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TOURISTES : PLUS D’UN MILLIARD !

TOURISTES : PLUS D’UN MILLIARD !

Au 19ème siècle, le touriste est un jeune aristocrate anglais, aujourd’hui il est… tout le monde !

Texte : Claudia Valencia Voix : Eric Lange

Été 1823, en plein cœur des Alpes. Deux silhouettes progressent doucement sur les flancs escarpés des montagnes. 

Julien berger de son état accompagne sir James, un aristocrate anglais. 

Julien connaît la montagne, il loue régulièrement ses services pour les voyageurs qui désirent atteindre l’Italie. Mais cet anglais… Certainement un des plus bizarres à qui il a eu affaire. Monsieur désire admirer la vue : Il s’arrête à tout bout d’champs et parle de beau et de sublime ! Sublime ? c’est quoi ce mot ?  Et il n’y a rien de beau dans ce tas de pierres qui pourrait engloutir un village entier ! Depuis le début de leur expédition, ils multiplient les détours et les chemins dangereux à cause de cette fichue vue… La nuit va tomber et au lieu de paniquer l’English nage en pleine euphorie !

C’est quoi ce type qui prend plaisir à marcher, pour n’aller nulle part ???

C’est un touriste.

Mais ni Julien ni Sir James ne le savent car le mot n’existe pas encore… 

Sir James appartient à une espèce de voyageurs encore peu répandue…  Est-il en mission diplomatique ? Non. En pèlerinage ? Toujours non. Impératif familial, affaires ? travail ? Non, non, et encore non ! Sir James voyage… pour voyager ! Il fait son « tour ».

Le mot apparaît à la fin du dix-huitième siècle au sein de l’élite britannique, il désigne une étape essentielle dans la formation de tout jeune gentleman : parcourir l’Italie dans le but de parfaire ses connaissances artistiques. 

On appelle ça, « Faire son tour ». 

Le reste de l’Europe fronce les sourcils… S’embarquer vers de lointaines contrées n’est pas chose aisée : bandits de grands chemins, maladies en tout genre, il faut une bonne raison pour s’exposer à de pareils dangers !

Organiser tout un périple pour admirer de vieilles pierres… c’est de la pure folie !   

Et pourtant… La mode se répand parmi les grands de ce monde : ils sont de plus en plus nombreux à flâner loin de leur patrie. En toute logique on surnomme ces adeptes du tour… des touristes !

Ça y est. Le mot est né.

Par-delà les toiles de maîtres et les vieux palais, ces voyageurs recherchent quelque chose de plus ineffable : Du pittoresque et de l’exotique ! 

Il faut du temps et beaucoup d’argent pour satisfaire ce type de plaisir mais une invention change la donne : Le train ! Au milieu du dix-neuvième siècle, l’Europe se couvre de voies ferrées. Les voyages qui auparavant nécessitaient des jours voire des semaines de diligence, se font en quelques heures. Rapidité, fixité des horaires, prix raisonnables… le monde est à portée de main ! 

Ce qu’on appelle encore le voyage d’agrément n’est plus l’apanage de la noblesse, la bourgeoisie se mêle aux réjouissances : Pas besoin d’aller jusqu’en en Italie, il suffit qu’un parisien mette les pieds en Bretagne et le voilà dépaysé ! 

Les rues des grandes villes se couvrent d’affiches aux couleurs vives : Découvrez les charmes d’Étretat ! Billets à prix réduits pour Carcassonne ! L’émergence du tourisme va de pair avec son industrialisation :  Collections de guides, réseaux hôteliers, et agences de voyages. C’est d’ailleurs une agence anglaise, l’agence Cook, qui proposera en 1841 les premiers voyages organisés à travers l’Europe.

Un nouveau business naît.

Le business du tourisme.

En France, le bien-être du touriste devient une cause nationale, le pays est réorganisé à son entière convenance : Le front de mer se drape d’esplanades, on érige à proximité hôtels, cafés et restaurants. Pour attirer le chaland certaines villes n’hésitent pas à modifier leur nom : Il suffit d’ajouter « les bains » et le tour est joué ! Tappez villes les bains sur un moteur de recherche, vous serez impressionné par le nombre de Châteauneuf les bains ou Martigny les bains qui existent…

L’apparition de la Bicyclette puis celle de l’automobile entraînent la rénovation des routes ; pour faciliter l’orientation des nouveaux venus, des panneaux fléchés surgissent un peu partout. Et ce n’est pas fini… A quoi doit-on le souci de préservation du patrimoine ? Au tourisme ! Sous son influence, le territoire national est transformé de fond en comble, la France se crée un nouveau visage.      

Les aristocrates ne se réjouissent guère du changement : Tous ces bourgeois gâtent leur paysage… Vite ! Il faut dénicher un lieu qui ne soit pas à la portée de leur bourse ! Les nantis gagnent la Grèce, l’Égypte ou Jérusalem, des paquebots de luxe sont affrétés avec toutes les commodités nécessaires. Mieux… Il y’a l’Orient express. Un palace roulant qui défie les lois de la vitesse et se joue des frontières. Paris, Venise, Trieste, Zagreb, Sofia….  Et la destination finale : Constantinople !  Le tout en quatorze jours seulement !

1900, Le monde change et une nouvelle tendance voit le jour… Au siècle précédent, les touristes fréquentaient les bords de mer durant la saison hivernale, l’été, était réservé à la montagne. A présent, c’est tout l’inverse !   

Dans les Alpes, les locaux ne cachent pas leur étonnement : les touristes escaladent les sommets comme un mât de cocagne ! Plus étrange, certains dévalent les pentes enneigées sur de longues planches en bois ! 

Du ski ! L’activité provient des pays scandinaves mais encore une fois ce sont les Anglais qui popularisent la pratique : par leur intermédiaire le ski devient un vrai sport de compétition.      

Ces nouveaux usages lorsqu’ils ne déclenchent pas l’hilarité provoquent pas mal d’incompréhension : Le tourisme a beau être en plein essor, il reste réservé à quelques privilégiés, les masses populaires ne sont pas concernées. Du moins pas encore…  

1936. En France, le front populaire arrive au pouvoir. L’assemblée vote une loi qui octroie 14 jours de congés payés pour n’importe quel salarié ! Six cent mille personnes sautent sur l’occasion. La plupart prennent d’assaut les stations balnéaires du sud du pays et n’ont qu’une envie : voir la mer ! 

Sous l’œil consterné des bourgeois, les prolétaires s’agglutinent sur les plages. L’élite pousse des cris d’orfraie : ces ploucs à casquette utilisent LEUR sable et accaparent LEUR soleil ! 

Et pourtant, la bourgeoisie va bien devoir partager ce nouveau plaisir…Une nouvelle utopie émerge :  le tourisme pour tous !  

Fin de la seconde guerre mondiale, la démocratisation du tourisme commence à prendre effet. La raison de cette avancée ? L’automobile ! Moins chère qu’à ses débuts, la voiture apporte un surcroît d’indépendance : On peut aller plus loin et pour moins cher ! Couplée à la hausse du pouvoir d’achat, l’équation incite les classes moyennes à franchir les frontières. Espagne, Italie, Portugal…

La France n’est pas en reste : De Gaulle ordonne le réaménagement côtier du Languedoc Roussillon, d’imposants buildings jaillissent de terre. Et pour ceux qui ne peuvent pas se payer l’hôtel ? Une tente ou une caravane feront l’affaire ! Les terrains de camping fleurissent sur le territoire. Malgré des espaces et des circuits balisés, gérer l’afflux s’avère de plus en plus ardu, un nouveau terme apparaît : le tourisme de masse… 

Au cours des années soixante-dix, on invente les vols en charter, l’ancêtre du Low Cost… 

Un nouveau type de touristes pointe le bout de son nez : il sont jeunes, empreint d’idéaux hippies et le confort est la moindre de leurs préoccupations : Ce qu’ils réclament c’est l’aventure ! Le mot qu’on associait aux mercenaires et aux individus louches prend une nouvelle signification. Il s’agit d’en apprendre plus sur soi-même, s’ouvrir à de nouvelles cultures et fuir l’étouffante civilisation. L’industrie touristique a tôt fait capitaliser sur cette tendance :  L’aventure sans les désagréments ! 

Aujourd’hui, les agences rivalisent d’ingéniosité dans la spécialisation de leur offre : Vous voulez sauver le monde ? Le tourisme humanitaire est fait pour vous ! Vous ne craignez pas le danger et les facettes les plus obscures de notre vieille planète vous attirent ? Tournez-vous vers le dark tourisme ! Si vous ne jurez que par le développement durable, l’éco tourisme est pile ce qu’il vous faut ! Il y’en a pour tous les goûts et le succès est au rendez- vous.

Les usages évoluent. On achète moins de guides qu’autrefois. Blogs de voyage, vidéos en ligne, réseaux sociaux, applications… les touristes se fient aux nouvelles technologies pour les conseiller. Pareil pour les souvenirs de voyage : Il y’a trente ans, on organisait des soirées diapos pour les amis et la famille. Aujourd’hui via Instagram, c’est le monde entier qui a accès à vos photos ! 

Années après années, le marché s’accroît : les vacanciers ne viennent pas seulement d’occident mais désormais d’Inde, des Émirats, du Brésil de Chine… Leur destination favorite ? l’Europe ! En 2019, elle a accueilli 539 millions de visiteurs !

Mais le secteur essuie de plus en plus de critiques. Son impact environnemental est pointé du doigt. A l’heure ou le pourtour méditerranéen s’embrase, est-il raisonnable de s’embarquer dans une carlingue qui rejette des tonnes de CO2  ? Une nouvelle expression voit le jour : flick Scam, autrement dit la honte de l’avion… 

A force de supporter des masses de visiteurs certains sites finissent endommagés. Cas les plus notables : le Machu Pichu et Pompéi. Pour endiguer le flux on met en place des quotas, les touristes sont acceptés aux compte-gouttes et les billets doivent être réservés des mois à l’avance.

Les centres villes historiques connaissent aussi leurs difficultés.  Airbnb a pris le pas sur les hôtels et la multiplication de ces logements informels sature l’immobilier : résultat des courses, les locaux ont de moins en moins d’opportunités pour se loger et doivent s’installer en banlieue. Les centres historiques des grandes villes, prennent des airs de parcs à thèmes… 

Que fait-on pour résoudre le problème ? Certains trouvent des solutions disons … originales.  En juillet 2023 le maire de Dubrovnik interdit la circulation des valises à roulettes dans le centre-ville. La raison ? Excès de nuisance sonore ! À Rome, les autorités municipales misent sur le tourisme de luxe. Plus les prix grimpent, plus on évite l’invasion !   

 Alors ? Le tourisme est-il condamné aux gémonies ?

Non. Loin de là. Nos sociétés sont dépendantes du secteur, elles se sont même construites en fonction de celui-ci ci : Vacances, scolarité, travail, économie…  Tout est lié. En dépit des obstacles, le tourisme s’adapte à l’air du temps et continue de muter. 

Après la pandémie de 2020, l’industrie touristique a repris du poil de la bête.

Deux ans plus tard, les recettes du tourisme mondial se montent à 1000 milliards de dollars. Ce qui place le tourisme dans les industries les plus lucratives.

On franchit de nouveau le cap du milliard de touristes annuels.

Mais une nouvelle tendance pointe son nez. On voyage plus près de chez soi.  Voyager loin pollue et coûte cher. En ces temps de réchauffements climatiques et de prix à la hausse, on va de nouveau voyager dans sa région, son pays, voir le pays voisin mais guère plus.Et on va de nouveau inverser le calendrier des destinations, pour en revenir à ce qui se pratiquait au tout début, au 19ème siècle, l’hiver à la mer et l’été à la montagne.

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