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Maison Close, Ouvrez-les, bordel !

Maison Close, Ouvrez-les, bordel !

Nous sommes en 1890 à Paris. Il est déjà tard dans la soirée. Une voiture à cheval s’arrête devant le 12 rue du Chabanais. Un homme en descend et pousse une porte. Il arrive dans une incroyable grotte de stuc où l’éclat doré des chandelles se reflète sur des miroirs. Une belle dame vêtue à l’oriental l’attend. Il lui baise la main. 

– Votre siège d’amour est arrivé, lui susurre Madame Kelly, la gérante des lieux. L’ébéniste Louis Soubrier l’a fait livrer ce matin.

– J’ai hâte de l’essayer ! ce réjouis l’homme avec un accent anglais.

Le visiteur monte un escalier et arrive dans le fastueux salon de présentation. 

– Bonsoir Monsieur le sénateur, Bonsoir Monsieur de Maupassant…

Il y a du beau monde dans le salon.

A la vue du nouveau venu, les filles, sublimes odalisques dans leurs longues robes blanches, frétillent. Elles murmurent derrière leur éventail : Dirty Bertie vient d’arriver !

Alors qu’une belle brune lui tend une coupe de champagne, l’Anglais désigne deux blondes sculpturales du doigt. C’est avec elles que le Prince de Galles, le futur roi Édouard VII d’Angleterre, essayera son nouveau siège d’amour !

On dit que la prostitution est le plus vieux métier du monde. Ce qu’il y a de certain est qu’elle est le corollaire du mariage. La putain et l’épouse ont été, jusqu’à la libération sexuelle toute récente, les deux faces d’une même médaille : celle de la femme. La première était au service des désirs des hommes, la seconde avait pour mission de lui donner des enfants légitimes. Si celle-ci règne sur le foyer, la question d’enfermer l’autre au bordel s’est souvent posé à travers l’histoire.

Les maisons closes ont tour à tour été tolérées, encouragées et interdites en fonction de la vision morale et médicale de chaque époque. 

D’un point de vue commercial, il a toujours été plus facile de regrouper l’activité prostitutionnelle dans des lieux dédiés même si elle existe toujours simultanément de plusieurs manières.

Dès l’Antiquité Égyptienne, entre 3000 et 2000 ans avant J.-C., on voit apparaître des tavernes dans les villes le long du Nil. Celles-ci s’appellent les Maisons de Bière car on y boit …de la bière. Et d ans ces bars, sans surprise, on trouve aussi des filles ! Les Égyptiens de l’Antiquité sont assez libertaires en comparaison avec les Grecs et les Romains. 

Les femmes sont même assez sexy selon nos critères. Il fait très chaud, elles portent des robes en lin peu couvrantes. Et puis faire l’amour peut se dire « faire un jour heureux ». Pourquoi se priver d’un tel plaisir après une longue journée au champ ou sur un chantier.

Le papyrus érotique de Turin donne à voir aujourd’hui l’esprit festif de ces maisons de bière. Il a été découvert à Deir El-Medineh au début du XIXe siècle. Il s’agissait d’un village d’artisans spécialisés dans la construction de monuments funéraires près de la vallée des rois. Sur ce papyrus, on peut voir des saynètes érotiques et humoristiques de couples faisant l’amour dans tout un tas de position pas toujours réalistes… Les hommes y ont des sexes très longs (Rocco Siffredi en ferait des complexes) et les femmes des sexes ourlés de toisons noires. Sur l’une des scènes, un homme tient sa compagne de jeu par les cheveux et lève la main comme s’il s’apprêtait à lui mettre une fessée… on n’a décidément rien inventé.

En 1864, Jean-François Champollion se retrouve devant ce papyrus. Il en perd son latin, son grec, son hébreu et même son égyptien…  Il écrit à son frère : « Là, des débris de peinture d’une obscénité monstrueuse qui me donne une bien singulière idée de la gravité de la sagesse égyptienne ».

Si Champollion veut de l’austérité, il faudra changer de civilisation.

Faisons un saut dans le temps de mille deux cents ans. Nous voilà dans la Rome antique, à l’époque des premiers empereurs, un peu après Jules César. La prostitution est partout. Les filles les plus miséreuses attendent le client la nuit entre les tombeaux qui bordent les entrées des villes. Les filles des tavernes ont, quant à elles, la cuisse légère même si parfois, leur petit plaisir est de faire languir le client qu’elles ne rejoindront jamais. Enfin, les courtisanes reçoivent chez elle ou se déplacent chez le client. Mais c’est encore au lupanar qu’on est sûr de trouver une fille bon marché et efficace.

Le lupanar de Pompéi est un lieu unique. C’est le seul bordel de l’antiquité qui existe encore grâce à l’éruption du Vésuve le 24 octobre 79 apr. J.-C.

Imaginez-vous en train de vous promener dans les rues de la ville. Vous avez dépassé le forum et vous remontez la rue de l’abondance. Bientôt, vous tournez à gauche dans la ruelle du lupanar.  Depuis les fenêtres du premier étage, des filles vous interpellent. On les appelle les louves parce qu’elles appâtent le chaland en faisant des ouh ! Elles sont trop maquillées, du noir sur les yeux, du blanc en guise de fond de teint, du rouge sur les lèvres, mais c’est plutôt joli quand elles laissent tomber leur tunique sur l’épaule. On peut voir leur soutien-gorge rouge mouler leurs seins ronds.

Vous entrez dans l’établissement. Un portier debout à côté d’une peinture de Priape au sexe gigantesque vous accueille. Non, le dieu protecteur des champs n’est pas là pour vous donner des complexes mais pour présider aux bonnes affaires. Un peu comme les statuettes de chats qui remuent la patte dans les restaurants chinois.

Vous voilà dans un couloir qui dessert 5 cellules fermées par des rideaux. Au fond, il y a des toilettes, mais vous n’êtes pas là pour ça. 

Vous entendez des soupirs partout. Ça travaille à l’intérieur des chambres. Les marins sont venus du port après avoir déchargé leur bateau pour un autre type de décharge. Vous levez les yeux. Au-dessus des portes des chambres, une série de tableaux montrent des couples en train de faire l’amour. Rien de fou mais c’est assez excitant.

 Quelques filles viennent à vous. De prêt, vous voyez bien qu’elles ne sont pas de première fraîcheur mais elles ne coutent pas cher. Elles sont esclaves et sans doute prostituées depuis l’enfance. Elles s’appellent Fortunata, Sucessa, Bérénice et Victoria. Elles vous proposent une fellation ou une bonne partie de jambes en l’air. « Tu baiseras bien » promettent-elles sur un ton gouailleur. Vous choisissez Fortunata pour le prix de deux litres de vin. 

Elle vous tire derrière un rideau. La cellule aux murs de pierres nues est illuminée par quelques lampes à huile. Fortunata vous attire sur un lit maçonné couvert d’un matelas. Elle écarte les cuisses laissant apparaître son sexe bien épilé. En revanche elle garde son soutien-gorge. Après avoir fait votre petite affaire en quelques minutes, vous attrapez un petit caillou sur le sol et vous gravez dans l’enduit du mur : « Hic Ego cum uene futui, deinde redei domi »

Ah oui, pardon, vous voulez la traduction : « quand je suis arrivé ici, j’ai baisé, puis je suis rentré chez moi ».

Eh oui, c’est à ça que ça sert le lupanar dans l’Antiquité romaine. Vous n’êtes pas là pour réinventer le kamasutra. 

Le bordel dans la Rome Antique est réservé aux basses classes sociales ou aux hommes pressés. Ils font partis de la vie publique.

Il faut attendre l’avènement du christianisme comme religion majoritaire pour qu’on regarde les prostituées comme des victimes et les clients comme des pécheurs.

Ça ne veut pas dire que la prostitution disparaît. Elle se fait seulement plus discrète.

Changement d’ambiance ! Suivez-moi à Paris. Nous voilà au Moyen-Âge. Les rues de la ville sont tortueuses et étroites. Le quartier latin est plein d’étudiants  venus à l’université de la Sorbonne. Ils vont taquiner la ribaude dans les tavernes.

Pendant la quasi-totalité du Moyen-Âge, les bordels sont interdits ou plutôt, il faut les interdire régulièrement car la prostitution trouve toujours de nouveaux débouchés. Elle est alors alimentée par les filles sans famille. Eh oui, les aides sociales n’existent pas encore. Les orphelines et les jeunes veuves finissent bien souvent sur le pavé, faute d’endroits où aller.

Beaucoup exercent dans les étuves, les bains publics médiévaux.

Imaginez des lieux, souvent mixtes, avec des grandes baignoires en bois où on peut s’installer à deux, quatre ou huit. Le personnel des bains peut poser une planche en travers de la baignoire et vous servir du vin, du pain, du fromage… Vous voyez, on est loin des clichés sur le Moyen-Âge ! Les filles publiques exercent souvent dans ces étuves. La nudité et la promiscuité sont propices aux débordements… et pas qu’à ceux des baignoires. Souvent, le clergé monte au créneau et fustigent ces excès de la chair… c’est probablement pour cela que certaines congrégations religieuses avaient ouverts leurs propres bordels surveillés par des bonnes sœurs. Des péchés qui enrichissent l’église sont-ils vraiment des péchés ?

Les étuves publiques ferment au XVe siècle et à nouveau les tavernes et la rue deviennent les lieux privilégiés du sexe tarifé.

La première grande zone bordelière assumée apparaît à Paris au Palais-Royal dans les années 1780. Ce domaine situé au cœur de la capitale est alors l’apanage du duc d’Orléans. Étant un peu court financièrement, il décide de faire de son palais et des jardins un haut lieu de plaisir. Après quelques travaux, il loue près de 180 boutiques à des perruquiers, des parfumeurs, des marchands de modes, des établissements de jeux et de spectacles… Évidemment, dans les arrière-boutiques, on trouve bien souvent des filles. Bientôt, prostituées et proxénètes louent des appartements dans les étages qui deviennent de vastes boxons. Il y a des prostituées partout : aux fenêtres du bâtiment, sous les colonnades, dans les jardins. D’autres viennent ponctuellement pour arrondir les fins de mois. On les appelle les hirondelles !

Quelques années plus tard, pendant la révolution française, la prostitution s’étend dans les rues alentour jusqu’aux jardins des tuileries. La prostitution est alors ouvertement tolérée même si la police tente d’éviter les débordements. Les filles sont assez jeunes, entre 15 et 25 ans et viennent de milieux pauvres. Leur travail de journalière comme couturière ou marchande ne suffit pas à subvenir à leurs besoins alors elles tapinent. La prostitution est devenue un métier journalier comme un autre, une nécessité pour bien des filles modestes en milieu urbain. 

C’est avec l’avènement de Napoléon et du premier empire que l’on va commencer à réglementer la prostitution et à rouvrir officiellement les maisons closes. L’objectif est vraiment de soustraire les filles du regard des passants et de cacher la misère sexuelle entre quatre murs. Elles permettent aussi de contrôler les maladies infectieuses comme la syphilis qui fait des ravages.

Le XIXe siècle est la grande époque des maisons closes, celles qu’on a tous dans un coin de nos imaginaires à cause des films et des séries. Ce sont des maisons entières ou des petits immeubles. On y trouve des salons luxueux décorés de grands miroirs, de confortables canapés en velours, du champagne dans des coupes de cristal. Dans les étages, se trouvent les chambres. Elles sont souvent décorées en fonction d’une thématique. Chacune est un décor à part entière. Tout est fait pour favoriser les plaisirs érotiques.

On les trouve plutôt les belles maisons closes dans le centre de Paris et sur les grands axes. Bien sûr, il y a toujours des filles dans les tavernes qui se changent petit à petit en bistrots et en restaurants mais le bordel prospère. Dans la première moitié du XIXe siècle, il y en a plus d’une centaine à Paris. C’est trop. Au final, les plus miteux périclitent et, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ne subsistent que les plus beaux. Ils deviennent des lieux de sociabilité masculine. On y va boire, manger, faire des affaires et finir la soirée avec une fille. Y aller une fois par semaine relève presque d’une bonne hygiène de vie.

La vie dans ces maisons closes parisiennes, ce n’est pas l’enfer mais c’est loin d’être le paradis. Les volets des salons sont toujours clos pour protéger les passants de la vue des filles que la loi, bien plus que la tenancière, maintient à la marge de la société. La tenancière, quasiment toujours une femme car la police veut traiter avec des femmes sur qui elle a une plus grande autorité, tient un registre de ses pensionnaires. Ce sont des filles à numéro pour la police. Ce numéro permet de suivre leurs allers et venus dans les maisons, dans les dispensaires ou à l’hôpital-prison de Saint-Lazare. Deux à trois fois par mois, les filles se font ausculter par des médecins. Elles ont le droit de continuer à travailler si elles ne sont pas porteuses de traces visibles de maladies vénériennes. 

Bon, il faut savoir qu’à l’époque les médecins utilisent le même spéculum toute la journée et que les plus efficaces se vante de voir 40 filles par heure. Ils contribuent donc à diffuser eux-mêmes les maladies qu’ils combattent sans le savoir. Les mères maquerelles ne valent pas mieux que les médecins. Elles n’aiment pas l’idée d’enlever une bonne gagneuse des circuits et elles sont passées maîtresses dans l’art de maquiller les muqueuses malades avec des cosmétiques et des morceaux baudruches collées sur les ulcérations vulvaires.

Résultat, la syphilis est en fête !

Quand les filles sont quand même identifiées comme malade, à Paris, on les enferme à Saint-Lazare, un hôpital-prison pour femmes où les prostituées sont mélangées avec les détenues de droit commun. Elles reçoivent un traitement à base de mercure (je rappelle que le mercure est un métal lourd hautement toxique) et puis on leur rend leur liberté quand elles semblent guéries et elles repartent travailler.

En dehors des visites médicales, la vie dans la maison close est très monotone. On se lève le matin vers 12h après avoir dormi dans un dortoir souvent situé dans les combles de la maison. Après une première toilette, on déjeune ensemble. On va pas se mentir, au bordel, les filles mangent à leur faim plusieurs fois par jour ce qui est loin d’être le cas de tout le monde à la même époque. La gérante, souvent une ancienne prostituée qui a pris du galon, fait régner l’ordre. On se croirait presque dans une pension pour filles de bonnes familles. Les rebelles se prennent des amendes et des gifles et puis si elles ruent trop dans les brancards, on les donne à des proxénètes qui les mettront dans des maisons d’abattage pour les ouvriers et les marins. Mieux vaut donc se tenir à carreau.

Après le déjeuner, les filles passent une partie de l’après-midi à se préparer, savons, parfums, jupons, corsets, bas, coiffures élaborées… Ça prend un temps fou. Parfois, un vendeur vient proposer des nouveautés au salon car les filles n’ont pas le droit d’aller faire des emplettes. Elles vivent en circuit fermé parce que c’est la loi et non la volonté de la tenancière. 

Tous leurs achats, le loyer et la nourriture ont un coût. Ce sont ces dépenses qui constituent la fameuse dette des prostituées. Ça les aliène, c’est vrai, mais encore une fois, travaillé dans un beau bordel, c’est pas l’usine. On est au XIXe siècle et la société n’est pas la même que la nôtre.

Quand elles ont fini de se préparer, les filles descendent au salon et l’attente commence. Ça papote, ça échange des astuces, certaines jouent de la musique et les plus malines lisent des livres. Mais globalement, tout le monde s’ennuie.

A la nuit tombée, alors que la lanterne rouge devant l’entrée éclaire le numéro de la porte tracé en grand pour bien être visible, les premiers clients arrivent. Ils échangent des jetons contre de l’argent à la tenancière ou à son adjointe. Ils discutent, boivent, mangent, tripotent les filles et leur demande de faire des petits spectacles. On adore les faire poser comme dans un tableau vivant. Et puis on monte, dans les belles chambres des étages.

Dans les établissements de luxe, les filles font environ 5 passes par nuit alors qu’on monte à 70 dans les maisons d’abattage. Dans les vrais bordels, on vent du luxe, du temps, du rêve. Les filles, correspondent à tous les physiques attendus : la jeune première, la femme fatale, l’orientale, la ronde, la rousse, l’exotique venue des colonies. Elles savent jouer des rôles, écouter, assouvir tous les fantasmes. Il n’y a qu’une seule chose qu’elles trouvent dégoutante : c’est qu’on leur demande d’enlever leurs bas. La nudité totale est alors très grossière et même les prostituées détestent ça. 

C’est aussi au XIXe siècle que les plaisirs BDSM se raffinent. Pendant que Dirty Bernie, le prince de Galles, chahute deux filles sur son siège d’amour après un bain de champagne, d’autres client reçoivent le martinet. La canne à flagellation au pommeau en émail de Douchka, domina du Chabanais, existe toujours, actuellement conservée dans une galerie d’art érotique dans la même rue…

Et puis au milieu de la nuit, le bordel ferme ses portes les filles montent se coucher et la journée recommence. La même journée, encore et encore.

Satisfaire les pulsions libidinales des hommes, servir d’égout séminal, tel est le rôle social de la prostituée. Égout séminal, c’est bien l’expression qu’on utilise à l’époque. Ces femmes sont des cloaques humains, une nécessité comme les égouts et elles sont immondes comme eux. Comment ne pas les mépriser quand on les voit comme la lie de la société malgré une indéniable utilité sociale qui permet de protéger du vice les femmes honorables en concentrant dans leurs chairs les désirs des hommes.

 Pendant la première guerre mondiale, l’État met lui-même en place les BMC, les bordels militaires de campagne. Le repos du guerrier se fait sous des tentes rudimentaires. Les filles réconfortent les poilus en quelques minutes. Quelques coups de reins, quelques étreintes et on retourne crever dans la boue des tranchées.

Léon Bizard, le médecin de la préfecture de police de Paris chargé d’une partie de l’organisation de la prostitution militaire regarde ces filles avec une forme d’admiration. Pour lui, elles sont les héroïnes de l’ombre de la guerre.

Dans les années 1920, après 4 ans d’enfer et les ravages de la grippe espagnole, on assiste à un relâchement des mœurs. L’envie de fête est partout. Il ne reste que quelques dizaines de bordels à Paris. Les filles sont de plus en plus concurrencées par les bourgeoises en mal d’amour et les occasionnelles. Les régulières hors des bordels se nomment les filles en carte car elles ont une sorte de carte d’identité données par la police des mœurs pour assurer leur surveillance.

Les derniers bordels parisiens sont des établissements de grand luxe. Le Chabanais reste une référence malgré la concurrence du One Two Two et du Sphinx. Les filles y sont belles et habillées comme des princesses.

Puis la guerre revient, encore. Les bordels parisiens ouvrent leurs portes à l’occupant. Ils n’ont pas vraiment le choix, il faut dire. Et cette clientèle leur apporte des privilèges. Le rationnement n’est plus un souci. L’alcool coule à flot et la viande remplie les assiettes. Si bien qu’à la fin de la guerre, on voit les gérants et les filles des maisons closes comme des collaborateurs.

C’est là qu’entre en scène Marthe Richard.

Belle et pleine d’audace, cette cousette rebelle est entrée en prostitution dans une maison d’abatage après s’être sauvée de chez elle dans sa prime jeunesse. En montant à Paris, elle intègre une maison close de luxe. Elle ne reste pas longtemps dans ce monde interlope : elle est suffisamment intelligente pour se faire épouser par un riche client, Henri Richer, mandataire aux Halles. Marthe vit en grande bourgeoise et fait même partie des premières femmes à obtenir son brevet de pilotage.

Le reste de sa vie est fait d’une série de rebondissements invraisemblables. Difficile de dire si elle a vraiment été espionne ou résistante. Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’elle est élue conseillère municipale à Paris en 1945. On lui confie alors la tâche de faire fermer les maisons closes. On estime que cette décision aura plus de poids si elle est portée par une femme. Question de moralité ! La véritable raison est que l’on veut punir les proxénètes qui se sont engraissés pendant la guerre et les putains qui ont ouvert leurs cuisses aux Schleus, comme on appelait alors les Allemands.

Marthe, déterminer à laisser son nom dans l’histoire, mène son enquête à Paris et en Province pour son rapport… Les bordels, elle sait ce que c’est. Elle va rendre leur liberté aux filles. Et pourtant, elle se heurte à leur hostilité. Les filles ne veulent pas de la fermeture des maisons pour une raison simple : elles vont se retrouver à la rue.

Mais qu’à cela ne tienne. Le mouvement abolitionniste né en Angleterre à la fin du XIXe siècle a fait son œuvre. Mené par Joséphine Butler, une féministe épouse de prêtre anglican, ce mouvement considère qu’il faut sauver les pécheresses… pardon, les prostituées je veux dire… et que la fermeture des maisons mettra fin au sexe tarifé.

Quelle naïveté…

Toujours est-il que la France est devenue abolitionniste. Le 6 novembre 1946, la loi Marthe Richard est appliquée, toutes les maisons closes de France ferment leurs portes. Les lanternes rouges s’éteignent et les filles des maisons deviennent des filles des trottoirs, encore plus soumises qu’avant à la violence de la rue et des proxénètes.

Le plus amusant dans cette histoire, est que celle qu’on surnommera désormais la Veuve qui Clot changera d’avis sur la fermeture des maisons closes une vingtaine d’années plus tard.

Force est de constater, qu’en France, la fermeture des maisons closes n’a pas empêché la prostitution. La rue, les bars à entraineuses, les boites de nuits puis les sites internet et les réseaux sociaux ont pris le relais. La prostitution ne disparaîtra jamais. Elle s’adapte au contexte juridique et social. C’est tout.

Aujourd’hui, pour aller dans une maison close, les Français peuvent se rendre en Espagne, en Suisse, en Belgique, en Allemagne, en Hollande…

La loi réglemente le métier et offre une certaine protection aux filles. On sait aujourd’hui que les pays règlementaristes sont tous parvenus à réduire la traite d’êtres humains en matière de prostitution.

En France, il est impossible de rouvrir le débat sur le réglementarisme. Les abolitionnistes idéologues refusent la discussion. Du coup, les réseaux africains et d’Europe de l’Est continuent à pratiquer la traite avec des filles violentées et réduites en esclavage.

Les prostituées indépendantes sont quant à elles obligées d’exercer dans des conditions toujours plus dangereuses, toujours plus à la marge des centres urbains ou dans des appartements de locations. Elles sont victimes de la violence des mauvais clients et des petits malfrats qui viennent voler leurs gains.

Les maisons closes françaises sont aujourd’hui en ligne. Les sites d’escorting hébergés à l’étranger font florès. Ils échappent à la loi et laissent la brigade de répression du proxénétisme souvent impuissantes. Instagram, Onlyfan et d’autres réseaux sociaux deviennent aussi de nouveaux portails virtuels vers des maisons closes dématérialisées ou presque toutes les femmes peuvent avoir la tentation de se vendre d’une manière ou d’une autre. 

Quand on constate l’échec humain et sociétal qu’est la loi Marthe Richard, on comprend qu’il est urgent de repenser les lois sur la prostitution. Faut-il rouvrir les maisons closes ? Et si pour une fois, on laissait la parole aux principales intéressées, les prostituées.

Texte et Voix : Virginie Girod

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