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PANIQUE SUR LE TOURNAGE : LES DENTS DE LA MER !

PANIQUE SUR LE TOURNAGE : LES DENTS DE LA MER !

Le tournage des Dents de la Mer de Spielberg a été un cauchemar… Trop d’alcool sur le plateau, trop de moustiques, pas de scénario et… le requin ne fonctionne pas !

Texte : Jean Pascal Grosso Voix : Robin Grimaldi

Nous sommes dans les années 70. 

Hollywood est en pleine ébullition. Les studios sont envahis de jeunes talents. Ils se nomment Georges Lucas, Coppola, Scorsese, De Palma et…Steven Spielberg.

Pas celui de E.T., des Aventuriers de l’arche perdue, de La Liste de Schindler…

Pas encore. Il n’a que 26 ans.

Il a réalisé un épisode – très remarqué – de la série Columbo.

Il a aussi réalisé Duel, un téléfilm qui raconte le combat entre un automobiliste et un camion bien décidé à le tuer, et SUGARLAND EXPRESS, une comédie romantique sur fond de cavale de deux amoureux poursuivis par la police.

Les producteurs de ce film sont David Brown et Richard D. Zanuck, eux ont déjà de l’expérience. 

Ils croient en Spielberg et permettront à leur poulain d’adapter un roman à succès : LES DENTS DE LA MER.

L’histoire d’une petite station balnéaire américaine terrifiée par un requin mangeur d’homme.

Steven Spielberg, qui a de la suite dans les idées, y voit la possibilité de refaire son film DUEL en version aquatique.

Tête la première, tout le monde plonge dans le projet.

Sans vraiment calculer de budget.

Sans vraiment de scénario bouclé

Ni de casting terminé.

Et avec un requin mécanique qui n’a jamais vraiment fonctionné.

Steven Spielberg l’avouera des années plus tard :

« IL FALLAIT ÊTRE COMPLÈTEMENT CRÉTIN POUR CROIRE QUE CA ALLAIT BIEN SE PASSER. »

Tout commence en 1964.

Peter Benchley est un journaliste indépendant.

Il découvre un article étonnant publié par le journal THE NEW YORK DAILY NEWS, titré :

« UN PÊCHEUR A SORTI UN REQUIN DE DEUX TONNES DES EAUX DE LONG ISLAND ».

Il faut savoir que Long Island est sur la côte est des États Unie, pas loin de New York, et les requins ne sont pas courants là-bas…

Il relie cette histoire à un fait-divers lui aussi bien réel : les attaques répétées d’un requin dans les eaux du New Jersey toujours sur la côte est, en 1916 et qui ont fait quatre morts.

Les années passent et sous les encouragements d’un éditeur new-yorkais, il signe le roman JAWS qui devient en français LES DENTS DE LA MER.

Pour la petite histoire, Benchley, qui se présente aisément comme un pigiste fauché, confie que les huissiers frappaient à sa porte au moment même où il écrivait les dernières lignes de son histoire.

A sa sortie, le livre est massacré par la critique qui le trouve généralement mou et mal ficelé.

Un journaliste du magazine COSMOPOLITAN note cependant : « Malgré tout, cela pourrait donner un bon film. »

Et qui travaille également pour COSMOPOLITAN ? L’épouse du producteur David Brown !

Avec son acolyte Richard D. Zanuck, ils achètent les droits du roman à Peter Benchley pour 175 000 dollars.

Plus 25000$ s’il accepte d’écrire lui-même le scénario.

Mais qui pour filmer ?

Les producteurs cherchent du sang neuf. Un ton irrévérencieux et brutal.

Quelqu’un de révolutionnaire dans sa manière de filmer et de dynamiter le roman.

En pleine post-production de son SUGARLAND EXPRESS, Steven Spielberg passe par le bureau de ses producteurs.

Rien de plus normal.

Là, il tombe sur un exemplaire du scénario de JAWS. « MÂCHOIRES » en anglais.

Le réalisateur est intrigué par le titre. Il pense que Mâchoires est une histoire de dentiste…

Il emporte le scénario et le dévore en un week-end.

Coup de cœur de Spielberg : il veut tourner LES DENTS DE LA MER.

Brown et Zanuck lui donnent le feu vert.

Hors de question de tourner le film sur un lac ou dans une citerne géante.

Steven Spielberg annonce la couleur dès la signature de son contrat : son film se tournera sur la mer, la vraie !

Lew Wasserman, alors président d’UNIVERSAL, s’inquiète de cet engouement pour un jeune metteur en scène qui n’a toujours pas fait ses preuves.

Pressentant une possible catastrophe, il fait venir les deux producteurs dans son bureau et leur demande s’ils sont bien sûrs de vouloir ce Spielberg. Ne faudrait-il pas quelqu’un de plus expérimenté ?

Brown et Zanuck persistent : ce sera Spielberg ou rien.

LES DENTS DE LA MER est lancé avec 3,5 millions de dollars de budget et 55 jours de tournage de prévus. Pas un de plus. C’est acté.

En ce qui concerne les comédiens, Spielberg est formel : il ne veut pas de stars confirmées.

Il veut que les spectateurs s’identifient aux héros du film. Il faut donner l’impression que c’est une aventure qui arrive à des gens ordinaires.

Et puis, il ne veut pas que les spectateurs devinent qui va survivre à la fin…

Sur les conseils de son grand copain George Lucas, le futur papa de La Guerre des étoiles, il récupère Richard Dreyfuss pour le rôle du biologiste marin.

Son dernier film, vient de faire un bide. Dreyfuss ne peut pas refuser.

Pour le rôle du shérif, il jette son dévolu sur l’excellent Roy Scheider.

Scheider est alors connu pour son rôle de flic violent dans le polar oscarisé French Connection.

Mais Spielberg ne veut pas d’un justicier sur l’eau.

L’acteur lui fait la promesse d’interpréter son personnage comme un bon père de famille.

Et puis, il y a le personnage du chasseur de requins, un type rude, un dur et un poivrot.

Universal suggère l’irlandais Robert Shaw :

Comédien, écrivain, poète et alcoolique notoire.

Et le requin dans tout ça ?

Simple : il suffit de demander à des dresseurs de requins de leur enseigner des cascades. Comme de bondir sur le bateau… Les orques et les dauphins le font bien dans les parcs aquatiques !

Ron et Valerie Taylor sont un couple d’Australiens spécialiste des requins.

Ils sont appelés pour filmer les scènes sous-marines et calment rapidement les délires hollywoodiens.

On ne dresse pas un requin. 

Et si vous les taquinez d’un peu trop près… ils vous mordent.

La solution ?

Il faut créer un requin de toute pièce. Un monstre mécanique.

Spielberg est resté bluffé par la pieuvre géante du film 20 000 lieues sous les mers. Une production Disney de 1954.

Son créateur, Robert Mattey, est engagé illico par Universal.

Le tournage débute le 1er mai 1974 sur l’île de Martha’s au large du Massachusetts. Ce n’est pas loin de Boston, très cossu, très bourgeois.

Mais…rien n’est prêt.

Le scénario n’est pas terminé. Ni le casting. Ni même le requin…

La créature mécanique télécommandée qui mesure 8 mètres de long et pèse plus d’une tonne, est vraiment flippante, très réaliste. Mais, quand on la jette à la mer…elle coule. 

Des bulles, des gargouillements sinistres…et plus rien.

Le terrible requin repose sur le sable par 9 mètres de fond…

Heureusement, Robert Mattey, professionnel excellent, a créé deux répliques de son requin géant…qui ne fonctionnent pas non plus.

En gros le requin refuse d’ouvrir sa gueule ou alors de travers ou à moitié.

Ses yeux fonctionnent quand ils veulent. Comme sa queue.

« Le requin ne fonctionne pas ! » devient une antienne que les techniciens répètent à longueur de journée par talkies-walkies interposés.

Tout le monde devient dingue.

Les bons jours, quand le requin mécanique se libère de ses caprices, Steven Spielberg ne tourne que quelques mètres de pellicules. De rares prises le matin, autant en fin de journée.

Le tournage s’éternise.

En juillet, les touristes débarquent. 

Pour les producteurs, les prix flambent, y compris celle des chambres d’hôtel en pleine période estivale.

Ajoutez-y les tensions dans l’équipe, une météo un peu folle, les attaques des moustiques, les plaisanciers qui voguent en arrière-plan tandis que la mer doit paraître déserte et inquiétante…

De petits malins demandent même des bakchichs pour aller étrenner leur voilier ailleurs que dans le champ de la caméra… 

Parallèlement, plus les épreuves s’amoncellent, plus Spielberg se durcit.

Chaque plan sera comme il l’entend.

Même s’il faut attendre que des marins du dimanche aient ramené leurs bateaux de loisir à bon port.

Le soir, le réalisateur et les comédiens se retrouvent dans un bungalow. Ils picolent sec en cherchant de nouvelles idées. Un scénariste les tape à la machine.

La première version du scénario était absolument nulle.

John Milius, qui écrira plus tard Conan le Barbare est appelé à la rescousse. Puis Carl Gottlieb, autre scénariste d’Hollywood et le dramaturge Howard Sackler.

On mouline…

Pour la fin du film, Spielberg a une idée qu’il juge brillante : les deux héros survivants se retrouvent en pleine mer poursuivis cette fois par une nuée d’ailerons.

Avec un seul requin, c’est déjà assez dur comme ça. Mieux vaut oublier.

Bourrés au whisky, Richard Dreyfuss et Robert Shaw manquent d’en venir aux mains. 

Ce qui ne les empêchent pas de s’unir pour vomir sur le tournage en cours dans les colonnes du magazine TIME déclarant, je les cite :

« Ce film sera la daube de l’année, le scénario est une vraie merde ».

Ambiance…

Une guerre fratricide se noue à Martha’s Vineyard où tout le monde se tire dans les pattes dans une ambiance aggravée par la paranoïa et le trop-plein d’alcool.

Au bout du centième jour de tournage, à Hollywood, on rit jaune.

Rappelons qu’au départ, tout devait être tourné en 55 jours…

Les rushes sont lamentables.

Le budget initial de 3,5 millions de dollars est déjà passé à 4,5 millions. Puis 5, 6…et ça continue…

Et le requin ne fonctionne toujours pas…

C’est là que Spielberg a un coup de génie…Comme on ne peut pas filmer le requin…on va le suggérer. On va aussi épouser son point de vue, le spectateur voit avec les yeux du requin..

Les moments les plus intenses du film deviennent ceux où le requin charge, attaque, mais n’apparaît pas. Chauffée à blanc, l’imaginaire des spectateurs fera des merveilles…

On ne le verra pas jusqu’à la rencontre finale avec ses chasseurs.

Il y a tout de même des scènes avec des vrais requins. Comme l’attaque d’une cage de fer, immergée sous l’eau avec Dreyfuss à l’intérieur. 

Pour l’occasion, on le remplace par un cascadeur de petite taille, anciennement jockey.

Il faut que le requin paraisse immense.

Le mammifère marin fonce, manque de rentrer dans la cage et le jockey de se faire manger. Il en sortira avec une frousse immense.

Pour la scène finale où le requin saute sur le bateau de Quint, là, c’est du toc.

Le monstre de Robert Mattey saute.

Steven Spielberg se plaint qu’il manque de puissance.

Mattey et ses hommes ont fait de leur mieux. Et entre le vieil artisan Disney et le jeune loup de Hollywood, c’est l’ultime estocade.

« Ce sera comme ça et pas autrement » lâche Mattey, sévère.

Pour la première fois, l’élève cède devant le maître. Le réalisateur décide que la scène est pliée.

Le tournage des DENTS DE LA MER s’arrête au bout de 159 jours.

Son budget est passé de 3 millions et demi à 10 millions de dollars.

Pour la scène finale, celle de l’explosion du requin, Steven Spielberg n’est pas là.

Il laisse la seconde équipe de s’en occuper.

Le réalisateur s’enfuit sur une vedette rapide louée en secret.

Il pense qu’une partie de l’équipe veut lui faire payer ce tournage infernal en le balançant à la flotte pour lui faire boire la tasse.

Quand Richard Dreyfuss le croise dans le premier vol pour Los Angeles, il s’étonne : « Tu n’as pas une dernière scène à terminer ? »

Spielberg, certain de se faire virer, n’a pas eu le cœur à la tourner.

Il en gardera cette tradition : jamais depuis, il n’a tourné de dernière scène.

LES DENTS DE LA MER sort sur les écrans américains le 20 juin 1975.

En deux semaines, il rentre dans ses frais.

Deux mois passent et il atteint le sommet des films les plus rentables de l’histoire.

Le public crie d’effroi, la critique au génie.

Les tee-shirts, les affiches, les jouets et les serviettes de plage à l’effigie du requin se vendent comme des petits pains.

Même Fidel Castro fait part de son enthousiasme. Le dictateur communiste cubain loue le film comme une « brillante charge anti-capitaliste ».

A cette nouvelle, Spielberg jubile.

Avec LES DENTS DE LA MER, il invente le business du « blockbuster de l’été ».

Il sera bientôt le cinéaste le plus riche de tous les temps.

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