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LE MONDE EN 2050 – Partie 1

LE MONDE EN 2050 – Partie 1

Carnet de route.

Jour 1

Date : 21 juillet 2050.

Lieux : Paris. France.

Il est neuf heures du matin.

Je déambule dans les rues d’une capitale qui semble encore endormie.

L’air est déjà chaud, pesant.

Flâneurs, touristes et joggeurs ont déserté les rues goudronnées.

Je croise quelques téméraires qui s’aventurent dans la ville, passant d’un endroit à l’autre en empruntant les parcours ombragés.

On profite d’une relative fraîcheur matinale.

Dans quelques heures, traverser la rue deviendra une épreuve.

Il est à peine neuf heures et le thermomètre affiche déjà 36°C.

La France suffoque sous la canicule depuis bientôt deux semaines.

Un des problèmes, c’est le béton et l’asphalte.

Le jour, la chaleur est emprisonnée dans les structures en béton et l’asphalte qui couvre les rues. Cette chaleur ressort la nuit. Mais comme les nuits ne sont plus assez fraiches, la chaleur reste. Et à 9H, il fait déjà 36…

Plus tard dans la journée, c’est pire. Entre 43 et 45.

Les métropoles sont des fournaises.

Je quitte le bitume pour atteindre un passage arboré. Face aux chaleurs extrêmes, les arbres sont la meilleure parade. Paris la minérale s’est peu à peu transformée en ville verte. Pas pour faire joli. C’est une question de survie.

Tous les espaces existants ont été utilisés.

Potagers verticaux sur les façades,jardins suspendus sur les toits, espaces verts sur les anciennes places de parking On a fait comme on a pu pour verdir une ville très bâtie. Sauf que beaucoup d’endroits, où la construction a été poussée à son comble, ont été délaissés.

Paris a beau s’armer, le climat change plus vite.

Les jours caniculaires et les nuits tropicales s’enchaînent. En 2020, on comptait 14 jours dans l’année durant lesquels la température dépassait les 30°C.

Aujourd’hui on en compte une vingtaine.

Les nuits tropicales ont été multipliées par 2.

Et chaque année c’est la même rengaine. Thermomètre qui s’affole, pics de pollution, pannes électriques en cascade, nappe phréatique à sec…

Dans le Sud de la France, où on flirte souvent avec les 50°C, la chaleur accablante pousse les habitants à l’exode.

Au début des années 2000, la canicule était une exception. Aujourd’hui, c’est juste un été comme un autre.

Près de la gare Montparnasse, je traverse une forêt urbaine. Une frêle canopée me protège des rayons du soleil.

Chênes verts, micocouliers de Provence, érable de Montpellier…

Depuis une vingtaine d’années, ces essences méditerranéennes qui résistent à la sécheresse, poussent en ville.

Ailleurs dans le pays, les arbres centenaires tombent comme des dominos. Les aléas climatiques et les maladies ont eu raison d’une grande partie de nos forêts. Le massif aquitain et le bassin méditerranéen sont chaque année décimés un peu plus.

Et le feu n’épargne plus aucune région. Pays de la Loire, vallée du Rhône, Bretagne… Il s’étend jusqu’en  altitude, grignotant les forêts préalpines. 

La montagne justement, elle n’est pas épargnée. La neige se fait de plus en plus rare sur les sommets. Elle a complètement disparu en moyenne altitude.

On a perdu la totalité des glaciers des Pyrénées.

Seuls résistent quelques glaciers alpins. Mais la célèbre mer de Glace a perdu son blanc immaculé. Elle s’est transformée en une rivière solide de cailloux gris.

Je passe devant des immeubles aux volets fermés.

J’entends des bruits de conversations, le fond sonore d’une radio…

On devine une vie derrière ces murs. Des parisiens dans leur salon, isolés dans la fraîcheur de leur climatisation.

La clim…

Des machines énergivores qui prennent la chaleur d’une pièce pour la rejeter dehors. Une bombe à retardement. On a beau le savoir, avec ces températures, se passer de clim’ est devenu mission impossible. D’autres n’ont pas cette chance et cherchent un peu d’air où ils peuvent. On en a créé des oasis un peu partout dans Paris… Des îlots de fraîcheur, des zones de brumisation, des pavés rafraîchissants, des buses qui aspergent de l’eau, des passages ventilés…

J’ai parcouru quelques centaines de mètres.

J’ai l’impression d’avoir fait un footing.

Quand la température monte, le corps s’adapte et déploie mille efforts pour se protéger de la surchauffe. La respiration s’accélère, le cœur bat plus vite, la peau se couvre de sueur, les vaisseaux sanguins se dilatent pour dissiper la chaleur aux extrémités… Comme si notre corps ouvrait des fenêtres pour se rafraîchir.

Mais passé un certain point, il n’arrive plus à s’adapter et finit par lâcher.

On parvient à ce seuil mortel quand il fait chaud et humide en même temps. On parle de température humide. Dans un désert où l’air est sec, on résiste à des chaleurs extrêmes, 60 degrés, si ça ne dure pas trop longtemps.

Mais dans un air saturé en humidité, sortir dehors est dangereux.

Intenable à partir de 35 degrés.

Mortel à 40.

La première fois que ce cap a été franchi, c’était en 2021. Deux régions, au Pakistan et dans le Golfe persique, ont atteint le seuil mortel pendant une heure ou deux.

Puis d’autres ont suivi : en Inde, en Chine, au Moyen-Orient, au Sud-Est des Etats-Unis… Partout, dans le monde, des zones deviennent invivables. Les vagues de chaleur humide sont tellement violentes qu’elles tuent en seulement quelques heures.

La France est pour le moment épargnée, mais pour combien de temps ? Peut-on imaginer mourir de chaud sous nos latitudes ? 

Carnet de route.

Jour 2

Date : 22 juillet 2050.

Lieux : Rotterdam / Pays Bas.

Cela fait déjà plusieurs heures que les vagues déferlent sur les côtes néerlandaises.

En quittant la zone portuaire hier, j’ai vu la houle commencer à monter au loin.

La pluie commençait à tomber, sous un vent glacial. C’est dans la nuit que la mer s’est transformée en une masse déchaînée, gonflée par la marée haute et les rafales de vent. L’alerte a été donnée aux aurores. Les habitants du littoral ont reçu l’ordre de se mettre à l’abri au plus vite. La plupart des maisons sont maintenant équipées de refuge inondations, quand elles ne flottent pas entièrement… Là, je suis en sécurité dans l’une de ces maisons amphibies. ( prêtes à flotter.)

Car malgré les barrages et les digues, on craint que les vagues n’atteignent les zones habitées.

Ici, on sait que l’eau peut tout submerger à une vitesse inimaginable. C’est ce qu’il s’est passé en 1953, quand un raz-de-marée s’est abattu sur la province de Zélande, dans le Sud-Ouest du pays. À cette époque, les digues avaient lâché et des villages entiers ont été emportés. Deux cent mille hectares ont disparu sous les flots.

Depuis cette catastrophe, les habitants ont verrouillé les bras de mer et les embouchures des fleuves. Ils ont imaginé un réseau de barrages, d’écluses et de barrières anti-tempête. Le plan delta. Le rempart le plus puissant jamais imaginé contre les inondations.

Ici, les habitants me racontent qu’ils ont appris à vivre avec l’eau depuis toujours. Le pays est façonné par elle. La mer au nord et trois grands fleuves qui le traversent. Au fil des siècles, on a construit des polders – ces terres gagnées sur la mer, on a dressé des digues pour contrer les marées, redessiné les fleuves… Chaque parcelle de terre a été arrachée à la mer. L’autre jour, un ancien m’a rappelé ce dicton : “Dieu a créé la Terre, mais les Hollandais ont créé la Hollande.”

En se promenant dans la ville de Rotterdam, on se rend vite compte de l’emprise de l’eau sur ses habitants.

Avec ses écluses et ses barrages, le plus grand port d’Europe se prépare aux inondations depuis près d’un siècle. Marqués par le souvenir de 1953, les néerlandais se sont promis, plus jamais ça. Armé de ses remparts, le pays semble pouvoir parer à toute catastrophe.

C’était sans compter avec le changement climatique. Depuis la fonte des glaces polaires, le niveau de la mer augmente à un rythme effréné. Ce qui rend le déferlement des flots plus dangereux. Et les tempêtes s’intensifient. Là où hier, les plus grandes vagues étaient stoppées par les digues, aujourd’hui, avec une mer plus haute, elles franchissent nos obstacles…

Partout, dans le monde, des terres sont englouties par les eaux. Les îles Kiribati, les Maldives, mais aussi les îles Marshall, ont presque entièrement disparu.

Les zones côtières ne sont pas en reste. En Inde, en Asie, aux Etats-Unis… Les vagues de submersions sont de plus en plus fréquentes.

Tandis que nos littoraux français perdent toujours un peu plus de terrain. Une grande partie du marais Poitevin et de la Camargue est aujourd’hui sous les eaux. En Gironde, en Vendée, en Loire-Atlantique… Des millions de personnes sont menacées par les inondations. Elles rendent certaines zones inhabitables. Et chaque année, de nouveaux records de tempêtes sont atteints.

Pendant que la mer monte et que les fleuves gonflent, les Pays-Bas, devenus un modèle d’adaptation, transforment encore leur territoire.

Loin d’élever seulement des murs, le pays apprend à vivre avec l’eau. Aujourd’hui, il vaut mieux s’adapter plutôt que lutter. La ville de Rotterdam s’est ainsi transformée en ville éponge, pompant chaque goutte qui tombe. Dans chaque quartier, j’ai vu des jardins de pluie qui laissent l’eau s’infiltrer dans le sol.

Les places publiques sont devenues des “water plaza”, utilisées comme réservoirs pour stocker l’eau avant de la relâcher.

Les garages et les parkings souterrains font office de réservoirs d’urgence. Les espaces bétonnés se sont mués en coins de verdure. Et les fermes flottantes se sont multipliées aux abords de la ville.

Mais ce pays qui a fait de l’eau sa richesse reste vulnérable, avec une large partie de son territoire qui se situe sous le niveau de la mer, parfois de 7 mètres.

Et la mer reprend ses droits. Elle reconquiert les polders et oblige des familles entières à quitter leurs terres. La menace vient de la mer, mais pas seulement. Le flot des fleuves et des rivières grossit. Et les digues ne sont pas infaillibles… On a beau réaménager les terres, élargir les lits des rivières, élever toujours plus haut les barrages… Tous ces efforts risquent de ne pas suffire. 

Au petit matin, le ciel reste noir et la pluie ne discontinue pas. Les bourrasques continuent de balayer le pays, atteignant par endroit 160 km/h. On a sorti les bougies et les lampes-torches, car l’électricité a été coupée dans la nuit. Chacun surveille l’évolution de la situation sur son portable, espérant que les digues ne cèdent pas sous la pression de l’eau et des vagues.

Après des siècles à déjouer la nature, l’époque où nous pouvions contrôler l’eau semble révolue. Rotterdam vit depuis toujours grâce à l’eau, va-t-elle sombrer à cause d’elle ? 

Carnet de route.

Jour 3

Date : 24 juillet 2050.

Lieux : Brésil / Forêt amazonienne

Ici, je ne vois aucune trace de la végétation foisonnante de jadis. Les arbres, s’ils n’ont pas été entièrement consumés, gisent au sol carbonisés.

L’odeur de brûlé plane encore dans l’air.

Des hectares de nature ravagés par les flammes. Et sur des kilomètres, je marche sur un sol sec, désertique. Auparavant, cette partie de forêt abritait encore des plantes remarquables, des animaux spectaculaires. Des paresseux suspendus aux arbres, des toucans, des milliers d’espèces d’insectes, de reptiles, et d’oiseaux qui enchantaient la forêt tropicale de leur symphonie.

Les arbres s’étendaient à perte de vue, couvrant le ciel de leur épaisse canopée.

Mais les feux sont devenus incontrôlables.

Ils se sont multipliés chaque année pour décimer la forêt un peu plus.

En cause, la déforestation.

Déjà intense avant les années 2000, elle a explosé il y a 30 ans.

En Amazonie comme dans d’autres régions, les terres sont défrichées par le feu : c’est la méthode du brûlis. Des millions d’arbres sont brûlés, remplacés par des plantations de soja et des élevages de bétail.

Avec la sécheresse, ces feux s’étendent souvent dans les forêts à proximité… Ravageant tout sur leur passage. Des centaines de millions d’hectares sont ainsi partis en fumée.

Malgré les promesses faites par les Etats, la forêt n’a pas cessé d’être exploitée.

Et plus elle se détériore, moins elle est apte à résister au changement climatique. Avant, on l’appelait le poumon vert de la planète.

C’était un réservoir de carbone, censé absorber les émissions polluantes de l’humanité. 

À partir des années 2020, la mécanique a commencé à s’inverser. L’Amazonie émet désormais plus de CO2 qu’elle n’en absorbe. Au lieu d’enrayer le réchauffement climatique, elle l’accélère.

On a atteint un point de non-retour. Le même phénomène se passe avec la fonte des glaces. Plus la banquise fond, plus sa surface blanche, qui renvoie les rayons du soleil, disparaît. La surface sombre de l’eau absorbe elle les rayons solaires, ce qui réchauffe les océans… Et empire la situation. Un cercle vicieux…

Il en va de même pour la forêt. Lorsqu’elle part en fumée, sa combustion libère des tonnes de carbone dans l’atmosphère. Passé, un certain seuil, les dégâts sont irréversibles…

Ici, je ne ressens pas la moiteur de la forêt tropicale, l’air s’est asséché.

Le paysage, métamorphosé. On se croirait dans une savane. Le sol est aride, les arbres clairsemés. Ils meurent les uns après les autres. 

La forêt, de plus en plus sèche, n’est plus capable de déclencher sa propre pluie. Ce qu’elle a fait depuis des millénaires grâce à la transpiration des plantes et l’évaporation.

Mais sans ses arbres, elle ne produit plus assez d’humidité… Et autour, toutes les régions sont affectées… En Bolivie, au sud du Pérou, au Brésil… La pluie se raréfie, la saison sèche s’allonge, les sécheresses se font plus intenses et plus fréquentes. L’agriculture est profondément impactée. Pour les habitants, c’est une catastrophe. 

Les terres indigènes ne sont pas épargnées. Les communautés qui y vivent ont perdu la nature qui les nourrit et les soigne.

Depuis mon arrivée, je n’ai rien vu qui ressemble au paradis luxuriant qu’on décrit dans les livres. L’Amazonie était le dernier refuge du jaguar et de la harpie féroce. Ces espèces ont disparu il y a quelques années, comme tant d’autres. Je n’entends pas les sifflements d’oiseaux, les cris des singes, ni les insectes. Les bruits incessants de la jungle ont laissé la place à un silence de mort.

En détruisant cet écosystème, l’homme s’est lui-même condamné.

Car ces lieux abritent aussi des virus inconnus, qui sont enfermés dans la forêt depuis des milliers d’années. La diversité naturelle les empêchait de proliférer. Mais aujourd’hui, les animaux sauvages, qui n’ont plus de foyers, se rapprochent du bétail et des hommes. Et leurs virus se propagent.

Il y a trente ans, on découvrait un virus dont on ignorait encore presque tout. Le Covid nous a pris de court et a fait des ravages dans le monde entier. Mais ce n’était rien à côté de ce qui nous attend aujourd’hui. En détruisant la nature, on risque un chaos sanitaire.

Au loin, j’aperçois encore une fumée blanche qui s’élève. On détruit les dernières parcelles de végétation qui subsistent. Il ne reste plus grand-chose de la forêt amazonienne. Ravagée, brûlée : un paradis perdu.

Texte : Sophie Vo / Voix : Laury Thilleman