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QUAND LES SÉRIES DÉRAPENT – DALLAS

QUAND LES SÉRIES DÉRAPENT – DALLAS

Même la reine d’Angleterre demande : « Qui a tué JR ? ». Histoire d’une manipulation géniale !

Texte & voix : Alain Carrazé

Vous êtes à Londres, sur le plateau de « Samedi soir », un talk show de la BBC mené par le très populaire animateur Terry Wogan. Vous pensez qu’il va vous interroger sur votre prochain film ou vous êtes aux côtés de Julie Andrews. Mary Poppins elle-même. Ou alors, il va sans doute parler avec vous de la sitcom Jinny de mes rêves . Vous en étiez la vedette 139 épisodes durant 5 saisons, c’est pas rien. Vous étiez le « maître » d’un génie libérée d’une bouteille.

Hé ben non. Pas du tout. Mais alors du tout. Terry Wogan est uniquement intéressé – obsédé devrais-je dire – par le rôle que vous tenez actuellement à la télévision. Intéressé… Il ne parle que de ça ! Votre personnage de John Ross, un personnage à l’opposé absolu de ceux des sitcoms. John Ross est tellement machiavélique, tellement sans remords, tellement impitoyable en affaires, qu’il en devient fascinant. Et, avouez le, délicieux à interpréter.

Vous êtes Larry Hagman, l’interprète de JR Ewing dans « Dallas » et vous le savez parfaitement : vous allez faire déraper votre série.

Sur le plateau du talk show, Terry Wogan ne veut parler que de « Dallas », et vous, vous êtes encore jet-lagué ! En effet, vous êtes arrivé à Londres juste hier et vous comptez bien ne pas perdre la moindre seconde et vous montrer en public le plus possible. Il faut que, à des milliers de kilomètres d’ici, on entende parler de vous. Pourquoi ? Parce que il va y avoir un coup de théâtre magistral, et ça, vous vous gardez bien de le dire à Wogan. C’est secret.

Dans quelques jours, le 21 mars 1980 au soir, vous allez mourir. Bang ! Assassiné devant des millions de spectateurs alors que vous traînez dans votre bureau des Pétroles Ewing tard le soir. Un coup de feu dans la nuit et qui vous met sur le carreau. Et d’ailleurs, cela vous a donné une idée. Une idée machiavélique que votre

personnage, J.R., n’aurait pas renié. Un plan digne de lui. Il serait fier !

Quand vous vous remémorez la façon dont toute l’histoire a démarré, tous vos remords de lancer une telle opération s’évanouissent. Alors oui,vous étiez bien content de renouer avec une série télé, après le carton de Jinny de mes rêves. Et vous étiez fauché ! Pourtant, dans ces 5 premiers épisodes de « Dallas », vous êtes un second rôle et on ne vous donne pas grand chose à jouer. Les héros de la série, c’était, à cette époque, Bobby et Pamela. Alors, pour vous amuser, vous avez inventé vos propres dialogues et joué des petites saynètes au deuxième plan, avec Linda Gray qui incarnait votre femme Sue Ellen. Vous êtes obligé d’improviser pour vous faire remarquer. C’est vous dire si votre personnage, J.R., n’avait pas beaucoup d’importance. Mais ces 5 épisodes rencontrent un succès certain, et une série hebdomadaire est commandée pour la rentrée 1978. Et là, avec en plus l’option des trames à suivre, à la manière d’un soap-opera, votre personnage prend toute sa place et devient le plus salopard des salopards de la série. Et le spectateur revient toutes les semaines pour voir si vous êtes capable de bien pire que ce que vous avez déjà fait. Et de jouer la méchanceté, la fourberie, la traîtrise, c’est bien plus jouissif que de jouer le gentil. Donc vous en rajoutez, encore et encore. Sans prendre le personnage au sérieux, hein. 

Et c’est à ce moment là que vous allez avoir un nouveau coup de chance qui va achever de vous convaincre : il est temps de sortir votre as de votre manche, car toutes les planètes sont alignées.

Au début de cette année, 1980, la série marche tellement bien qu’elle va être prolongée à l’antenne un mois entier. 4 épisodes. Mais il faut imaginer ces 4 nouveaux épisodes un peu en catastrophe parce que les précédents étaient déjà écrits et conçus… Et on vous a raconté que c’est à ce moment là qu’un des scénaristes a suggéré « on n’a qu’à tuer ce fils de pute ! » Flinguer l’ignoble J.R. Et terminer l’année comme ça.

Oh, les scénaristes verraient plus tard qui était le coupable. Là, ils étaient exténués et avaient hâte d’en finir et de partir en vacances. Ils avaient tout l’été pour décider de l’identité du meurtrier, avant de revenir au taf pour la saison suivante. Pour l’instant, on vous filme en train de vous écrouler le soir venu dans votre bureau, et ils vont filmer toutes les personnes qui passent par là pour semer de fausses pistes, au cas ou il y aurait des fuites dans la presse : plein de personnages sont vus en train de tirer sur vous : Barbara Bel Geddes, Charlene Tilton, et même vous, vous vous tuez vous même. Bon c’est impossible, et toutes ces scènes ne seront bien sûr jamais diffusées mais ça contribue à brouiller l’histoire.

Et le 21 mars, des millions de gens vous voient prendre deux balles dans le buffet, et la folie va s’emparer du monde ! Qui vous a tué ? Et allez vous survivre ? Tout le monde se posait cette question, partout, tout le temps. Vous avez 49 ans et vous devenez le sujet principal des conversations, un sex symbol !

A ce moment-là, vous avez mis en marche votre plan machiavélique. Le vrai, pas celui de la télé !

En mai 1980, vos agents ont contacté la chaîne CBS pour leur dire que vous n’alliez pas revenir dans “Dallas ». Et en tout cas, pas aux mêmes conditions. Qu’il faudra revoir les termes de votre contrat, comme les droits sur les objets dérivés à votre effigie et votre salaire pour chaque épisode.

Ca, c’est très dangereux car d’habitude, on ne renégocie pas un contrat en cours de route. Là, vous aviez un contrat de plusieurs années et si ça se passe mal, si ces négociations n’aboutissent pas, non seulement vous êtes viré mais en plus vous êtes blacklisté d’Hollywood pour très, très longtemps.

Mais là, J.R. est potentiellement mort -Bang ! Bang ! – et, pour le ramener à la vie, il va falloir passer à la caisse.

Un gros coup de poker, donc, que vous allez piloter mais de loin. Vous, vous êtes injoignable. Ce sont vos agents qui négocient.

Vous, vous retournez à Londres, une deuxième fois en quelques semaines, et vous vous débrouiller pour être maintenant invités dans tous les événements publics possibles, pour que l’on voie bien que vous êtes vivant, pour que, aux Etats-Unis, dans les bureaux des décideurs, il ne se passe pas une journée sans qu’on entende parler de vous. Et ça, ça les énerve beaucoup. Vous allez assister aux courses d’Ascot, avec toutes les jumelles braquées non pas sur la course mais sur vous ! Vous allez donc finir par vous retrouver face à la Reine d’Angleterre, qui va vous demander « mais qui as donc tué JR ?  » Puis vous allez vous rendre à Monaco et vous allez vous faire prendre en photo prenant le thé avec la Princesse Grace. Tout est bon pour accroître votre popularité et votre visibilité.

Arrive le 12 juin 1980. C’est le jour où le tournage de « Dallas » reprend pour une nouvelle saison… mais sans vous. Vous n’avez toujours pas d’accord satisfaisant et vous savez que vous les tenez par les… enfin, vous voyez bien par où vous les tenez ! Ils ne vont pas tuer le personnage le plus populaire d’Amérique, celui que l’on a vu partout tout cet été et qui est maintenant au cœur de toutes les discussions.

Et puis, vous avez vos amis, comme Patrick Duffy, qui vous tiennent au courant. Dans les premières scènes de la nouvelle saison, il y a un figurant que l’on emmène dans une ambulance, sans savoir s’ il est vivant ou mort. On va même mettre en scène un personnage avec des bandages tout autour de la tête… alors que le coup de feu était censé vous avoir atteint au ventre ! « Larry, ils envisagent de te remplacer » vous dit Patrick au téléphone. « Et ils expliqueront que la chirurgie réparatrice t’a changé le visage ! » Mais vous n’en croyez rien. Vous tenez bon. Vous ne cédez pas. Vous retournez vous montrer à Ascot avec un gigantesque Stetson et de faux dollars à votre effigie que vous avez fait imprimer, avec, écrit dessus, « On croit en J.R. » !!

Puis vous partez pour les Bahamas, pour une croisière privée dans les Caraïbes.

Et évidemment, vous vous débrouillez pour le faire savoir. A Hollywood, les négociations sont terribles et l’ambiance est survoltée.

Et le 22 juin, ça y est c’est gagné. Vos agents vous le confirment : votre deal est accepté. Vous allez donc prendre le premier vol et ensuite un hélicoptère et vous rendre directement sur le plateau, prêt pour le tournage. J.R. va pouvoir vivre – ou survivre, plutôt – et empochera dorénavant quelque 100,000 $ à chaque épisode. Une somme proprement astronomique. Et le jour où sera diffusé l’épisode où sera enfin révélé qui vous a tué, 90 millions de spectateurs américains seront collés à leur écran pour avoir enfin la clef du mystère.

En réalité, le vrai mystère ce n’était pas « qui a tué JR » mais votre bluff va t’il fonctionner ? Vos menaces vont-elles être prises au sérieux ? Va-t-on accepter de renégocier votre contrat et vous payer jusqu’à 100,000 $ chaque semaine, pas plus, car sinon cela rendrait jaloux tous vos partenaires de la série ? Et à toutes ces questions, la réponse a été oui !! Car sans J.R. « Dallas » n’aurait pas duré beaucoup plus longtemps. La série à succès aurait totalement dérapé. Vous le savez, ils le savaient. Chacun a joué à son petit jeu. Et maintenant vous êtes riche. Hourrah pour Larry, Vive J.R. Il serait fier de vous !

Ah mais , au fait, vous vous souvenez de qui était le coupable, qui avait tiré sur J.R. ? C’était la belle et faussement douce Kristin Shepard, la sœur de Sur Ellen.

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