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QUAND LES SÉRIES DÉRAPENT – THE GET DOWN

QUAND LES SÉRIES DÉRAPENT – THE GET DOWN

Le plus grand bide de l’histoire des séries ?

Texte & Voix : Alain Carrazé

Vous êtes un grand réalisateur américain ; flamboyant, exubérant, excessif. Vos films débordent d’une furieuse vitalité baroque et sont incarnés par des stars comme Leonardo DiCaprio, Nicole Kidman, Hugh Jackman… du très lourd. Vous alignez les méga-productions, de Romeo et Juliette à Moulin Rouge. Et vous allez développer et réaliser votre première série télé. Hitchcock, Lynch ou Scorsese ont ouvert la voie et ce n’est plus infâmant pour un grand nom de la mise en scène de faire une série. Et, avec vous, ils vont voir ce qu’ils vont voir !

Votre série sera marquante, culte, extraordinaire, inoubliable. Alors oui, c’est vrai… on n’oubliera pas votre série, mais ce sera en tant que fiasco, la plus retentissante catastrophe industrielle de la télé moderne. Une série dont vous allez faire exploser le budget de plus de 30 millions de dollars !

Vous vous appelez Baz Luhrmann, et vous allez faire déraper votre série.

Le projet qui vous tient à cœur, c’est retracer la naissance de la musique hip-hop dans le Bronx des années 70. Vous voulez suivre un groupe d’adolescents qui ont contribué à créer cette tendance. En parallèle, l’idée est de montrer aussi l’incroyable popularité du disco via le personnage de Mylène, qui rêve de devenir une disco diva. Et puis, tout part de New-York, et l’énergie de la ville vous a toujours fasciné. Vous l’avez dit, je vous cite: « Ce  qui m’a toujours intéressé, que ça soit dans le cinéma, dans les arts ou dans le domaine musical, venait de New York. J’étais obsédé par l’idée qu’une ville aussi ravagée que l’était New-York, puisse donner naissance à tant de créativité et d’originalité.

En 2012, vous parvenez à enthousiasmer un grand studio de production : Sony. Sony vous gratifie d’une pointure de la production de série télé qui va bosser avec vous : Shawn Ryan. Le mec qui a créé et suivi la série The Shield. De quoi parachever de convaincre des chaînes de financer le projet. Et ça ne va pas louper : une chaîne du câble vous commande un pilot. Et puis c’est maintenant une plateforme qui fait une offre ferme : Netflix ! Netflix, lui, commande directement la première saison.

Votre studio Sony Pictures, il est lui aussi très content car Netflix a un modèle économique qui lui est propre : la plateforme paye toute la production de la saison et y ajoute un bonus, un « cost plus » à hauteur de 60% du coût de la série. Pourquoi ? Parce que Netflix garde tous les droits, en exclusivité, dans tous les pays du monde. Sony ne pourra donc pas vendre la série sur un quelconque territoire comme ils le font avec toutes leurs autres productions, mais le bonus doit compenser les pertes éventuelles. Là, c’est jackpot ! En juin 2014, Shawn Ryan se met au boulot avec des scénaristes et en février 2015, la série est officiellement annoncée par Netflix. Enthousiaste, vous allez proclamer que « dans cette nouvelle ère, l‘âge d’or de la série télé, Netflix ne pose aucune barrière aux possibilités créatives. ». Mais l’euphorie va être de courte durée.

Après quelques mois de travail, vous n’êtes pas totalement satisfait. Il manque un truc… mais quoi donc ? Ca y est vous savez : l‘histoire manque d’authenticité. Il faut être au cœur de New-York pour ressentir sa vibe. Vous décidez donc que toute la production doit se délocaliser et partir pour la Grosse Pomme. Ça va coûter un bras mais ça va être excitant, motivant… …. euh… sauf que votre showrunner, le fameux Shawn Ryan, n’a aucune envie de quitter Los Angeles pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Pas question. Et Shaw Ryan abandonne. Il laisse tomber la série. Bim ! En ce début d’année 2015, vous venez de perdre votre producteur exécutif. Bon ben tant pis.

Sony va vous en trouver un autre qui, lui, viendra bosser à New-York avec ses scénaristes. Sauvé ! Enfin, bon, pas tout-à-fait : après quelques mois, le style de ce nouveau showrunner ne vous plaira pas trop : trop sombre, trop polar urbain. Vous allez donc signifier votre désaccord et, lui aussi, quitte la série.

Mon cher Baz…loin de moi l’idée de vous dicter votre conduite mais pas mal de personnes dans la production, disent que vous auriez peut être du moins mépriser le savoir faire et la créativité de ces vétérans de la télévision. Enfin, tant pis! A ce moment-là, vous, vous pensiez que fabriquer cette série télé, cela signifiait la superviser de loin. Vous le dites vous-même, je vous cite encore :  » Je pensais vraiment que j’allais me limiter à être le parrain de la série : Je ne comprenais pas vraiment comment ça fonctionnait, comment on faisait une série. J’ai un peu improvisé, je venais de ci de là, en visite, et je voyais où les gens en étaient. » Grosse erreur.

Netflix, elle, veut que vous soyez vous-même en charge de la série. Le showrunner c’est vous, maintenant. Et on travaille sur une série, un processus obligatoirement collaboratif, avec d’autres scénaristes, plusieurs réalisateurs. Vous ne connaissez pas du tout ce processus : « Je n’ai jamais travaillé avec tant de personnes à la fois ! Je n’aurais jamais cru que mes jours et mes nuits, 7 jours sur 7, allaient être entièrement consacrés à cette gigantesque collaboration. « 

Vous allez engager des spécialistes de ce type de musique et de la culture afro-

américaine comme le rappeur Grandmaster Flash.

Vous allez aussi créer le Dojo Room, un lieu, situé dans le Queens, où les interprètes pouvaient s’entraîner et apprendre comment faire du breakdance, comment bouger, comment être un DJ avec ses platines… Bref, tout pour que cela puisse ensuite faire authentique au moment du tournage. Les chorégraphes réunissaient aussi les jeunes acteurs pour répéter avec eux les séquences de danse. Une sorte de « boot camp » pour rappeurs ! Les musiques, parlons-en. Pour vous, les chansons qui parsèment les épisodes sont faites pour refléter l’histoire et avancer la trame. Les chansons originales sont composées par Nas, par exemple, et vous allez faire acheter les droits de morceaux disco bien connus. Il faut donc attendre d’être certain d’obtenir ces morceaux pour écrire les épisodes. Ce qui ralentit considérablement la production. Et , bien évidemment, tout ce petit monde est rémunéré à plein temps. Là, ça commence à faire monter l’addition. Entre les droits musicaux, les collaborateurs, et l’inexpérience du showrunner que vous êtes devenu, le budget enfle.

Les mois passent, les retards s’accumulent. Sony Pictures voit le budget grossir et sa marge se réduire de plus en plus. Les tensions montent et, à ce moment-là, vous êtes tellement dépassé par l’ampleur de cet énorme paquebot que vous êtes censé diriger, que vous envisagez de quitter le navire. De laisser tomber. D’abandonner la série. Mais vous, vous vous sentez responsable de toutes ces personnes qui travaillent, que vous avez fait venir sur ce projet et qui vous ont fait confiance et donc, vous continuez.

Le projet a été lancé il y a maintenant deux ans et demi. Le retard fait jaser dans le milieu. On parle de plus en plus de bérézina. Pour couper court à tout bad buzz, Netflix va sortir… une moitié de The Get Down. Alors que, jusqu’alors, le streamer met en ligne la saison toute entière, là, elle ne va sortir ce que l’on nomme pudiquement « la 1ère partie de la saison“ Les 6 premiers épisodes. C’est du jamais vu.

Toute la saison a été tournée mais il faut encore se lancer dans la post-production, le montage, le mixage, et vous êtes – hum hum- perfectionniste. Donc vous perdez encore beaucoup de temps. Mais vraiment beaucoup. Et beaucoup d’argent. Car on a largement dépassé le budget de 90 M de $ initialement prévu.

C’est l’année suivante, en avril 2017, que la fin de la saison 1 sort enfin. Et là, oh surprise, elle ne fait que 5 épisodes, et pas les 7 ou 6 initialement prévus. Vous n’avez pas pu faire les 13 épisodes requis

mais seulement 11. En réduisant donc l’amortissement sur la longueur, le budget

initial explose littéralement.

Chaque épisode devrait coûter un peu plus de 7 millions de $. Maintenant, on est passé à 11M pour un budget total de – accrochez vous – 120 M $ !!! The Get Down est devenu la série la plus chère du moment.

C’est un démarrage difficile mais vous vous dites tout rentrera dans l’ordre avec les saisons suivantes. Un nouveau showrunner viendra s’occuper de la série qui est maintenant lancée sur de bons rails. Hé bien… non! Un mois après la sortie de la fin de la saison, Netflix annonce que The Get Down est… down ! La série est annulée et devient non seulement la série la plus chère du moment mais la première création originale de Netflix à être arrêtée après une seule saison.

Triste record.

Alors officiellement, Netflix déclare que créer The Get Down fut une expérience incroyable.

Élément de langage… Et le président de Sony réaffirme à quel point votre style et votre exubérance font de The Get Down une œuvre intense.

Vous, Baz, dites que vous avez maintenant des films à faire. La réalité est un peu différente. Pour Sony, la série a été un gouffre financier. Vous, vous devrez patienter 6 années avant de sortir un nouveau film, « Elvis ». Pour Netflix, The Get Down est un fiasco à 120 millions de dollars ! Là, ce n’est même plus une série qui a dérapé. C’est une série qui a fait une sortie de route !

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