TWITTER M’A TUÉE
Une jeune américaine post un message d’un goût douteux… Quelques heures plus tard, elle perd son job, sa famille, ses amis… Story d’un lynchage sur le net.
Y a rien qui va dans Uber Eats… La société fait bosser des esclaves qui vous apportent des repas moins bons et plus chers qu’au restaurant… Alors, pourquoi on l’utilise ? Une seule réponse : la flemme !
Texte & Voix : Eric Lange
Vous, moi, lui, elle…
Tout le monde…
Sur le canapé en train de regarder une série Netflix.
Il est 22 heures.
Il fait faim.
On a enchaîné deux épisodes, on a oublié de dîner, on attaque le troisième… Mais… On a faim…
Le frigo est plein, une épicerie est ouverte dans la rue, là, juste en bas.
Il y a une pizzeria qui fait d’excellentes pizzas, pas chères, cuites au feu de bois, à 5 minutes à pied et à côté il y a un Mac Do… Et un petit restaurant de quartier qui fait de la très bonne cuisine familiale un peu plus loin… En plus, le patron est sympa, il vous donne le repas dans un vrai plat fermé, pas une pauvre barquette en plastique…
Je, vous, nous, n’avons qu’une chose à faire : appuyer sur pause pour la série Netflix, quitter le canapé, parcourir les dix mètres qui nous séparent de la cuisine et préparer un petit plat.
Ou bien, on peut descendre dans la rue, discuter le coup avec le patron de la pizzeria ou du resto, voir boire un petiot verre avec lui pendant que le cuistot nous prépare le plat que nous mangerons bien chaud…
Yaka faire ça…
Et bien non.
On ne fait pas…
On prend notre téléphone et on appelle Uber Eats.
Qui appelle un esclave.
Lire la suite26 août 2014.
La société Uber existe depuis 5 ans.
Vous connaissez, bien sûr, Uber s’est imposé dans notre paysage quotidien, c’est le taxi du siècle.
Rappelons le principe, tout repose sur une idée simple : la création d’une appli qui met directement en relation des chauffeurs de VTC, qui peuvent être n’importe qui voulant gagner quelques euros supplémentaires, et les clients
Uber est créée à San Francisco, par les fameux génies de la tech, et en 2014, la société commence à se développer à l’international.
Ce jour-là, donc, le 26 aout, les clients découvrent une nouvelle page sur le site et l’appli de la société Uber.
C’est une page qui présente une nouveauté Uber Fresh et s’adresse exclusivement aux habitants de Santa Monica, à côté de Los Angeles.
On leur propose un menu par jour, pour le déjeuner, de 11H30 à 14H30, livré en 10 minutes, par un chauffeur Uber bien sûr.
12 dollars le repas, livraison comprise.
Pour l’histoire, sachez que le premier menu de Uber était une soupe rustique au poulet et salade César aux cœurs de romaine.
Le chauffeur ne monte pas chez vous ou dans votre bureau, vous allez chercher le plat devant votre porte.
Pas la peine de donner un pourboire, mettez plutôt 5 étoiles (ça, c’est Uber qui le précise) …
Grace à Uber Fresh, vous ne faites plus la queue au restaurant, vous ne cherchez plus de place de parking, vous ne risquez plus les embouteillages du déjeuner, oui car à Santa Monica, comme partout à Los Angeles et aux alentours, le moindre déplacement se fait en voiture.
Donc grâce à Uber Fresh, vous mangez au bureau, un bon petit plat, vous gagnez du temps, vous êtes certain d’être livré rapidement et on vous offre un cookie… Tout ça pour 12 dollars.
Succès immédiat.
Les patrons de Uber ont vu juste, ils s’adressent à une clientèle de stressés californiens qui bossent 17H par jour et adhèrent totalement au concept.
La motivation des consommateurs au départ c’est donc gagner du temps.
Rapidement on étend le service à Berverly Hills, puis tout Los Angeles.
Au passage, changement de concept, terminé le menu unique à 12 dollars, et terminé les restrictions horaires, Uber propose aux restaurants de s’inscrire sur l’appli. Ils n’ont plus rien d’autre à faire que la cuisine, Uber s’occupe de leur promotion sur les réseaux, de la gestion et de la livraison des repas.
En 2015, le service est lancé à New York, puis Chicago et testé en Europe en Espagne, à Barcelone.
Au passage, on change le nom, Uber Fresh devient Uber Eats.
En 2017, coup d’accélérateur phénoménal grâce à la signature d’un contrat avec… Mc Donald qui se lance dans la livraison à domicile.
Un partenariat avec Mac Do, c’est le coup de maître qui permettra à Uber Eats de devancer ses concurrents
Aujourd’hui, les livraisons Mac Do représenteraient 15% du chiffre d’affaires global de Uber Eats.
Au niveau mondial, ce chiffre est d’ailleurs de 11 milliards de dollars, en progression constante.
C’est une réussite.
Et en plus l’affaire fait des bénéfices. Ca a l’air évident, ça ne l’est pas. Ces entreprises de la high tech mettent souvent beaucoup de temps à équilibrer les comptes et à gagner de l’argent. Avec Uber Eats c’est gagné, 8 ans après son lancement, elle réalise 550 millions de dollars de bénéfices, et là aussi, ça progresse…
Et le succès est particulièrement flagrant, en France.
Chez Uber Eats, on aime les Français. Le pays de la bonne bouffe, curieusement, adore se faire livrer des burgers tièdes dans des barquettes en plastique…
La France représente 10% du chiffre d’affaires mondial de Uber Eats.
42% des Français se font livrer au moins une fois par mois.
45 000 commerçants et restaurateurs sont inscrits, pour l’instant, et Uber a réédité le coup du partenariat Mac Do en France en passant des contrats avec Carrefour et Casino…
La France est considérée comme un pays pionnier, stratégique.
Les Français n’appellent plus les restos pour commander, ils vont sur l’appli Uber.
Et les restaurateurs d’ailleurs, comment réagissent-t-ils ?
Au début… Tout allait bien.
Surtout pendant l’épidémie de Covid, le clic and collect a sauvé bon nombre d’entre eux.
Mais aujourd’hui, la note est un peu trop salée…
Uber prend environ 20% de commission. C’est beaucoup. Surtout en période d’inflation et d’augmentation des coûts des matières premières.
Du coup, les tarifs augmentent et manger un menu livré par Uber vous coûtera en moyenne 30% plus cher que de le manger sur place ou de téléphoner directement au resto et aller chercher vous-même votre repas…ce qui veut dire mettre la série Netflix sur pause et sortir du canapé…
Et puis, les restaurateurs regardent l’avenir d’un œil méfiant…
D’abord il y a les fameuses dark kitchen. Ce sont des cuisines qui ne servent pas de plats sur place mais ne travaillent que pour les livraisons.
Mais ce qui inquiète aussi les restaurateurs, c’est le changement de mentalité dans la profession. La nouvelle génération va-t-elle être aussi attachée au bon goût, au plaisir de la cuisine, au rapport avec la clientèle ? Ou bien va-t-elle céder aux sirènes de la rentabilité… Auquel cas l’affaire est pliée : selon l’Umih, syndicat de l’hôtellerie-restauration, pour un chiffre d’affaires de 3000 euros par jour dans un restaurant classique, il faut 9 salariés. Le même chiffre chez Uber Eats se fait avec 4 salariés.
Si l’on résonne plus avec un tableau Excel qu’avec un livre de recettes, le calcul est vite fait.
Mais le véritable scandale de toute cette histoire, c’est les livreurs.
L’idée de départ est de proposer un job d’étudiants.
On fait livreur Uber quelques heures par jours histoire de gagner un peu de sous.
Vu le succès incroyable de la plateforme, il en faut des livreurs. Les étudiants, ça ne suffit plus.
C’est donc devenu un métier à part entière. Mais pas un métier de rêve.
La course est payée en moyenne 4 euros 42.
Il faut en donner des coups de pédales pour parvenir à un salaire décent.
Et n’oublions pas le statu, indépendant, terminé les congés payés, le chômage, la retraite… Les fameux acquis sociaux sont balayés, c’est ce que l’on nomme l’ubérisation du monde du travail.
L’avenir n’est pas plus réjouissant que pour les restaurateurs puisque chez Uber on parie sur la fin des salariés, remplacés par des véhicules automatiques, pilotés par des intelligences artificielle… De la science-fiction ? Pas tant que ça, à San Francisco, 500 taxis autonomes sillonnent déjàla ville…
Livreur Uber Eats est donc un travail pénible, mal rémunéré, sans aucun avantage sociaux et voué à disparaître… Pas terrible et forcément, ceux qui s’y collent sont ceux qui n’ont pas le choix… Les migrants… Particulièrement les sans-papiers. Et pour eux c’est la double peine. Ils sont souvent victimes de réseaux qui ouvrent les comptes à leur place et leur loue l’accès à la plateforme en échange de la moitié de leur salaire.
Votre livreur de burger, qui n’utilise pas de vélo électrique par économie, n’est payé que 2 euros par course.
Et comme si ça ne suffisait pas, les livreurs sont en première ligne. C’est eux qui se font engueuler si la livraison arrive en retard ou s’il manque la sauce barbecue. Souvent, ils n’y sont pour rien, mais ils récolteront les avis négatifs qui à terme peuvent les faire exclure de la plateforme.
Sale métier.
Et qui commande Uber ?
Si au tout début de l’histoire, Uber Eats s’adressait à des travailleurs qui voulaient gagner du temps…
Aujourd’hui c’est tout le monde.
Mais plus particulièrement les jeunes, urbains, de gauche.
Oui, de gauche. Une enquête a été réalisée pour connaître les affinités idéologiques des consommateurs de Uber Eats, et d’autres plateformes du même genre, et bien ils sont en grande majorité proeuropéens, progressistes, diplômés, urbains, ils votent à gauche ou à l’extrême gauche…
Paradoxe total ou schizophrénie, les jeunes qui habitent en ville et donc peuvent descendre en bas de chez eux pour acheter à manger, et qui se définissent comme humanistes et de gauche, donc pour la défense des droits des salariés… Consomment du Uber.
Ils mettent les restaurateurs et les petits commerçants en danger,
Et ils se font livrer par un quasi-esclave, pauvre, sans papier exploité par le capitalisme débridé…
Pourquoi ?
Ils devraient en toute logique boycotter Uber comme les écologistes boycottent Amazone, hé bien non…
Alors quoi…
La force du canapé.
L’immense. Pouvoir de la flemme.
Pourquoi payer plus cher.
Manger moins bon.
Faire travailler un esclave.
Et nous on fait quoi ?
On appelle l’esclave…
Pourquoi ?
La flemme….
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