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PONT-SAINT-ESPRIT, Le village devenu fou !

PONT-SAINT-ESPRIT, Le village devenu fou !

Cette nuit-là, les habitants du village sont devenus fous, hystériques… certains sautaient des fenêtres, d’autres grognaient comme des bêtes, dansaient nus dans les rues… Drogue, empoisonnement, possession, que s’est-il passé à Pont-Saint-Esprit ?

Dans la nuit chaude de l’été 1951, minuit sonne au clocher du petit village de Pont St Esprit dans le Sud de la France. 

Seule dans sa chambre, une fillette de 5 ans ne trouve pas le sommeil. Emmitouflé dans sa couverture, elle tremble. 

De froid ? Non. De peur. 

Couché dans son lit, son regard balaye la pièce plongée dans la pénombre. La lueur de la lune projette sur les murs d’étranges ombres aux formes menaçantes. 

Soudain un hurlement de loup vient briser le silence de la nuit. La fillette sursaute. 

De la sueur perle de son front. 

Sa respiration s’accélère. 

Un nouveau grognement bestial retentit mais cette fois-ci il provient… de la chambre !

L’enfant reste muette et immobile.

Son visage est livide. 

Et si le monstre était dans l’armoire en face de son lit ? Pire encore, et s’il se cachait sous son lit ? 

Dehors, le chant du loup recommence. Il semble même se rapprocher. 

Tentant de reprendre ses esprits, la gamine ferme les yeux. L’obscurité totale devient presque réconfortante. 

Elle ouvre de nouveau les yeux… et découvre un sang rouge et épais, qui coule du plafond gondolé. D’abord quelques gouttes puis très vite une véritable pluie d’hémoglobine s’abat sur elle.

Tétanisée, la fillette tente de hurler. Quelque chose l’en empêche. Sa gorge est nouée. Elle sent sa bouche se remplir d’une étrange matière. 

Des cheveux ! De longs cheveux bruns et humides lui sortent de la bouche. Elle a beau tirer dessus pour s’en débarrasser, rien n’y fait. Des cheveux, encore et encore.

Soudain un tremblement secoue le lit. 

Et soudain, la petite fille découvre face à elle l’origine des grognements. 

C’est un ours !

Dans sa chambre !

Un ours énorme, aux yeux rouges et aux dents tranchantes se tient face à elle, la bouche pleine d’écume et les griffes acérées. La gorge toujours obstruée, la fillette voit l’animal lui sauter dessus.

Toute cette scène n’est pas réelle. Dans son lit, la fillette pousse des cris de terreur, les yeux exorbités. Ses parents paniqués tentent de la ramener à la raison.

Au même moment, d’autres villageois errent dans les rues, victimes eux aussi d’étranges hallucinations.

Le village tout entier a sombré dans la folie.

Au début des années 50, la France panse encore les plaies de la guerre. Malgré la victoire, le pays peine à se relever.

Presque la moitié de la population est alors rurale. Dans le département du Gard, un petit village d’environ 4000 âmes borde le Rhône. Son nom, Pont Saint Esprit. 

Autrefois appelé Saint Saturnin du Port, le petit bourg fût renommé au moment de la construction de son célèbre pont. Bâti entre 1265 et 1309, il enjambe le fleuve sur près d’un kilomètre. Les années de travail furent dures et harassantes.

Une légende raconte que le Saint Esprit serait apparu au moment de sa construction. Prenant l’apparence d’un treizième ouvrier, il serait venu en aide à un groupe de douze compagnons de chantier. C’est ainsi qu’on le nomma le Pont du St Esprit.

Bombardé en 1944, il fût partiellement détruit mais il est resté debout ! Les Spiripontains voient en lui un signe de résistance et de force. 

Nous sommes le 15 août 1951. Sur cette terre agricole et surtout viticole, l’été est chaud et les vendanges ne vont pas tarder à commencer. Mais un autre événement est également prévu. Le village s’apprête à célébrer l’Assomption, la fête de la Vierge. 

En ce jour férié, une procession arpente les rues de Pont Saint Esprit au son des cloches et des chants religieux. 

Dans les maisons, les tables sont dressées et les familles se rassemblent autour d’un modeste repas garni de pain et de vin. Une fois les festivités terminées, le petit village s’endort dans la douceur de la nuit.

Le lendemain, un des trois médecins du village, le docteur Gabbai, ouvre son cabinet. Plusieurs patients s’agglutinent déjà dans la minuscule salle d’attente. Les lendemains de fêtes sont généralement des journées chargées pour ce brave docteur mais cette fois c’est une véritable hécatombe. 

De l’autre côté du village, le cabinet du docteur Vieu est lui aussi assailli de villageois malades. Tous présentent les mêmes symptômes. Douleurs à l’estomac, malaises, vomissements. 

Il y a bien eu un premier cas quelques jours auparavant mais rien de bien méchant. 

Les médecins diagnostiquent une simple intoxication alimentaire. Comme cela se faisait à l’époque, des purges sont prescrites et les malades avalent des tisanes.

Les jours suivants, de plus en plus d’habitants tombent eux aussi malades. On compte une centaine de nouveaux cas. Certains présentent de nouveaux symptômes. Une baisse du rythme cardiaque, une chute de tension et une température corporelle ne dépassant pas les 35°. 

Il faut ajouter d’importantes crises d’insomnie. 

Pour combler leur mal de sommeil, certains font des balades nocturnes dans le village. Les ruelles habituellement calmes la nuit venue deviennent de véritables boulevards. 

Un homme prétend ne pas avoir fermé l’œil depuis la fête de la Vierge. D’autres s’acharnent à travailler durant ces longues nuits blanches. Une jeune couturière s’étonne même d’avoir réussi à rattraper tout son retard accumulé depuis une semaine en seulement une nuit. 

Arrive alors les premières crises d’hallucinations.

Seul dans son champ à l’écart du village, un agriculteur entend un chœur d’église résonner au beau milieu des blés. 

Un épicier parle avec ses ancêtres.

Deux jeunes frères voient de la neige tomber dans leur chambre et discutent avec les oiseaux. 

Les animaux eux aussi présentent de drôles de comportements. Les chats bondissent et crachent sur les passants tandis que certains chiens attaquent leur propre maître. D’autres se mettent à sauter et à tourner jusqu’à en mourir.

On compte à présent près de 150 personnes intoxiquées et 6 sont hospitalisées. Les médecins sont inquiets et restent impuissants face au mal qui frappe le village. 

Ils sont alors loin de s’imaginer que le pire est à venir.

La nuit du 24 au 25 août reste encore aujourd’hui une date importante pour la commune de Pont St Esprit. On la nomme alors, la nuit de l’Apocalypse. 

Il est environ minuit quand les hurlements apeurés de toute une famille troublent la tranquillité de la nuit. Ils se précipitent hors de leur maison hurlant que les murs se rapprochent pour tenter de les écraser. 

Petit à petit, ils sont rejoints par des dizaines d’autres habitants frappés d’atroces visions délirantes. 

Sur la place du village, une femme danse dans l’eau de la fontaine pour échapper aux flammes qui l’entourent. 

Non loin de là, un homme court, pourchassé par un démon ailé. 

Une jeune femme prétend voir des fleurs géantes envahir le village et exploser en gerbe de feu. 

Sur son vélo, le facteur roule à toute à allure en hurlant des mots incompréhensibles et finit sa course contre le mur de la mairie. 

La situation dégénère.

Réveillé par le vacarme assourdissant de ces scènes de terreur, le maire du village assiste impuissant aux délires insensés de ses électeurs depuis la fenêtre de sa chambre. 

Il voit des hommes et des femmes se tordre de douleurs affirmant que du feu leur brûle les entrailles. 

Un homme court se jeter dans le Rhône en criant que sa tête est en cuivre et que des serpents lui sortent du ventre. 

A la fenêtre du deuxième étage de sa maison, un vieil homme se prend pour une libellule. Il saute et se fracture les deux jambes. Malgré ça, il se relève et continue sa course sur une cinquantaine de mètres.

Quand les gendarmes entrent dans le village vers une heure du matin, c’est le chaos. Ils tombent sur un homme ligoté sur une charrette en bois. Il pleure, les yeux remplis de panique. Ce sont ses proches qui l’ont attaché et qui tentent en vain de le ramener à la raison.  

Les routes sont barrées laissant place à un ballet incessant d’ambulances. Les sirènes et les gyrophares ne font que renforcer les crises d’angoisse. Les malades, pour la plupart enroulés dans des camisoles de force sont conduits à l’hôpital le plus proche. 

Sur place, les malheureux sont toujours dans un état de démence impressionnant. Certains se tapent la tête contre les murs, d’autres déchirent leurs draps. Des ouvriers sont réquisitionnés pour venir en aide aux bonnes sœurs de l’hôpital.

A l’aube, le cauchemar est terminé. Les villageois sont traumatisés.

On compte à présent près de 300 intoxiqués et 50 internés. Au total 7 personnes trouveront la mort avant la fin de l’année.

Très vite, policiers, scientifiques et journalistes prennent d’assaut le village. L’affaire devient publique et fait les gros titres des journaux locaux et nationaux. Pont St Esprit est devenu le village des fous. 

Des professeurs en médecine de la faculté de Montpellier sont appelés en renfort. Pour eux, l’hypothèse d’une intoxication alimentaire reste toujours la plus probable. 

On pense d’abord aux boîtes de conserve. Il faut dire qu’à cette époque la stérilisation de ce type d’aliment n’est pas encore tout à fait au point. Cependant plusieurs personnes intoxiquées affirment ne pas en avoir mangé au cours des derniers jours. 

C’est alors qu’un autre médecin, en vacances dans la région, prend connaissance des événements. Il se rend sur place et d’après lui, le coupable se trouve dans le pain. Ce même pain qui quelques jours plus tôt ornait les tables durant la fête de l’Assomption.

Le médecin fait référence à l’ergot de seigle ou ergotisme. Une maladie provoquée par un champignon parasite présent sur le seigle utilisé pour confectionner le pain. Aussi connue sous le nom de Mal des Ardents ou Feu de St Antoine c’est une maladie moyenâgeuse que l’on pensait disparue. Elle est appelée ainsi à cause des douleurs extrêmes qu’elle provoque donnant l’impression de brûler de l’intérieur.

Des prélèvements sont effectués dans les fournils des huit boulangeries du village. Une d’entre elles est alors pointée du doigt. Celle de Roch Briand. Située sur la grande rue, elle est la plus réputée de Pont Saint Esprit. 

En attendant les résultats des analyses toxicologiques, le maire décide d’interdire la vente de pain dans tout le village.

Au lendemain de la guerre, le pain est très important pour les Français. Il est un symbole national et victorieux. Bien que de mauvaise qualité, il reste tout de même une denrée de première nécessité. Savoir qu’il peut devenir aussi dangereux et mortel plonge le peuple dans un climat de peur et d’incompréhension. 

Dans le laboratoire d’analyse de Marseille, les résultats sont sans appel. Il y a bien des traces d’ergot de seigle dans la farine prélevée chez Roch Briand.

L’homme devient la cible des commérages. On dit qu’il aurait empoisonné son pain par vengeance. Le boulanger, candidat aux dernières élections municipales aurait mal digéré son échec politique.

Les enquêteurs arrêtent Briand et remontent la piste jusqu’à son fournisseur de farine. Un certain Maurice Maillet. Quand ils arrivent chez le meunier, les policiers remarquent rapidement un manque d’hygiène flagrant. Maillet avoue rapidement. Il affirme couper de temps en temps sa farine avec du seigle avarié. 

Des échantillons de sa farine sont prélevés sur place pour être analysés.

La police tient le coupable. L’arrestation de Maillet fait la une des médias. L’affaire est sur le point d’être classée. 

Mais les jours passent et le procès s’enlise. 

Les preuves matérielles manquent et les différentes analyses se contredisent. 

Une seconde analyse de la farine prise chez Roch Briand est effectuée. Résultat : aucune trace d’ergot de seigle.  

Autre élément contradictoire. On dit qu’un pain contaminé par l’ergotisme devient noir voire pourpre et dégage une odeur nauséabonde. Celui mangé par les victimes était bien blanc. Le Mal des Ardents est officiellement écarté de la liste des suspects. 

Faute de preuve, Roch Briand et Maurice Maillet sont libérés.

L’affaire s’essouffle, le mystère demeure et la vie reprend son cours à Pont St Esprit.  Les symptômes commencent à diminuer durant le mois de septembre. Il faut attendre la fin octobre pour qu’ils disparaissent une bonne fois pour toute. 

Une autre hypothèse voit le jour l’année suivante. 

Suite à une importante opération menée au sein des moulins du pays, on constate que certains meuniers utilisent un agent de blanchiment illégal, appelé :  l’Agène. Un composé chimique pathogène donnant au pain un aspect plus appétissant mais pouvant provoquer des symptômes proches de ceux de Pont St Esprit. 

Ce procédé est rapidement soupçonné et plusieurs meuniers de France sont mis en cause. Devant la colère de la profession et le risque de mettre en péril toute la chaîne de production, la justice demande l’arrêt définitif de l’enquête. Retour à la case départ.

En 1954, 3 ans après les faits, le juge d’instruction chargé de l’affaire prétend avoir enfin trouvé l’origine de la contamination. Selon lui, elle serait dû à un fongicide appelé le Panogen, un produit utilisé pour la bonne conservation des grains de céréale. La petite quantité de mercure présente dans le composé serait alors la cause des délires hallucinatoires. 

Cette hypothèse est retenue par la justice et permet de classer le dossier définitivement.

Le temps passe et avec lui les théories les plus folles voient le jour. On accuse l’eau de la fontaine, le sortilège d’une bohémienne de passage, la SNCF, le Pape ou encore le Diable lui-même

Puis viennent les théories politiques.  

Au moment des faits, les tensions géopolitiques de la Guerre Froide se font ressentir dans le monde entier. Les deux blocs, Est et Ouest se partagent le monde. 

Dans le village les avis sont partagés, certains habitants étant pro américains et d’autres pro soviétiques. 

Les risques d’une nouvelle guerre mondiale pèsent sur le monde et un climat de paranoïa plane sur le pays. Des villageois vont même jusqu’à affirmer avoir aperçu un sous-marin dans le Rhône au moment des faits. 

Encore une hallucination ?

Près de 60 plus tard, en 2009, le journaliste américain Hank Albarelli relance l’affaire du pain maudit.  En fouillant dans les archives de la CIA, il découvre un document déclassifié mentionnant l’incident de Pont Saint Esprit.  

Autre nom présent sur ce document, celui de Frank Olson.

Olson était un biochimiste travaillant pour la CIA et l’armée américaine dans les années 40. A cette époque, le gouvernement américain développait un programme de techniques de manipulation mentale top secret. Nom de code : MK NAOMI. 

Quel lien peut-il y avoir entre les événements de Pont Saint Esprit et la CIA ?

Après la débâcle et les pertes humaines durant la seconde guerre mondiale, l’armée américaine songe à une nouvelle forme d’armement. 

Les activités de ce programme avait pour but de développer des armes biologiques et notamment la dissémination sous forme d’aérosol, de virus tels que la variole ou la peste. Au début des années 50, la CIA commence également à expérimenter les premières techniques d’interrogatoire à l’aide d’agents chimiques. 

Quant à Frank Olson, ses travaux étaient essentiellement basés sur les effets puissants du LSD.

Découvert et synthétisé en 1938, le LSD est obtenu à partir d’un champignon vénéneux appelé Claviceps purpurea, aussi connu sous le nom de …ergot de seigle. 

Ça vous rappelle quelque chose ?

L’agence gouvernementale voit dans ses effets psychédéliques et désinhibants un parfait sérum de vérité. 

Le journaliste Albarelli fait le lien entre les deux éléments. Et si les crises de folie qui ont frappé Pont Saint Esprit en 1951 étaient en réalité un bad trip collectif ? Une expérimentation organisée par la CIA ?  

Selon lui, le LSD aurait été pulvérisé sur le village par avion avant d’être directement injecté dans le pain. Une mission digne des plus grands films d’espionnage hollywoodien. 

Au cours de son enquête, le journaliste découvre qu’Olson était en France quelques mois seulement avant l’incident de Pont Saint Esprit. A son retour au pays, il se serait confié à sa femme et lui aurait avoué avoir fait, selon ses mots, une terrible erreur.

Dans les années 70, un rapport d’enquête met à jour les activités de la CIA et ses différents programmes expérimentaux. Durant presque 30 ans la CIA a drogué des centaines de personnes pour tester de nouvelles techniques de manipulation mentale. Des soldats mais aussi des civils, ont été les cobayes d’expérimentations menées dans le but d’exercer un contrôle de l’esprit humain. 

En 1953, Olson plonge dans une profonde dépression et songe à démissionner de ses fonctions 

Il est convoqué à New York par la CIA et pris en charge plusieurs jours par un psychiatre travaillant lui aussi pour l’agence gouvernementale. 

Sous le contrôle de ses supérieurs, son état de santé semble s’améliorer. 

Mais le 28 novembre à environ 2h25 du matin Olson passe à travers la fenêtre de sa chambre d’hôtel. Il est retrouvé 10 étages plus bas le crâne fracassé sur le trottoir de la 7ème avenue.

La CIA prend très vite les choses en main et oriente la police de New York qui conclue à un suicide. L’affaire est classée mais reste encore aujourd’hui vivement critiquée par la famille Olson qui met en avant la thèse de l’assassinat. Après l’exhumation du corps en 1994 une nouvelle autopsie est effectuée. Plusieurs fractures du crâne antérieures à la chute sont alors constatées. Le mystère reste entier.

Avec le recul, l’affaire du pain maudit est devenue une sorte de légende urbaine. Un parfait mélange de faits réels et de fantasme.

La théorie d’une expérience top secrète de la CIA est spectaculaire, mais elle ne fait pas l’unanimité. Les symptômes des habitants de Pont Saint Esprit étaient bien similaires à ceux du LSD. Cependant les effets de la drogue ne durent que quelques heures et non pas plusieurs semaines. 

Aujourd’hui encore l’hypothèse d’une intoxication à l’ergot de seigle reste la plus crédible.

Il est possible que vous écoutiez ce podcast pendant votre petit déjeuner. Si ma voix vous semble soudainement différente et que vous entendez des sons étranges, ne finissez pas votre tartine de confiture… On ne sait jamais.

Texte : Morgan Tatincloux

Voix : Françoise Cadol

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