QU’EST-CE QU’ON EST BIEN SANS ENFANTS !
Ils coûtent cher, ils font du bruit, ils polluent la planète… Les enfants ? On arrête ! Story d’une nouvelle tendance : « No Kids ».
Le succès d’Airbnb transforme nos villes en parc touristique. Au départ, une idée simple, louer une chambre chez l’habitant, à l’arrivée, un immense business qui redessine nos cités…
Auteur et voix : Marine Guez Vernin
Dix ans que Julien n’était pas revenu à Paris.
Quand il a eu son premier enfant, il a fallu trouver un appartement plus grand. Ici, les loyers étaient devenus inabordables.
Il compte rester 2-3 jours, histoire de revoir les copains, retrouver ses repères. Pour se loger, il a réservé un Airbnb chez une dame à la retraite. Depuis que son fils est parti, elle a aménagé sa chambre et la loue sur le site, sur les conseils d’un ami qui fait la même chose. Un complément de retraite et l’occasion de rencontrer des gens qui viennent du monde entier. Tiens, pas plus tard qu’hier, c’était un suédois. Et la semaine prochaine, elle reçoit 2 étudiantes brésiliennes.
Lire la suitePour Julien, c’est moins cher qu’à l’hôtel et plus chaleureux. Demain matin, il petit déjeunera dans la cuisine, comme à la maison.
Entre deux rendez-vous, il se promène dans son ancien quartier, histoire de voir si son boulanger préféré est toujours là. S’il vend toujours ses croissants aux amandes à tomber, il n’y résistera pas.
S’il a le temps, il s’arrêtera au café qui fait l’angle, avec ses mosaïques d’époque en façade. Il enverra une photo à sa femme. C’est ici qu’il lui a dit « je t’aime », pour la première fois.
Mais quand Julien arrive au coin de sa rue, c’est la douche froide.
La boulangerie est remplacée par un Cojean et le café, son café, – c’est bien ici, il y a toujours les mosaïques – , est devenu un « Lina’s » avec ses salades de boulgour à emporter….
Il pousse un peu plus loin, vers son immeuble. C’était bien là. Au 3ème étage.
Coup de chance, quelqu’un sort, il en profite pour entrer.
Le hall a été refait. C’est plus classe qu’à l’époque, plus impersonnel surtout.
Le gardien le remarque. A regarder partout, il doit avoir l’air d’un type louche !
Alors il s’approche, il lui raconte qu’il a vécu là, qu’il était passé pour voir.
« Oh, il n’y a plus d’habitants ici, c’est que du Airbnb ! Des studios, des appartements, un superbe duplex au dernier étage avec terrasse. Complet toute l’année !
C’est sûr, c’est plus ce que c’était. Ça doit vous faire bizarre ».
Julien remercie et sort, la gorge nouée. Son appartement, ceux de ses voisins qu’il connaissait bien, tous sont devenus des lieux de vacances pour touristes ou de passage pour étudiants, qui sait.
A y regarder de plus près, les façades de la rue sont là, mais la vie de quartier qu’il a connue a bel et bien disparu.
Même l’hôtel 3 étoiles sur le trottoir d’en face a fermé.
Aujourd’hui, il n’imaginerait jamais vivre ici. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Si tôt rentré dans sa chambre, Julien prend son ordinateur. Il veut comprendre.
Pour lui, Airbnb, c’est une plateforme de services entre particuliers, on loue une chambre, une maison, tout le monde y trouve son compte et ça s’arrête là.
À vrai dire, il n’avait jamais vraiment réfléchi à la question. Mais cet immeuble parisien qui affiche complet, il l’a bien vu ! Ce n’est pas un hôtel et pourtant, il n’y a plus d’habitants. En pleine ville !
Julien tape des mots-clefs dans son moteur de recherche.
Premier article, première phrase : « Airbnb. Parce que le monde change. »
Ce qu’il s’apprête à découvrir n’est finalement que pure logique.
Airbnb est devenu un empire commercial, et ce, faisant, son ascension a eu des effets secondaires, parfois pervers. Classique.
Aux quatre coins de la planète, des millions de transactions font des heureux. Mais à quel prix ?
L’histoire commence comme dans une série américaine. De celles qui mettent de bonne humeur.
San Francisco, automne 2007. Brian Chesky et Joe Gebbia sont colocataire.
Bons amis, ils ont fait tous les deux la même école de design.
Brian a créé une petite agence et Joe est au chômage. Leur loyer est en passe d’augmenter. S’ils ne trouvent pas une solution, ils devront déménager.
Alors ils ont une idée, toute simple.
Le prochain congrès de design va bientôt commencer et tous les hôtels sont complets.
Pourquoi ne pas sous-louer une chambre de l’appartement ?
3 matelas gonflables, petit déjeuner compris, accueil sympathique à la clef, ça se tente ! Ils créent un petit site internet en 48h, et ça marche. Ça marche même très bien.
Pourquoi pas continuer ? En faire un concept commercial et l’ouvrir à tous ?
Bien sûr, la location de chambres à des étudiants ou des voyageurs, ce n’est pas nouveau. Mais jusqu’à présent, la démarche était personnelle, individuelle.
Sur leur site, elle devient collective. On s’inscrit. On se connecte ensemble.
D’abord les USA, et pourquoi pas demain, le monde ?
Brian n’y connaît rien en affaires, Gebbia a l’esprit d’entreprise mais il leur faudrait quelqu’un qui ait les reins déjà solides.
Nathan Blecharczyk ! L’ancien colocataire de Brian, diplômé d’Harvard. C’est lui l’homme de la situation
pour financer ses études quand il était au lycée, on raconte qu’il a gagné 1 million de dollars, en concevant un logiciel qui déjouait les protections anti-spams.
Qui d’autre que Nathan pour compléter l’équipe ?
Brian s’occupera de la stratégie, Joe du design, et Nathan sera Mister technologie.
L’été 2008, leur site officiel est lancé. Il s’appelle Airbed and breakfast.com.
Airbed, pour « matelas gonflable », Breakfast pour “petit déjeuner”.
Pour trouver de l’argent et se faire remarquer, ils regorgent d’inventivité.
En pleine période d’élections présidentielles, ils fabriquent 1000 boites de céréales, décorées avec les têtes des 2 candidats, Barack Obama et John McCain.
Les produits sont « collector », 40 euros pièce !
Résultat : les « Obama O’s » et les « Cap’n Mac Cain » leur rapportent 30.000 dollars. L’opération fait le buzz, jusqu’aux oreilles d’un business man très actif dans la Silicon Valey : Paul Graham. Il est le cofondateur de l’incubateur « Y Combinator ». Une structure qui aide les start up à démarrer en leur apportant, entre autre, un soutien financier.
Quand il découvre leur site, il est séduit. L’esprit qui s’en dégage correspond aux besoins et aux valeurs de la nouvelle génération, acquise au numérique, plus concernée par les liens sociaux. Ça tombe sous le sens, mais ….il fallait y penser !
À partir de là, tout va très vite.
En 2009, le nom du site est simplifié. Airbedandbreakfast devient Airbnb !
La plateforme est épurée, les hôtes se présentent, se racontent. On ne loue pas seulement un lieu anonyme pour quelques nuits, on va dans la résidence principale de quelqu’un, d’une famille, qui partage son « chez-soi ».
Des questionnaires d’évaluation permettent de mieux savoir où l’on met les pieds.
Les photos donnent envie de voyager. Et quelles photos !
Fini les images approximatives ! Vous voulez louer ? On vous envoie un photographe professionnel qui va donner à l’annonce ce je ne sais quoi d’authentique qui fera de votre chez vous le plus chaleureux des foyers.
Les objets sont choisis avec soin. Ici un bouquet de fleurs, là, une table déjà dressée, qui n’attend plus que de bons petits plats.
Ce n’est pas l’hôtel, il n’y a pas de menu à la carte ou de service de chambre tous les matins, mais c’est tellement plus personnel.
Nouveau cap, de nouveaux profils apparaissent, qui proposent la location de résidences principales SANS leurs habitants.
On vous laisse les clefs, faites comme chez vous !
Parmi les premiers slogans publicitaires, on trouve d’ailleurs « Chez-soi dans le monde entier ».
Julien fait un pas de côté. Il retourne sur le site Airbnb et remarque une maison très ancienne, au mobilier chargé et poétique. On dirait un peu celle de son grand-père, enfin, de ce qu’il s’en souvient. Qu’aurait pensé le vieil homme des valeurs de notre société ?
Lui, s’était démené toute sa vie pour l’acheter, cette maison.
A son époque, être propriétaire avait beaucoup plus de sens qu’aujourd’hui. C’était le témoignage d’une réussite sociale, une mise à l’abri. Il n’en avait même pas profité, mais il était mort propriétaire.
De façon plus générale, de son temps, quand on avait besoin d’un objet, d’un vêtement, on allait dans les magasins. On s’adressait à un vendeur, un professionnel.
On avait besoin d’être hébergé, on allait à l’hôtel, quand on avait les moyens. Ou d’autre, sinon ?
Julien, lui, vit dans un tout autre monde.
La révolution numérique a bouleversé les relations humaines. En quelques clics, il peut vendre n’importe quoi, louer une chambre, rendre service à un voisin, acheter les produits d’une ferme, et même rencontrer l’âme-sœur.
Pour louer une voiture ou emprunter une perceuse dans le quartier, il commence toujours par les sites communautaires.
Partager ses ressources, éviter les intermédiaires, toutes ces formulations qu’il retrouve au fil de sa recherche, c’est bien le monde de Julien.
En d’autres termes, on n’est jamais si bien servi qu’entre nous.
D’autant que les institutions inspirent beaucoup plus de méfiance qu’autrefois.
La crise de l’environnement nous le dit chaque jour : l’individu doit reprendre le contrôle ! C’est ce qu’on appelle l’économie collaborative, dont Airbnb est un exemple frappant. Partir en vacances, maintenant, c’est d’abord vivre une expérience humaine, ailleurs.
« Prendre un Airbnb », l’expression est rentrée dans le langage courant. Tout le monde en comprend le sens, même ceux qui ne voyagent jamais. La traduction ? « Allez chez l’habitant », « voyager de façon plus personnelle ».
Mais aussi, il ne faut pas se leurrer « voyager moins cher ».
En effet, si Julien loue une chambre sur Airbnb, c’est pour payer moins qu’à l’hôtel.
La sympathie de son hôte et le crumble préparé pour son arrivée sont appréciables, mais l’intérêt est avant tout commercial, de personne à personne.
C’est ce qu’on appelle « peer to peer », « de pair à pair ».
D’ailleurs, si la plateforme rencontre son public dès sa création, c’est aussi parce qu’elle répond à des besoins économiques. On est alors au lendemain de la crise mondiale de 2008. Pour beaucoup de gens, « gagner plus / ou payer moins » via la location, c’est une aubaine inespérée.
Du côté des dirigeants d’Airbnb, entreprise oblige la finalité reste de faire des bénéfices.
Les forces vives de la finance vont d’ailleurs vite se rendre compte de son énorme potentiel.
2 ans après sa création, deux puissantes sociétés de financement, dont Sequoia Capital qui soutient Facebook, Apple, Google…, voient les choses en grand.
Elles lui permettent de lever plus de 7 millions de dollars.
En 4 ans, cette somme atteindra les 120 millions de dollars. Et ce n’est rien par rapport aux milliards de dollars qu’Airbnb, désormais cotée en bourse, représente aujourd’hui. Ses concurrents ont du mal à faire face, plusieurs sont d’ailleurs rachetés par le mastodonte.
Au bout du compte, la création de Brian Chesky, Joe Gebbia et Nathan Blecharczyk est passé du rang de pionnier à celui de puissance incontournable de l’économie mondiale.
Les chiffres sont parlants. Nous enregistrons ce podcast en 2022. 4 millions d’hôtes ont déjà reçu plus de 900 millions de voyageurs. On trouve des Airbnb dans plus de 220 pays et régions du monde !
Jusqu’ici, tout va « à peu près » bien.
Mais la réalité est plus obscure qu’il n’y paraît.
Le géant est devenu une source de spéculation juteuse pour des loueurs professionnels, qui n’ont que faire de ses valeurs de partage.
Les perspectives de gains sont inespérées. Alors qu’importe les conséquences pourvu que les clients signent.
Comme pour Julien, des immeubles entiers sont rachetés, dans le seul but d’en faire des locations à court terme. L’identité des quartiers et la vie de leurs habitants sont frappés de plein fouet.
Comment éviter l’impact ? L’impact sur les villes du monde, l’impact sur l’organisation même de la vie dans une cité ?
Partout, des hôtels sont contraints de fermer ou frôlent la faillite. Comment concurrencer un tel système ? On crie à l’injustice : les hébergeurs n’ont pas d’obligations réglementaires, ni les mêmes taxes que nous ! C’est de la concurrence déloyale !
Autre effet secondaire, de nouveaux « métiers » se développent autour de ce type de locations : remise des clefs, service de ménage, création des annonces pour le site, visites touristiques. Du personnel précaire, obligé de devenir auto entrepreneur pour être engagé. On parle d’ « ubérisation », en référence aux chauffeurs Uber.
Ce nouveau monde est peut-être plus mouvant et plus libre, mais sans filet de sécurité pour ceux qui y travaillent.
Dans l’univers des ventes immobilières, les agents immobiliers font d’Airbnb un argument de vente imparable.
Pourquoi un propriétaire signerait-il un bail classique, quand il pourrait faire des locations à court terme, qui lui rapporteraient beaucoup plus ? De plus en plus de particuliers achètent plusieurs surfaces à mettre en location à court terme sur le site.
Tant pis s’il n’y a plus d’espace pour ceux qui voudraient simplement vivre là. Il faut bien penser à soi.
Résultat : dans les quartiers proches des monuments, dans les centres-villes, il y a de moins en moins de logements habités.
A Barcelone, Paolo, 77 ans, se dit harcelé pour vendre son appartement, très bien placé. Pour faire ses courses, il doit prendre le bus. Ses commerçants habituels ont été remplacés par des boutiques de luxe et de vêtements. Par ici, c’est devenu beaucoup trop cher.
Lui, il ne partira jamais, il a trop de souvenirs. Mais ses enfants ne s’y retrouvent plus. A sa mort, sans doute, eux, ils vendront.
D’autres voix s’élèvent, cette fois dans les cours intérieures et les cages d’escaliers.
Les occupants ne supportent plus le bruit des valises à roulette, qui ne cessent d’aller et venir. Ni les fêtes improvisées, encore moins les locaux dégradés par des occupants sans scrupule.
Les associations dénoncent, les actions en justice se multiplient. Confrontées bien souvent à un vide juridique.
La « problématique » Airbnb devient tellement incontournable qu’elle entre dans les débats politiques. Il faut légiférer, pour stopper les dégâts, au moins les limiter.
La Cour de Justice de l’Union Européenne est formelle : « Lutter contre les pénuries de logement destinés à des locations de longue durée » devient « une raison impérieuse d’intérêt général » !
Peu à peu, de nouvelles réglementations voient le jour.
Mettre une annonce en ligne ne suffit plus. Il faut au préalable se déclarer, s’immatriculer, respecter une durée maximale annuelle, payer une taxe de séjour.
Pour sous-louer une partie de son logement, il faut l’autorisation du bailleur. Et attention, le prix ne doit pas excéder celui du loyer. Ça tombe sous le sens, mais ça n’est pas évident pour tout le monde.
Dans certaines régions, comme en Catalogne, interdit de louer plus de deux chambres ! Certains propriétaires engagent des détectives privés pour vérifier que leurs locataires respectent bien les consignes, par peur des sanctions.
À New York, si l’occupant reste moins de 30 jours, vous risquez l’amende.
Mais dans les faits, les loueurs qui s’identifient auprès des services publics sont loin d’être majoritaires. En France, plus de la moitié ne dispose toujours pas d’un numéro d’enregistrement.
Surfant sur les lois, la direction d’Airbnb reste imperturbable et y adhère sans se plaindre. Elle se les approprie, comme autant de bonnes nouvelles pour tout le monde. Les intègre à son univers graphique toujours aussi accueillant.
À côté de l’onglet « accueil » qui regorge de merveilles à regarder, on trouve « déclaration et enregistrement », « revenu et fiscalité », « voisinage » …. Autant de sujets qui, une fois clarifiés, sécurisent par leur transparence.
Tout reste sous contrôle.
Pour les particuliers qui partagent l’amour du voyage et du bien recevoir.
Pour les loueurs professionnels de meublés, petits et gros,
et même pour certaines entreprises hôtelières qui se sont ralliées à la cause pour s’en sortir.
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