FAMILLE ADDAMS VS THE MUNSTERS
Cela fait 58 ans qu’il y a le camp des Addams et le camp des Monstres. Et ça ne s’est jamais arrêté , à coups de séries, de dessins animés, de films, de réunions, de remakes et de nouvelles incarnations.
2007.
Tahar Rahim a décroché un rôle dans la série de Canal+ La Commune.
Aujourd’hui, Tahar peut rentrer chez lui un peu plus tôt, il n’est pas mécontent. Les journées de tournage sont souvent longues.
Il attend le taxi, commandé par la production, une Toyota noire dont la plaque se termine par BS.
On l’a prévenu, il partage la voiture avec deux autres personnes venues en visiteurs sur le tournage.
Tahar attend devant le studio, en banlieue parisienne.
Le taxi arrive. Tahar ouvre la porte, s’installe, boucle la ceinture.
L’autre porte s’ouvre s’ouvre. Ses compagnons de route montent à bord.
Il lève la tête et reconnaît son voisin, qui peine à trouver la ceinture du siège du milieu, c’est Jacques Audiard.
Tahar lance un « Bonjour » timide.
Il est tétanisé.
Lire la suiteUne seule chose à faire : se taire. Ne rien dire. Juste respirer le même air que ce géant du cinéma. Peut-être que ça lui portera chance.
Tahar admire Audiard. Il aime son travail.
Il sait qu’il prépare son prochain film, Un Prophète.
Tout le monde le sait dans le milieu. Tout le monde en parle. Audiard cherche un acteur pour incarner son héros, son prophète….
Quarante-cinq minutes…. Quarante-cinq minutes de trajet durant lesquelles les yeux de Tahar fixent le paysage qui défile. Il pleut. Tahar observe le bal des gouttes d’eau sur la vitre. Il n’ose pas tourner la tête. Il veut surtout éviter de dire des banalités.
Il préfère se taire.
Le Taxi s’arrête.
Tahar descend.
Avant de fermer la porte, il entend Jacques Audiard, derrière, qui le salue.
« Au revoir. »
Et sur ces simples mots, Tahar laisse repartir le réalisateur, et, pense-t-il, son avenir.
Il se trompe.
Son avenir vient de se jouer. Quarante-cinq minutes et pas un seul mot, ont suffi à Jacques Audiard pour savoir qu’il venait de trouver son prophète.
Il a vu son héros dans ce garçon timide qui n’a pas détaché son regard de la vitre de la voiture.
Qui n’a rien tenté.
Audiard le sait, Tahar est son Malik, le prophète du film.
Tahar ne devient pas Malik du jour au lendemain.
Il ne rentre pas dans la peau de ce jeune homme comme on enfile un costume. Dans le scénario, Malik a dix-neuf ans, il est sans-abris et seul au monde quand il est condamné à six ans de prison ferme.
Tahar se prépare. Il travaille, observe. Il s’oublie.
Malik ne sait ni lire, ni écrire. Tahar doit désapprendre.
Malik paraît plus jeune, plus fragile, plus innocent. Tahar a du mal à jouer cette innocence, cette jeunesse. Il doute. Il hésite. Il cherche.
Un soir de décembre, après de longues heures de travail, Tahar emprunte les vêtements de Malik.
Il ne peut pas passer à côté du personnage.
C’est avec le pantalon de survêtement usé, la veste trouée bleue passée et les baskets aux bouts décollées qu’il marche dans les rues de Paris.
Il erre toute la nuit, sans but, déguisé en Malik. En SDF.
Il tente d’approcher des groupes de sans-abris. Il veut être comme eux. Il leur parle, il essaye de s’intégrer. Il veut savoir.
A quoi pense-t-on quand on dort dans la rue ? A qui parle-t-on ?
De quoi parle-t-on ?
Tahar a besoin de vivre, de respirer, de parler, de penser comme Malik.
Il doit s’isoler de ses amis, de sa famille. Un exercice difficile. Tahar est en effet le dernier d’une fratrie de dix enfants. La solitude…il ne connaît pas.
Tahar s’obstine, il ne veut pas décevoir Jacques Audiard. Il prépare chaque scène minutieusement.
Sa bouche s’en rappelle encore.
Au début du film Malik, tue un autre détenu, Reyeb, pour gagner la protection de César Luciani. Il se rend dans la cellule de Reyeb, qui espère une relation sexuelle. Il dissimule une lame de rasoir entre sa joue intérieure gauche et sa gencive.
Au bon moment, il sort la lame de sa bouche et tue Reyeb en lui sectionnant la jugulaire.
Tahar s’est entraîné des heures devant le miroir de sa salle de bain pour jouer la scène, avec la lame dans la bouche, sans se couper…
Mohamedou, lui aussi, transforme la vie de Tahar, un peu plus de dix ans après Malik.
A la lecture du scénario du film américain Désigné Coupable réalisé par Kevin MacDonald, Tahar pleure.
Cette histoire vraie le touche. Pour la première fois, au-delà de son rôle, il se sent investi d’une mission.
Le vrai Mohamedou, a passé quatorze ans de sa vie en prison, à Guantanamo, dans des conditions épouvantables. Il vit désormais en Mauritanie et espère un visa pour l’Allemagne où vivent sa femme et sa fille.
Et si le film pouvait l’aider ?
Tahar vient de terminer le tournage du Serpent.
Il a un corps athlétique. Un entraînement physique a été nécessaire pour rentrer dans la peau de Charles Sobhraj, un tueur en série qui a terrorisé l’Asie dans les années 1970.
D’ailleurs, nous avons fait chez Podcast Story, un podcast sur ce personnage, le Serpent. Je vous conseille.
Tahar s’impose un entraînement physique et psychologique. Pas facile de devenir un tueur.
Comprendre les humeurs du personnage, la gestuelle, l’apparence…
A la fin du tournage du « Serpent », Tahar est musclé et il a bonne mine.
Et voilà que dans quelques semaines, il incarnera Mohamedou Ould Slahi, capturé par le gouvernement américain et détenu ans à Guantanamo Bay, sans inculpation ni procès.
Un personnage à l’opposé du physique du Serpent.
Tahar doit maigrir, vite, très vite.
Il s’inflige un régime violent et perd douze kilos en moins de trois semaines.
A Guantanamo, Mohamedou vivait dans une toute petite cellule peinte en vert amande. Une cellule avec un lit, un lavabo, un tapis de prière et le Coran. Pas de fenêtre.
Tahar souhaite passer le plus de temps possible dans sa cellule, enfin celle de Mohamedou reconstituée pour le film.
Il veut être seul.
Il veut appréhender le tout petit espace, comprendre comment l’occuper.
A Guantanamo, la température des cellules ne dépasse pas les six degrés. Tahar demande à être enfermé dans une chambre froide.
Si la sensation de froid n’est pas assez violente, il demande en plus qu’on l’asperge d’eau glacée.
Amaigri, à fleur de peau, Tahar ne s’arrête pas là.
Il veut être menotté. Les chevilles, les poignets, la taille. Il garde ses entraves des jours entiers pour se préparer. Les tongs aux pieds, les mêmes que sur le tournage, il marche enchaîné. Il ne veut pas tricher.
Tahar se documente. Il échange avec Mohamedou. Les dix-huit heures d’interrogatoire par jour pendant des semaines, les tortures, les conditions, les mensonges… Tahar veut tout savoir sur ses tortionnaires. Il veut tout ressentir. Il a besoin de shoot d’émotions brutes.
Il veut faire l’expérience du waterboarding, la torture par simulacre de noyade, très popularisé à Guantanamo.
Ligoté sur une planche inclinée, les pieds de Tahar sont plus hauts que sa tête. Un tissu lui recouvre la bouche, le nez et les yeux. On verse de l’eau sur son visage. Il ne peut plus respirer. Il a l’impression de se noyer. C’est totalement paniquant.
Certains détenus subissent le waterboarding plusieurs fois par jour.
Mohamedou en a fait les frais sans avoir rien à avouer puisqu’il ne savait rien. Dernière requête de Tahar : le gavage forcé.
Quand les détenus font une grève de la faim, on les gave, comme des oies, avec un tuyau dans la gorge…
Trois mois sont nécessaires à Tahar pour se séparer de son personnage Mohamedou après l’un des tournages les plus éprouvants qu’il ait connu. Trois mois. Son entourage est inquiet. Il le questionne. Tahar ne dit rien. Il n’a rien à dire. Jamais il n’avait eu autant de mal à rendre le costume.
Il passe des jours à Necker pour interpréter Thomas, un infirmier coordinateur, dans Réparer les Vivants.
Il prend des cours de danse pour jouer le rôle de Wilson dans Samba.
Il travaille trois semaines sur le marché de Belleville lorsqu’il incarne Mathieu dans Love and Bruises.
Pour chaque rôle, il assiste à des conférences, il rencontre des spécialistes. Il favorise l’expérience directe. Et parfois, cette méthode lui réserve de belles surprises.
Comme pour la série Netflix, The Eddy.
On propose à Tahar le rôle de Farid, un trompettiste qui tient un club de jazz à Paris. Il hésite, ce rôle nécessite des heures de travail. Il n’a jamais soufflé dans une trompette. Sortir un son n’est pas simple. La production lui attribue un professeur. Quand Tahar arrive au premier rendez-vous, il découvre que celui qui l’accompagnera n’est autre que Lenny Kravitz.
Tahar Rahim meilleur acteur aux Césars français, aux Golden Globes américains, Awards européen, Bafta britanniques, …
Tahar Rahim récompensé par tous et par le magazine Rolling Stones qui voit en lui le nouvel Al Pacino.
Oui, carrément, le successeur du Parrain, c’est Tahar…
Ce n’est pas un hasard.
Pacino est connu pour vivre ses personnages, les incarner complètement, profondément.
Comme le fait Tahar, nouveau caméléon du cinéma made in France !
Texte : Inès Barbier / Voix : Eric Lange
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