Alors vous n’allez donc pas être surpris si la série Supercopter a existé sans ses acteurs, sans ses personnages, sans son concept… et sans son hélicoptère !
Ca paraît impossible, mais, hey, on est à Hollywood. Rien n’est impossible.
Je vous propose de relever le défi, Je lance le Supercoptère-challenge !!!!
Nous sommes en Mars 1986.
Chez Universal, on a un problème. Un soucis de taille : de la taille d’un Bel 222, un hélicoptère qui a été customisé pour l’occasion.
Le vol de ce gros bourdon mécanique a commencé 56 épisodes plus tôt. Nous étions en janvier 1984.
Et, on se souvient bien des circonstances de ce lancement : le succès d’un film, Tonnerre de Feu, avec Roy Scheider , qui retraçait l’introduction dans les forces de l’ordre d’un super-hélicoptère bardé de scanners et de mitraillettes. Et il y a avait aussi la mode, à la télévision, des séries de « Super-machines » comme on les appelait : K2000 avec la voiture Kitt, la moto de Tonnerre Mécanique… donc ça paraissait un bon plan, apres la super-voiture et la super moto, de lancer le super-hélicoptère.
D’autant que le créateur de la série conçoit une galerie de personnages torturés et complexes. Ben oui, ce n’est pas tous les jours que le héros d’une série d’aventures est un grand solitaire mélancolique, qui joue du violoncelle et admire les toiles de maître dont il a hérité, dont un Van Gogh
Les histoires baignent aussi dans une ambiance très guerre froide. Le Supercoptère est utilisé par le héros solitaire dans le but d’obliger une organisation secrète à retrouver son frère, porté disparu au Vietnam.
Ah oui, je vous avais prévenu, on est pas dans Benny Hill !!
Mais il faut reconnaître que tout cela fonctionne plutôt bien et que la série est assez passionnante. Sauf que… il y a un petit pépin. Les audiences. Elles sont, comment vous dire… adéquates. Moyennes. On a beau rendre la série plus familiale, moins sombre et ajouter un personnage féminin, rien n’y fait.
On a un autre pépin aussi : le pilote du supercoptère, celui qui joue du Stradivarius entre deux missions, l’air ténébreux, il coûte cher. Très cher. 200.000 $ par épisode. Il a pour nom Ian Michael Vincent et se traîne une réputation de bad-boy. Il va même jusqu’à reconnaître, dans une interview, que « Je ne me suis pas beaucoup impliqué dans la série. J’ étais même pas à 25% de ce que je dois donner. J’ étais vraiment fainéant ».
Ca a l’avantage d’être très honnête.
Et enfin il y a un troisième pépin : tourner des images spectaculaires du supercoptère en vol, ça coûte cher. Très cher.
Donc on vous résume : un acteur qui coûte cher. Un hélicoptère qui coûte cher à filmer, une audience en berne… Mauvais karma pour Supercopter !
Donc ce qui arrive dans ces cas là, on le sait bien : on arrête la série. C’est ce que va faire le diffuseur, la CBS, qui ne va pas la renouveler au-delà de sa 3ème saison. Sans le budget de ce
network pour produire la série, c’en est fini de Supercoptère.
Mais on en revient au début de notre histoire car c’est justement à Universal que cette décision pose un gros problème.
Quand le couperet tombe, le producteur se retrouve avec 56 épisodes sur les bras, et avec 56 épisodes, vous ne pouvez pas faire grand-chose. Ou, autrement dit : vous ne pouvez pas rentabiliser la série et encore moins gagner d’argent.
Avec seulement 56 épisodes de Supercopter, la seule option qui s’offre à vous, c’est de mettre les bobines au fin fond d’un entrepôt, dans une boîte, de fermer tout ça et de laisser la poussière et les toiles d’araignées recouvrir le tout.
A ce stade, il est nécessaire que je vous fasse un petit cours d’économie sur les séries télé de l’époque. Hum hum . Rangez vos cartables sortez vos cahiers et votre stylo, et prenez des notes.
Au début de sa production, une série est déficitaire. Dé-fi-ci-taire. C’est à dire que chaque épisode va coûter PLUS CHER que le budget qui est donné par la chaîne. Un épisode de Supercopter, ça représente un budget de 1 million 200.000 $. Ah ben, je vous avais dit que c’était cher. Et pour se faire, la chaîne va vous donner un budget de, grosso-modo, 900.000 $. Le reste, c’est donc Universal qui paye. Pour chaque épisode. Au bout de 56 épisodes, ça commence à faire une belle somme : 12 millions. Douze millions qui sortent de la poche des studios. Et c’est bien pour cela qu’on a un problème. Parce que, Universal, ce ne sont pas des philantropes. Warner ou Paramount non plus d’ailleurs. Leur but en produisant une série est de faire des bénéfices, pas d’engranger des pertes année après année.
Et d’habitude, Universal fait des bénéfices en vendant la série à l’étranger, en sortant des DVD – mais à cette époque,les coffrets DVD de séries n’existent pas encore ; en les vendant à Netflix, mais Netflix n’existe pas encore… et surtout, SURTOUT, en vendant les rediffusions. Sur tout le territoire des Etats-Unis, il y a une myriades de petites chaînes qui n’attendent que ça : pouvoir acheter et rediffuser la dernière série à la mode. Et ils la rediffusent tous les jours de la semaine, du lundi au vendredi, juste avant le prime-time. Vers 16h ou 17h par exemple. Un peu comme faisait chez nous La 5 avec son « plein de super » tous les jours, vous vous souvenez ? Donc allez, on va faire ça, vendre les rediffusions de Supercopter.
Mais là, il y a un hic. Il n’y a pas assez d’épisodes.
Avec 56 épisodes, vous tenez 2 mois et demi à l’antenne. Ben oui, faites le calcul. C’est trop peu. Les petites télé locales, elles veulent bien vous acheter vos rediffusions de Supercoptère, là, mais il faut que ça puisse tenir à l’antenne plus longtemps. 2 mois et demi, c’est trop court. Quand vous arriverez au 56ème épisode, pour enchaîner en repassant le premier et relancer un autre cycle de diffusion, ce sera trop court ! Vos spectateurs se souviendront encore de l’épisode qu’ils ont vu il y a deux mois. Et ils se diront « oh ben celui là je l’ai déja vu, je zappe ».
Ah là là, là là… Comment faire.
Et là, un responsable prend la parole : « et si on faisait d’AUTRES épisodes ? Une autre saison pour faire monter la quantité totale d’épisodes ? «
Sans le budget de la chaîne, puisqu’ elle n’en veut plus.
« Mais, vous êtes fou ? Vous voulez dire qu’il nous faut nous endetter encore plus et sortir, quoi..! 29, 30 millions de dollars à nous tout seuls ?«
Et là, va tomber la phrase magique :
Et si on produisait ces nouveaux épisodes au rabais ?
Silence autour de la table.
« C’est possible ? »
Ah ben oui, en réduisant tous les postes.
Mais ça sera moins bien, forcément.
Peu importe : on augmentera le nombre d’épisodes, qui montera donc à … attendez je calcule… 79 épisodes. C’est tout ce qui compte. Tu proposes aux chaînes 79 épisodes de Supercopter ils iront
pas voir si des épisodes sont moins bien que d’autres ! C’est un peu cynique mais… pourquoi pas.
Premier poste : les interprètes. Ian Michael Vincent, Ernest Borgnine, allez hop, on supprime. Ils coûtent trop cher. A la place, on va prendre Barry Van Dyke, Michelle Scarabelli, Tony Sherwood… eux, on leur fait une rémunération bien mois onéreuse.
Le deuxième des postes qui coûtent cher, c’est le tournage. Dans un premier temps,on va le délocaliser au Canada. C’est bien meilleur marché. Et sinon, pour les scènes d’action, eh bien c’est simple : on ne tourne plus de plans avec le Supercopter. Fini. Avec déjà 56 épisodes en boîte, on a assez d’images de lui volant, de droite à gauche, de gauche à droite, tirant des missiles, faisant exploser un autre avion ou d’autres choses comme ça,. On va donc reprendre ces plan déjà tournés. Dans le language des metteurs en scène, on appelle ça des stock-shots, des plans qui sont dans le stock. Une espece de banque d’images. Y’a qu’a se servir.
On recupère le décor du cockpit, mais le Supercopter va définitivement rester à terre.
Enfin, on va écrire des histoires simples, avec beaucoup de dialogues parce que, des gens qui parlent, ça ne coûte pas cher à filmer.
Alors… je fais les calculs, j’additionne tout ça… Je pose 5, je retiens 2… ça me fait… 400.000 $ l’épisode. Soit donc un tiers du budget initial.
Vous vous rendez compte ?
C’est le bon plan, hein ?
Diffusés sur une chaîne câblée appartenant au groupe Universal, ces 24 épisodes ne font pas d’audience mais ils permettent d’arriver au but qui était fixé : passer à 79 épisodes, se revendre sur tout le territoire américain et enfin, ENFIN, rentabiliser et faire des bénéfices sur cette série.
Il n’y a plus Stringfellow, il n’y a plus Santini, il n’y a même plus le supercoptère mais il y a 24 épisodes de plus.
Et alors que la série est toujours rediffusée de nos jours, Ian Michael Vincent disparaît en 2019 à l’âge de 74 ans, après un destin tragique et une amputation de la jambe droite. Ernest Borgnine, lui, est décédé en 2012 à l’âge de 95 ans. Quand au Supercopter, il a été vendu et a servi à effectuer de réelles opérations de sauvetage en Allemagne. Il s’est écrasé lors d’un orage en 1992.
Texte et voix : Alain Carrazé
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