MAISON CLOSE, UNE TRÈS VIEILLE HISTOIRE.
Faut-il les rouvrir ou les garder fermées ? Pour comprendre, écoutez l’histoire des bordels !
Il est tôt lorsque le réveil sonne.
Jamais après sept heures.
Le président a son rituel. La salle de bain jouxte cette chambre aux trois portes. L’une donnant accès à un petit salon, l’autre au large couloir et la dernière à la salle de bains.
Douche ou bain ?
Non vraiment cette immense baignoire est si longue à remplir, il faudrait une vie de détente pour s’offrir ce luxe. Et puis la femme de chambre ne va pas tarder. Elle est celle qui prend soin des effets du couple, celle qui range le linge impeccablement repassé et plié.
Lire la suiteUne feuille de papier de soie glissée à l’intérieur du moindre tee-shirt lui donne l’aspect d’un vêtement neuf.
La vie reprend pour une nouvelle journée de folie, le couple présidentiel s’apprête à petit-déjeuner.
Comme n’importe quel couple ou presque, il peut s’installer dans sa cuisine, se préparer un café, ouvrir le réfrigérateur et beurrer ses tartines.
Bien sûr, il n’a pas à faire ses courses, il n’a qu’à demander. Mais ce matin-là, Madame et Monsieur, comme les appelle le personnel, gagnent la salle à manger privée, de l’autre côté de l’appartement.
La table est impeccablement dressée avec un service de Sèvres, le maître d’hôtel apporte la cafetière et sert tour à tour l’un et l’autre.
La discussion est vive, l’actualité est si dense. Les journaux sont déposés sur la table. Le Président s’en empare et fait la lecture à voix haute des titres pour son épouse. Il s’agace un peu, une fois de plus la presse ne l’épargne pas. Une patte de croissant avalée, un baiser rapide et le voilà déjà parti à son bureau pour un jour sans fin. Le téléphone a déjà tant sonné.
La première dame prend un peu plus son temps. Le petit salon Garouste a été transformé en salle de sport. Rebaptisé ainsi à cause des peintures réalisées à même les murs par le peintre Gérard Garouste commandées à l’époque par François Mitterrand.
Madame consacre chaque matin, une demi-heure au sport dans cette étrange pièce avant de s’attarder sur le choix d’une tenue.
Les deux dressings, l’un pour le Président l’autre pour Madame sont situés l’un à côté de l’autre. Des dizaines de costumes presque tous semblables et autant de chemises et de cravates font ressembler cette pièce lumineuse à une véritable boutique.
La première dame doit encore passer entre les mains du coiffeur puis de la maquilleuse et la journée démarre.
Pour rejoindre son bureau, juste en dessous, et l’escalier de « l’aile madame » elle n’a qu’à traverser le grand salon aux larges canapés gris.
C’est là que parfois, lorsqu’il n’y a pas de dîner officiel, « Madame et Monsieur » aiment se retrouver pour dîner d’un plateau repas devant le grand écran.
Lorsqu’ils reçoivent la famille ou les amis, le dîner se déroule dans la salle à manger privée. À moins que ce ne soit dans la bibliothèque Napoléon située dans l’aile madame, juste à côté du bureau des premières dames, le salon des Fougères.
Cette bibliothèque est un des lieux favoris de tous les présidents. L’une des pièces les plus chaleureuses sur les 365 du Palais. Quarante mètres carrés sur les 12 000 que compte le Palais. Là où De Gaulle, Pompidou, Mitterrand et Sarkozy ont choisi de réaliser leur photo officielle.
L’Elysée n’est pas un restaurant avec sa carte présentée chaque jour. Non, non. Chaque semaine, le maître d’hôtel présente un choix de menus que le couple détermine. Un choix de deux entrées, deux plats et deux desserts. Il suffit de cocher. Mais rassurez-vous, il est toujours possible de demander un plat de pâtes ou autre en dernière minute !
Les cuisines sont quasiment toujours opérationnelles. L’horloge n’a pas encore sonné les sept heures que les premiers arrivés de la brigade commencent à travailler. Il faut réceptionner les produits frais qui sont livrés au petit matin.
Le chef Frédéric Desvignes, qui a succédé à Guillaume Gomez est là lui aussi pour tout superviser. Les cuisines sont comme une ville dans la ville. Près de 600 mètres carrés, situés en sous-sol, après un dédale d’escalier peu commode à l’opposé des appartements, dans l’autre aile. On se perd.
Un mélange de modernité et de méthodes ancestrales, des fours mieux adaptés et des casseroles en cuivre Napoléon III.
C’est ici que règne l’atmosphère la plus agitée de tout le palais.
Imaginez une vingtaine de cuisiniers, plus encore en cas de dîners officiels, tous affairés, autour de l’immense piano planté au centre de la salle. Chacun à sa tâche pour le plus grand plaisir de Madame et Monsieur.
Mais pas seulement. Chaque jour, le Président enchaîne les déjeuners ou dîners de travail, les réceptions et les cocktails. C’est ça la présidence de la République, un mixte entre le palace français, le centre de commandement, et la ruche. Tout doit être parfait.
Un seul mot, l’excellence. Ici, c’est non seulement la vitrine de la gastronomie française, mais aussi le bien-être du plus haut personnage de l’Etat auquel il convient de s’adapter.
Les plats préférés de l’un ne sont pas ceux de l’autre. Quoi de commun entre un Jacques Chirac qui dévorait des plats bien riches et un Emmanuel Macron qui surveille sa ligne comme celle de l’horizon ?
En vingt ans, les cuisiniers de l’Elysée ont appris à alléger sauces et douceurs, à supprimer certains mets, à espacer les viandes grasses et réduire les proportions.
Mais ce n’est pas tout : il faut aussi nourrir les mille personnes qui travaillent au Palais.
Tous n’auront pas le privilège de goûter à la cuisine du chef et de sa brigade. Seule une petite poignée de conseillers pourra commander son repas.
Les plateaux sont envoyés par le passe-plat et arrivent directement au salon Napoléon III.
Chaque jour, les hommes de Frédéric Desvignes concoctent entre 100 et 220 couverts.
Les soirs de dîners officiels, c’est une autre histoire. Il faut faire appel à des renforts. C’est un événement qui se prépare des jours à l’avance.
Les autres collaborateurs se contenteront du restaurant de l’Elysée situé de l’autre côté de la rue. Quant au personnel, il va à la cantine comme chaque jour.
Pendant que le Président enchaîne les rendez-vous et réunions, la première dame a rejoint son aile.
Elle passe voir son secrétariat, prend connaissance des dernières demandes, puis rejoint son bureau dans le salon des Fougères installé là depuis Cécilia Sarkozy.
De larges portes-fenêtres ouvrent sur la terrasse donnant sur le jardin. Déjeuner en extérieur ?
Tiens pourquoi pas aujourd’hui.
Son visiteur, pour davantage de discrétion, pourra entrer par la grille du Coq, à l’arrière du jardin. La voilà à peine installée qu’on lui apporte les lourds parapheurs. Une partie du courrier des Français lui a été sélectionnée, des réponses lui sont préparées, pour la plupart, il n’y a qu’à signer.
Comment pourrait-elle répondre elle-même aux vingt mille lettres environ qui lui parviennent chaque année ? Vingt mille !
Impossible !
Tant de demandes… Il y a celles qui proviennent de l’extérieur et celles qui émanent de l’intérieur. Comme si elle devait être à la fois maîtresse de maison, mais aussi directrice du personnel, à régler petits et grands tracas des uns et des autres. Une augmentation pour l’un, un congé pour l’autre. On s’adresse à la femme du Président en espérant avoir une réponse favorable.
Mais ce matin, il n’est pas question de s’attarder.
Il y a un voyage officiel à préparer. Cette fois-ci, ce sera au Japon, départ prévu dans un mois. Une réunion l’attend. Évidemment, ce n’est pas elle qui officie en matière de diplomatie, mais elle aura son programme personnel.
La cellule diplomatique lui fait des propositions, généralement un hôpital, un orphelinat ou une école à visiter. Mais aussi des conseils pour éviter les faux pas. Elle sera tout de même à la cour impériale du Japon !
Le protocole entre en jeu, lui détaille les séquences prévues lors de cette visite, à quels moments elle accompagnera le Président, à quel endroit devra-t-elle se tenir et de quelle façon. Pas de place à l’improvisation dans ces conditions.
Même la couleur de ses tenues lui sera dictée, en fonction de celle que portera l’impératrice. En fonction aussi des codes à respecter au Japon.
Vient encore le temps de choisir les cadeaux qui seront offerts au couple impérial.
De la porcelaine de Sèvres, un stylo, un manuscrit, un foulard, un bijou, des idées somme toute classiques.
Les présents offerts en retour iront rejoindre la cohorte des cadeaux présidentiels entassés sur des rayonnages à l’Alma pour des années… Une véritable caverne d’Ali baba. Derrière une porte blindée, des objets précieux comme de curieuses œuvres d’art prennent tranquillement la poussière !
L’Alma, de l’autre côté de la Seine, c’est la dépendance de l’Elysée. Là où loge une partie des collaborateurs ou du personnel indispensable au Palais
Là encore où se trouve le service du courrier de l’Elysée, là aussi où certains services ont été délocalisés suite à une décision d’Emmanuel Macron. C’est le cas des standardistes, malheureuses et malheureux comme les pierres de se sentir relégués.
Si vous composez le 01 42 92 81 00, votre appel sera intercepté à l’Alma avant d’être rebasculé au Palais.
Le jeune Président à son arrivée, a entrepris de moderniser et de dépoussiérer le Palais. Il connaissait déjà bien le Palais pour y avoir été un des principaux collaborateurs de François Hollande.
La salle des fêtes a ainsi été totalement transformée, le fameux rouge et or a été remplacé par un gris perle choisi par l’architecte Isabelle Stanislas.
Il aura fallu 150 artisans et 500 000 euros pour dessiner un nouveau visage à cet espace de 1000 mètres carrés et qui reçoit près de 200 000 personnes par an !
La plupart des salons du rez-de-chaussée ont été eux aussi rénovés à l’instar du salon Murat. Des tons plus neutres ont été adoptés. Comme si face aux tempêtes extérieures, il avait fallu faire entrer un peu de douceur.
Emmanuel Macron n’a pas seulement entrepris de rafraîchir le décorum du pouvoir, il a aussi refondu les services pour davantage d’efficacité.
La modernité et le savoir-faire ancestral, c’est le paradoxe de l’Elysée.
D’un côté le pouvoir, qui conduit la marche du monde dans un rythme incessant où une crise fait place à une autre, est à l’étage.
Et puis de l’autre, il y a les invisibles, ceux qui font tourner cette maison depuis des lustres. Ceux qui agissent dans l’ombre tôt le matin pour ne pas être vus, pour ne pas déranger. La plupart d’entre eux œuvrent au sous-sol.
Dans cette vie souterraine, on trouve des tapissiers, qui réparent à la main des fauteuils Napoléon, des imprimeurs qui produisent des menus ou des invitations calligraphiés comme au siècle dernier, des fleuristes qui composent les plus beaux bouquets de Paris.
On rencontre encore la chef sommelière qui soigne sa cave qu’elle connaît par cœur, au point de pouvoir retrouver une bouteille les yeux fermés.
Aux étages supérieurs, des argentiers qui lavent la précieuse vaisselle à la main. Des lingères qui repassent d’interminables nappes, comme autrefois.
Des artisans qui prennent soin de ces trésors mieux que s’ils leur appartenaient.
Ceux qui sont au service du Président le voient si peu.
Au début de son mandat, il a visité tous les services, mais depuis, il ne descend plus guère.
Mais eux sentent sa présence. Ils savent si la 508 blindée présidentielle est garée dans la cour d’honneur.
L’honneur, voilà, c’est ce mot-là qui leur revient si souvent en tête. Ils ont l’HONNEUR de travailler à la présidence de la République, au « Palais » comme ils disent tous.
Au cours du dernier mandat, s’il est un endroit situé sous terre dans lequel le chef de l’Etat s’est rendu régulièrement, c’est dans le fameux bunker, au poste de commandement Jupiter.
Là où il a tenu à organiser quelques conseils de Défense. Comme un véritable chef de guerre.
L’endroit le plus secret, le plus inaccessible, le plus préservé de l’Elysée, installé à près de soixante-dix mètres de profondeur.
Rares sont ceux capables de le situer.
Il faut s’y rendre par un ascenseur tout aussi secret après des dizaines de mètres de couloirs.
Un espace de 300 mètres carrés, ultra sécurisé qui comprend une chambre, une cuisine et des dortoirs. De quoi abriter le Président, sa famille, quelques huiles en cas d’attaque.
Mais ce jour-là, le président vient encore de dévaler l’escalier Murat à toute vitesse pour gagner la salle du Conseil.
Nous sommes mercredi, le ballet des véhicules ministériels vient de s’achever, le Conseil des ministres va débuter.
Le Président arrive en dernier, il est annoncé par l’huissier qui referme la double porte.
Le huis-clos protégera tous les secrets. La journée s’enchaîne, pas une minute de répit.
Il est seize heures. Le coup de barre de l’après-midi se fait fortement ressentir et la journée est loin de s’achever.
Le Président a décidé de s’accorder une pause de quinze minutes.
Quinze petites minutes volées dans un emploi du temps surchargé.
Fuir les réunions, les dossiers, les parapheurs et les appels téléphoniques.
Rentrer chez lui.
Un chez lui, qui ne l’est pas réellement, qui a été un chez les autres Présidents. Un domicile pas vraiment fixe, dont il ne possède aucune clef. Des appartements privés, attribués pour cinq ans, le temps d’un mandat.
Un deuxième si affinités avec le peuple français.
Ne rentreront dans ce refuge que ceux qui y sont invités par le Président lui-même ou son épouse. Un lieu auquel n’a accès que le premier cercle uniquement. Un sas entre le public et le privé, une respiration entre l’agitation et le calme. Entre l’intime et l’apparent.
Le palais de l’Elysée impressionne tous ceux qui en franchissent la grille, tous ceux qui foulent le gravier sous leurs chaussures.
Mais les appartements doivent rester ce cocon. Même si avec près de 250 mètres carrés, le cocon ressemble davantage à un grand appartement bourgeois d’un bel arrondissement de Paris, avec ses trois chambres distribuées par un très vaste couloir.
La vue côté jardin y est imprenable. De l’autre côté, il vaut mieux laisser fermés les lourds rideaux pour éviter le vis-à-vis de la rue d’en face.
À cet instant, le Président savoure cette évasion.
Ne voir personne le temps de s’évader au gré de quelques pages de littérature, là allongé sur le lit king size, sans chaussures, la tête si bien calée dans les oreillers moelleux.
Mais les paupières se font lourdes et le livre est rapidement posé, sur la couette blanche immaculée.
Un dernier coup d’œil sur le jardin, à travers les grandes fenêtres, qui encadrent la commode et les yeux se plissent, une fois, deux fois puis se ferment. Pause. Se vider la tête, oublier la marche du temps, comme celle du monde.
Les quinze minutes sont écoulées. Cela passe si vite un quart d’heure.
Le Président doit reprendre ses activités.
Il ne lui faut pas plus d’une poignée de secondes pour rejoindre son bureau depuis les appartements privés.
Tout se situe au premier étage, l’antre du pouvoir comme l’appartement du côté de l’aile Est. Il s’engouffre dans une petite pièce, une antichambre que si peu de personnes connaissent. Ici, c’est l’ancienne salle de bain de l’impératrice Eugénie, une véritable bonbonnière. La baignoire a été recouverte d’une banquette, les miroirs au tain abîmé par le temps ne se remarquent plus.
Cet endroit secret n’est plus un bureau comme cela avait été le cas, sous un ancien président.
Un bureau, quelle drôle d’idée ! La conseillère installée là sous le mandat de Nicolas Sarkozy était au courant de toutes les allées et venues de ce dernier, à l’instar d’une gardienne d’immeuble !
Il lui reste à parcourir le hall avant un passage dans le salon vert, aujourd’hui salle de réunion. Le Président doit encore traverser la pièce dévolue au secrétariat, l’ancienne chambre du roi, sourire entendu aux trois secrétaires.
Il n’a pas à ouvrir les portes, l’huissier à la chaîne est là, prompt et vigilant, pour devancer le chef d’Etat et pousser les lourdes portes à sa place. Le voici à nouveau dans son bureau, le salon doré.
Le Président passe des heures et des heures sans sortir de cet antre si mystérieux.
Tant de fantasmes alimentent ce qu’il s’y passe. Il faut reprendre les rendez-vous, avaler les dossiers, écouter les uns et les autres. Prendre des décisions, être sur tous les fronts. Être entouré de collaborateurs, mais au bout du compte, être seul.
Ce soir, le Président pourra souffler un peu. Son épouse a organisé une séance de cinéma dans la salle de projection au sous-sol, on y accède par la salle des fêtes. S’y presseront la vingtaine d’invités triés sur le volet, ils auront droit à un cocktail à l’issue de la séance de cinéma ultra privée.
C’est l’un des rares moments de détente.
En-dehors des quelques week-ends passés à la Lanterne.
Mais ça, c’est une autre histoire…
Il n’est pas loin de minuit, la cuisine a retrouvé son état du petit matin.
Elle est impeccable, les cuivres sont raccrochés au mur, les fours dûment nettoyés, on pourrait manger à même le sol. Le chef éteint les dernières lumières.
Demain est un autre jour.
Texte et Voix : Valérie Trierweiler
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