. Ce qui représente 300 vols aller-retour, entre Paris et New York…

Tant que ce tourisme reste à la marge, c’est gérable, mais au-delà ? Imaginons une démocratisation du voyage spatial comme on a connu celle de l’avion : Comment envoyer des millions de touriste chaque année dans l’espace ? 

Pour beaucoup de scientifiques, polluer l’espace pour apporter des informations utiles à l’humanité, passe encore. 

Mais pour quelques moments de plaisir, ça se discute très sérieusement. 

Les entreprises qui se lancent dans le tourisme spatial ont d’ailleurs bien compris l’importance  de l’argument écologique.

Elles savent bien que les futurs clients sont d’une génération qui est plus sensible aux problématiques environnementales. Toutes annoncent rechercher les carburants les moins polluants possible.

Une start up française veut même utiliser la lumière du soleil comme source d’énergie.

Mais il y a d’autres problèmes à résoudre : les débris du ciel. 

Vous ne les voyez pas mais des millions d’objets gravitent au-dessus de nos têtes. Et plus il y en a, plus il y a de risques de collisions.  La destruction d’un seul satellite, par exemple, peut créer près de 10 000 débris.

Vous avez peut-être entendu parler des « constellations de satellites » que Elon Musk veut installer ? 

Des milliers de satellites déployés autour de la terre. Leur premier objectif est d’offrir des connexions haut débit à tout le monde. Du réseau pour tous, même dans les zones les plus reculées du monde. Mais le ciel sera beaucoup plus embouteillé de matières créées par l’homme. Peut-être parlera-t-on un jour d’accidents de l’espace comme on parle d’accidents de voiture.

Dommage collatéral du déploiement de tous ces satellites, on ne verra plus les étoiles…

Enfin, revenons à la source, à notre propre corps. Partir en virée spatiale lui fera-t-il du bien ? 

Pas évident.

L’humain n’est pas conçu pour vivre dans l’espace. Il y est hors de son élément vital.

Même si vous avez suivi une préparation de quelques jours à quelques mois, vous risquez d’avoir des nausées, des vomissements, des maux de têtes. Votre squelette, vos muscles, votre cœur, sont mis à rude épreuve.  Bien sûr, s’il s’agit d’une fois… mais imaginons que cela devienne récurrent ? 

Même si vous êtes immobile dans votre siège, la propulsion s’apparente davantage au sport extrême, d’autant que ce n’est que le début de bien d’autres sensations.

Autre problème de taille : sans atmosphère, nous ne sommes plus protégés contre les particules énergétiques du soleil. Un terrain favorable au cancer. Tous les professionnels de l’espace sont régulièrement contrôlés sur ce point. Comment réagiront les corps des visiteurs de la lune ou un jour, de Mars ? Vont-ils muter peu à peu ? S’adapter ? S’abîmer ?

N’oublions pas que si l’homme n’est plus protégé par son vaisseau, il n’a aucune chance de survie. Il ne peut pas tenter de nager, comme après un naufrage. Ou survivre, même quelques heures, comme en haute montagne ou dans le désert. L’univers est irrespirable. Minéral. Il ne veut pas de l’homme.

Et on ne parle pas de l’absence de risque zéro et des risques d’explosions, surtout au décollage. 

Ça aussi, sans doute, ça évoluera. Mais aujourd’hui, voilà où nous en sommes.

Quant à l’esprit, parlons-en. Le blues de l’espace, les astronautes connaissent bien. Leur vie quotidienne perd souvent de sa saveur après ce qu’ils ont vécu. L’adrénaline, l’intensité, l’immensité leur manquent, on peut le comprendre. Certains connaissent de graves dépressions et n’arrivent plus à s’adapter à notre société. 

Bien sûr, un aller-retour en moins de 24h n’a pas le même impact qu’un séjour sur l’ISS. Mais encore une fois, le tourisme spatial n’est pas anodin. Il touche au plus profond. Il nous replace dans le cosmos. Il faut être prêt, et conscient des conséquences.

En novembre 2022, la fusée du programme ARTEMIS 1 a décollé vers la lune, pour préparer le terrain des voyages à venir. 

De plus en plus, nous entendrons parler de missions lunaires, de projets martiens et peut-être plus loin encore.

Aujourd’hui, l’homme fait du ski sous dôme dans le désert, à Dubaï.

Demain il descendra des pentes artificielles sur Mars, il nagera dans des piscines sur la lune, il fera l’amour au clair de la terre dans une chambre avec vue sur notre planète.

Peut-être.

Sauf si vivre dans un milieu totalement hostile s’avère impossible.

Ne sommes-nous pas terriens comme le poisson est aquatique, faits pour vivre dans l’atmosphère, ou mourir ?

Alors, finalement, après avoir rêvé de voyages interstellaires et de monde lointains, on reviendra visiter ce petit bout de terre qu’on ne connaît pas encore si bien.

Pas forcément loin.

On découvrira des villes, des paysages…et le soir on regardera le ciel.

Elles sont belles les étoiles, vu d’ici.

Texte : Marine Guez Vernin

Voix : Pierre-Alain de Garrigues

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