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SPAGGIARI – LE CASSE DU SIÈCLE

SPAGGIARI – LE CASSE DU SIÈCLE

Texte : Jean Pascal Grosso Voix : François Berland

10 mars 1977. Palais de Justice de Nice. Il est 15h.

Sous bonne escorte, Albert Spaggiari, accompagné de Maître Jacques Peyrat, son avocat, est prié de « passer à table ».

Spaggiari est un beau gars, brun et longiligne. S’il est auditionné aujourd’hui par un juge d’instruction c’est parce qu’il serait la tête pensante de l’un des plus beaux casses de l’histoire du banditisme français : celui de la Société Générale de Nice.

C’était le Week-end du 17 juillet 1976.

Le jeune juge Richard Bouazis veut tout comprendre et tout savoir de l’ouverture des coffres de la banque à l’aide de chalumeaux et de pieds de biche. Mais avant tout, il veut revenir sur son parcours dans les égouts de Nice. Le juge saisit mal le plan dessiné à la va-vite par Spaggiari. L’intéressé se lève : « Attendez, Monsieur le juge… ». Il passe derrière le bureau, annote deux ou trois choses invérifiables, au-dessus de l’épaule du juge… Et en reposant son crayon, il lui souffle : « En souvenir de moi ! » 

En souvenir ? Quel souvenir ? 

Soudain, Spaggiari ouvre la fenêtre et… saute !

Maître Peyrat qui pense que son client veut en finir, hurle.

Mais là point de suicide !

Albert Spaggiari a atterri sur le toit d’une voiture … à la manière des « paras ».

L’impact du corps sur la tôle déclenche un gros boum !

Un complice, sur une moto, l’attend en bas. En quelques secondes, les deux hommes s’enfuient. « J’ai eu des remords à trahir mon petit juge. Je l’aimais bien, le juge… » ironisera plus tard Spaggiari lors d’une de ses rocambolesques interviews payantes. Et le voilà parti pour 12 ans de cavale !

Albert Spaggiari n’a que 17 ans quand il embarque pour le Guerre d’Indochine. Là-bas il tue, conflit oblige. Il sera décoré une fois et blessé deux fois. Il vole aussi et se retrouve même en taule après le braquage d’un bordel à soldats à Hanoï

Puis c’est le combat pour l’Algérie Française. Son activisme au sein de l’OAS le fait repasser par la case prison. Aux Baumettes cette fois-ci…

Libéré, Albert Spaggiari vivote comme photographe à Nice. Il s’est spécialisé dans les mariages. La gloire pour l’ex-aventurier !

S’il travaille à Nice, c’est à Bézaudun-les-Alpes dans l’arrière-pays niçois qu’il aime à se réfugier dans une bergerie avec sa compagne d’alors. Une infirmière. Cette bergerie il l’a baptisé « les oies sauvages » en référence à un chant de la Légion Étrangère prisé des mercenaires.

Selon la légende – il y en aura beaucoup le concernant –, son projet de casse lui est venu en lisant un roman. Une Série Noire plus précisément … un ouvrage de Robert Pollock intitulé « Tous à l’égout ». Et puis aussi (et surtout ?) des propos d’un de ses copains, employé à la Société Général, et accessoirement conseiller municipal. 

Selon son copain…il n’y aurait pas d’alarme dans la salle des coffres de la Société Générale de Nice ! Pour vérifier, Albert Spaggiari loue un coffre et y planque un réveil. Il est remonté pour sonner en pleine nuit. Et rien. Le tuyau est vrai. 

Maintenant, il faut aller jeter un œil. Il décide d’aller repérer les égouts. En partant du Palais des expositions de Nice. A près de 3 kilomètres en amont. 

Une, deux, trois, quatre visites… Albert Spaggiari est persuadé que l’opération est possible. Maintenant – et c’est le plus dur – il faut trouver une équipe.

Seul, c’est impossible.

Il va falloir chercher des acolytes, de la main d’œuvre. Et de premier choix. Des types capables de gros travaux et de garder le silence. Mais où les trouver ? Pour faire le coup de poing à Hanoi ou les distributions de tracts Algérie Française, Albert savait où trouver main forte. Mais là…

Durant ces mêmes années, Gaëtan Zampa dit « Tany Zampa » règne en maître sur le milieu du Midi de la France. Le plan de Spaggiari a fait écho jusqu’à Marseille. Il est probable que ce soit vers lui qu’Albert se soit tourné pour trouver des types assez solides et experts. Une théorie qui, là encore, a été maintes fois remise en question.

Mais le fait est là : ils sont bientôt une douzaine de Marseillais et Niçois à œuvrer pour le casse. 

Quelques noms surgiront plus tard au fil de l’enquête : Michelucci, Pellegrin, Bournin, Poggi… Le reste de la bande disparaîtra dans la nature. Comme par magie.

Maintenant, il faut passer à l’action. Pour atteindre la Société Générale il faut partir de la rivière souterraine du Paillon. Remonter les kilomètres de couloirs. Atteindre la rue Sacha Guitry parallèle à la banque. Et puis creuser huit mètres avant de pouvoir atteindre le mur de l’édifice. Et pour finir, percer 1m80 de béton pour atteindre la salle des coffres.

La « belle équipe » va vivre des heures pénibles dans les eaux sales, les odeurs insupportables, au milieu des rats. « Il y avait ce goût de merde jusque dans la bouche que même la cigarette ne pouvait enlever. » dira Albert…

Chacun porte près de 50 kilos de matériel. Il y a de tout, il suffit de demander : des burins, des masses, des chalumeaux, des forets, une lance thermique très utile pour faire fondre le béton…

Tout le travail se fait de nuit. 

On colmate sérieusement les bouches d’égout pour éviter d’éveiller les soupçons. Du travail de pro, il faut le répéter. 

Sueur, angoisse, épuisement. 

La venue du président de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, fait interrompre les « travaux » de ces messieurs une semaine. Et si le service de sécurité de l’Élysée venait à visiter les souterrains ? Cela n’arrivera pas. Les casseurs sont vernis.

Il est 21 heures, le vendredi 16 juillet, lorsque le dernier morceau de mur saute sous les coups de barre à mine de l’équipe. Un gros coffre bouche l’entrée. Dernier obstacle que les hommes font tomber à l’aide d’un vérin hydraulique. 

Ils sont treize en tout – c’est le chiffre qui est resté dans les annales – à camper tout le week-end dans le sous-sol de la banque. Sans jamais être dérangés. 

48 heures durant lesquelles seront fracturés 371 coffres. C’est peu comparé au 4000 que possède la Société Générale.

Une table est installée dans la pièce pour que l’expert du groupe en bijoux de valeur puisse travailler. La pacotille, la verroterie, finit sur le sol.

Rien n’est sacré d’ailleurs : même un saladier en argent sert d’urinoir à ces messieurs !

Le gang en profite bien entendu pour faire main basse sur les devises et les lingots qui traînent à portée de main. Et puis, descendus comme par miracle, il y a des sacs bourrés d’espèces ! Ce sont les recettes du week-end des magasins, bars, restaurants et boîtes de nuit… Un jackpot à ciel presque ouvert. 

Argent, bijoux, diamants, or… On trouve de tout à la Société Générale de Nice. Une caverne d’Ali-Baba datée 1976. 

Il y aussi tout un étonnant bric-à-brac qui occupe certains coffres. Des bouteilles d’alcool, des souvenirs d’enfance, des babioles… et des photos « osées » de charmantes bourgeoises locales dans des situations « que la morale réprouve ». 

Spaggiari et ses complices, qui ont l’humour potache, s’amusent à les coller sur les murs. En espérant que ça fasse sourire la police…

Il se dit même que dans la nuit de samedi à dimanche, Spaggiari se serait même payé le luxe de sortir dîner dans Nice avec une amie. Il y aurait laissé un gros pourboire. Il fallait que monsieur soit vu pour un éventuel alibi…

Mais si tout se déroule selon les plans … un événement va venir perturber cette mécanique jusqu’ici bien huilée.

À l’extérieur, il pleut des trombes. Le fleuve Paillon, généralement asséché en cette saison, commence à gonfler. Et dans les égouts, la montée des eaux risque de s’avérer dangereuse. La mort dans l’âme, Albert Spaggiari ordonne à la bande de quitter les lieux. Nous sommes le dimanche 18 juillet. Il est 2 heures du matin.

« J’aurai bien aimé quelques heures de plus » écrira-t-il dans ses mémoires.

Le groupe abandonne les outils et embarque le fruit généreux de leur larcin. Il leur faudra plusieurs voyages. Trois heures en tout.

La presse parle de 50 millions de francs dérobés – 40 millions d’euros actuels.

Lors de leur ultime trajet, les hommes ont de l’eau jusqu’au cou. Il leur faut lutter contre les éléments pour arriver enfin à leurs véhicules. A bout de forces. Le partage se fait dans la foulée, le lundi 19 juillet, dans une villa de l’arrière-pays niçois.

« Ni armes, ni violence et sans haine ».

C’est le seul message laissé derrière eux par les responsables de ce que la presse nomme d’office, limite admirative, « Le Casse du Siècle ». 

A l’extérieur de la banque, une fois l’information propagée, c’est le chaos.

Les clients déboussolés trouvent les grilles baissées. Il y a des protestations, des larmes, quelques heurts. Des gens crient leur numéro de coffre à savoir si celui-ci a été fracturé ou non. Ils agitent leurs clefs du bout de leurs doigts nerveux.

Des dames aux cheveux gris, des commerçants, des hommes d’affaires tout aussi honnêtes et des badauds appâtés viennent en masse. La télévision présente sur les lieux ne loupe pas de filmer ces scènes surréalistes …

Et dire que quelques semaines avant, une réclame vantait la sécurité de ses coffres forts que l’on disait « inviolables » un peu comme le Titanic qui ne pouvait pas couler… quelle ironie !

Il y en a un pourtant qui rigole bien à ce moment-là dans sa bergerie battue par les vents. C’est Albert Spaggiari l’ancien baroudeur devenu champion du fric-frac à la française.

3 mois passent… 3 mois où la police auditionne, enquête, recherche, recoupe… mais 3 mois pendant lesquels la police patine ; jusqu’au jour où des employés d’une agence du Crédit agricole de Roquefort-les-Pins situé à 25 kilomètres de Nice les appellent. 2 personnes se sont présentées au guichet pour écouler des lingots. Les numéros des lingots ont été répertoriés. Ils font partie du casse du Nice. Une Les deux hommes se font arrêter. Ils s’appellent François Pellegrin et Alain Bournat. 

Très vite ils vont passer aux aveux…  Le patron, le « cerveau » de ce casse, c’est un petit photographe niçois. Un ancien bourlingueur, un dénommé Albert Spaggiari. Spaggiari ? Inconnu au bataillon ! Parti en reportage photo au Japon pour suivre l’équipe de la mairie de Nice, Albert est cueilli en douceur par la police, dès son retour sur le sol français.

Spaggiari est incarcéré à la Maison d’Arrêt de Nice. 5 mois passent. Il conçoit son évasion et prévient son avocat qui tente de l’en dissuader. C’est grâce à la complicité de copains de l’Indochine et de l’OAS qu’il se fera la malle. Malgré la cavale, un procès se tient. Il sera jugé et condamné par contumace à la réclusion à perpétuité en 1979.

Mais où donc se trouve l’homme qui posait avec arrogance et fierté lors son arrestation devant la presse le regard caché derrière des lunettes à verres fumés et cigare cubain au bec ?

C’est en Amérique du sud qu’il va se réfugier … loin de la France … il passera par la Bolivie, l’Argentine, le Brésil ou encore au Chili… Albert Spaggiari aura aussi recours à la chirurgie esthétique pour changer de tête.

Pendant ses 12 ans de cavale, il narguera régulièrement la police en se servant de la presse. Il se rapproche parfois de la France et le fait savoir en publiant des photos de ses planques. Il séjourne en Italie ou en Espagne… il finira par passer près de Paris dans la banlieue ouest à Puteaux. Il n’y restera pas.

12 ans de cavale ça coûte cher. Albert Spaggiari est ruiné, sans le sou. Il est fatigué de se déguiser et de fuir. Et puis la maladie le rattrape. Un cancer de la gorge.

Alors qu’il est en train de mourir Albert Spaggiari épouse Emilia de Sacco. Un joli brin de femme mais aussi une activiste de la droite italienne, sûrement séduite par le braqueur élégant qui longtemps aura rêvé d’une internationale fasciste.

Le mariage est célébré par un curé traditionaliste de Saint-Nicolas-du-Chardonnet « avec soutane et qui parle en latin ». Une exigence du marié. On ne peut rien lui refuser. La cérémonie a lieu en Italie, là où il est en exile.

Albert Spaggiari meurt le 9 juin 1989 à 56 ans. 

Sa dépouille est placée dans le camping-car d’Emilia de Sacco. 

Sans encombre, elle traverse la frontière et poursuit sa route jusqu’à Hyères où réside la mère de Spaggiari. Celle-ci contacte l’ancien avocat et ami Jacques Peyrat à 4h du matin : « Albert est mort » lui dit-elle. Il est inhumé dans le caveau familial du village de Laragne-Montéglin, son village natal dans les Hautes-Alpes. 

Condamné en 1979 par contumace à la prison à perpétuité, Albert Spaggiari, « cerveau » autoproclamé du casse du siècle, est enfin de retour en France.

Mais envolé à jamais avec ses secrets.