QUAND LES SÉRIES DÉRAPENT – AMICALEMENT VÔTRE
Tony Curtis est peut-être un adepte de la fumette !
Elle a coûté 55 millions de dollars, mais… Vous ne la verrez jamais ! Histoire d’un réalisateur fou, d’une production délirante et d’une fortune disparue…
Texte & Voix : Alain Carrazé
Ouin, ouin, la chaîne, elle est méchante, elle a supprimé ma série préférée ! Comment je vais faire maintenant ? Ma vie est foutue. Ma série est annulée et je ne connaîtrai jamais la suite. Ces gens à Netflix, à TF1 ou à Prime Video, ils me veulent du mal…
Combien de fois, en spectateur gâté pourri, vous vous êtes dit cela tout en trépignant sur votre canapé ?
Allez soyez honnête. Plein de fois, hein. C’est tellement rassurant de se dire victime d’un gros diffuseur qui vous arrache à votre série chérie.
Et qu’on ne vienne pas vous dire que la série était un bide monumental. Vous n’entendez rien de cela.
Alors je vous propose de prendre votre revanche.
Que cela soit enfin leur tour de ne pas voir leur série.
Pas une image. Pas un épisode. Et de voir l’intégralité de leur budget partir en fumée. Et pas qu’un peu: 55 millions de dollars, dont personne ne verra la couleur. Hein ? Bien fait pour eux, n’est ce pas ? Voici la triste et incroyable saga de la série Netflix qui a coûté un bras… et que personne ne verra.
Lire la suiteD’habitude, avant de lancer une série on produit ce que l’on nomme, de épisodes « pilotes ». Ce sont des épisodes test qui, certes, coûtent cher, mais permettent de voir ce qu’une hypothétique série peut donner avant de se lancer dans le financement de tous les autres épisodes.
Quand on y pense, c’est assez sage, hein ?
Sauf que, pour Netflix, y’a pas de pilot.
Non. Pas la peine. On donne le feu vert immédiatement pour une première saison tout entière. Et on verra si ça marche ou pas.
C’est un processus franchement dispendieux, mais bon, c’est leur argent. Enfin, d’une certaine manière ce sont les bénéfices avec les abonnés comme vous. Donc c’est un peu votre argent.
Un beau jour de 2018, les responsables de Netflix ont sous les yeux un projet ambitieux d’une série qui a pour titre « Conquest ». Son sujet : les humains face à des créatures nées de l’intelligence artificielle, les O.I.
C’est un projet de science-fiction, un genre qui est devenu très recherché pour Netflix.
A cette époque, c’est un peu la frénésie pour trouver de nouveaux projets et d’ailleurs Prime Video est déjà sur le coup de Conquest.
Alors il faut agir vite. Dans la précipitation. Et cela a souvent des conséquences désastreuses.
Donc Netflix décroche son téléphone pour parler directement au créateur de la série en personne, le réalisateur Carl Rinsch, un monsieur sur lequel on sait peu de choses, mis a part qu’il a réalisé un gros film en 2013, 47 Ronin, une histoire de samouraïs avec Keanu Reeves.
On est dimanche, Netflix discute au téléphone avec Rinsch et lui promet plus de moyens que ne lui en donne Prime Video.
Rinsch va demander encore plus pour passer de Amazon prime à Netflix : qu’on lui laisse le « final cut », c’est-à-dire la pleine et entière responsabilité de la version finale.
Netflix hésite car c’est quelque chose qu’on ne donne jamais, de peur de ne pas pouvoir changer ce qui serait jugé indiffusable. Quitte ou double. Netflix va dire « OK » et le deal est conclu : « Conquest » sera une série Netflix.
Le contrat est signé et une partie du budget nécessaire pour produire la série est envoyée à Carl Rinsch. Là aussi, c’est carrément exceptionnel de la part de la plateforme car généralement Netflix se donne un délai de 18 mois pour payer la série qu’il commande.
Oui vous avez bien entendu : un an et demi avant de sortir le budget d’une de leurs séries. Un gros délai de paiement ! Mais là, ça tombe de suite.
Il est vrai qu’à cette époque, les budgets coulaient à flot et Netflix avait signé des deals mirobolants avec des créateurs de renom.
En novembre 2018, un premier accord est donc signé. Le budget pour les droits de la série se monte à 61 millions 200,000 dollars.
Evidemment, ça sera versé en plusieurs fois, suivant des étapes dans la production de la série. Netflix patiente mais ne reçoit pas un script complet de la part du réalisateur. Qu’importe ! Le tournage commence, loin de Los Angeles et des bureaux de Netflix : au Brésil, à Sao Paulo.
Le tournage à l’étranger prend fin, et la production se poursuit aux États Unis. Netflix va cependant noter que, malgré le fait qu’elle a déjà déboursé 44,300,000 dollars sur les 61 prévus, les dates de remise prévues dans le contrat sont allègrement dépassées. Et en mars 2020, l’épidémie de Covid va encore plus compliquer la production.
Netflix va alors recevoir un ultimatum de la part de Mr Rinsch : il demande le feu vert immédiat pour une seconde saison de la série et donc une nouvelle injection de cash pour travailler dès maintenant sur la pré-production de ces nouveaux épisodes.
Netflix va s’exécuter et envoie à nouveau 11 millions de dollars.
En retour, ils espèrent recevoir le script détaillé de cette seconde saison. Sinon, on en restera aux 13 premiers épisodes déjà tournés. Vous sentez venir la catastrophe ? Hein ? 55 millions dépensés et toujours rien. C’est pas bon signe, hein…
Netflix commence à paniquer et vire les deux responsables du projet « Conquest ».
Là, c’est vraiment « Alerte Rouge » ! Deux années se sont écoulées , 55 millions de dollars se sont évanouis et aucune image de Conquest n’arrive chez Netflix. Le 18 mars 2021, Netflix fait part de sa décision au créateur de Conquest : ils arrêtent de financer la série, et abandonnent sa production. En d’autres termes, ils annulent la série Conquest. Pour eux, « il est clair que M. Rinsch ne terminera jamais le projet qu’il s’est engagé à produire ». Si Monsieur Rinsch parvient à intéresser un autre diffuseur et à leur vendre la série, celui-ci devra alors rembourser Netflix pour ses 55 millions investis. Sinon, ben… c’est une perte sèche.
Netflix a perdu toute confiance en Rinsch au point d’abandonner ce qui pouvait être, à ses yeux, une lucrative série aux multiples saisons, et, dans l’aventure, s’assoit sur 55 millions de dollars.
Pourquoi un tel renoncement ?
Jusqu’à maintenant, je vous ai raconté ce qui s’est passé du côté de Netflix. Maintenant, je vous propose, grâce à une incroyable enquête menée par le New York Times, de découvrir ce qui s’est passé en coulisses, avec ce monsieur Rinsch.
Et vous allez voir que c’est encore plus dément que ce que vous pouvez imaginer.
A 46 ans, Carl Rinsch a déjà tourné beaucoup de publicités au sein de la maison de production du grand réalisateur Ridley Scott. Il va même remporter un prix en 2010 pour une publicité pour Philips.
On pense alors à lui, tout naturellement, pour des films de science-fiction : un nouvel opus de la saga Alien ou un remake du film l’Age de Cristal.
Au final, il écrira et tournera ce fameux bide avec Keanu Reeves, 47 Ronin. Car oui, ce film a été un bide retentissant, autant auprès des critiques qu’auprès du public, et ne rembourse même pas son budget, de l’ordre de 225 millions de dollars. Le tournage, d’ailleurs, se passe si mal pour le réalisateur, dont c’est le premier long métrage, qu’il est débarqué du projet et que le montage et des reshoots sont faits par Universal, dans l’espoir de sauver le projet.
Et ça, le producteur du film aurait pu le raconter à Netflix avant qu’ils n’engagent Rinsch. Parce que le producteur, depuis, il travaille au sein de Netflix ! Il suffisait aux responsables de pousser la porte de son bureau pour lui demander « Hey Scott, ça s’est passé comment sur 47 Ronin ? Le réalisateur , il est gérable ? »
Mais non. Personne ne lui a demandé. Si ça avait été le cas, il y aurait fort à parier que l’histoire aurait été très différente. Car en effet, le réalisateur a la réputation d’être, depuis toujours, un peu… comment dire… fantasque.
Par exemple, il raconte souvent que son enfance s’est passée en Afrique – alors qu’en fait il a grandi en Californie, et que son père était un espion, alors qu’ il était courtier en assurance.
Des gamineries sans conséquences, diriez-vous !
N’empêche que, après la débâcle de 47 Ronin, Rinsch refait des pubs et travaille, avec sa femme, à un projet de série télé, White Horse. Il va investir son propre argent et celui d’autres boîtes de production pour en tourner 6 mini-épisodes de 5 ou 8 minutes au Kenya, histoire de convaincre des diffuseurs comme Amazon Prime ou Netflix.
La tactique va marcher car, vous l’avez compris, White Horse, c’est le premier nom de la fameuse série Conquest. Avec un tel méga-projet, vous pensez que l’attitude de Rinsch va être tempérée et que le tournage au Brésil se déroulera sans encombre. Faux. Archi faux. Rinsch est accusé de maltraiter l’équipe de tournage, de jurer comme un charretier et d’être excessivement irritable.
Alors que le tournage se poursuit, Rinsch ne dort plus et soupçonne sa femme de vouloir le faire assassiner. Conscient de ses soucis, Rinsch va, dès le tournage terminé fin 2019, recruter un consultant pour le remettre en forme et se soumettre à une cure de désintoxication. En effet, Rinsch prend énormément de médicaments, principalement des amphétamines destinées à gérer son déficit d’attention et son hyper activité. Et ses médicaments peuvent avoir des effets secondaires redoutables comme des délires psychotiques.
Au moment où Netflix accepte de lui envoyer un supplément de 11 millions de dollars pour envisager la seconde saison de la série, Rinsch récupère, à titre personnel, 10 de ces 11 millions et les joue en bourse.
Il va perdre en quelques semaines presque 5 millions de dollars !
Il va ensuite utiliser ce qu’il reste pour investir dans une crypto monnaie.
Il prétend ensuite avoir découvert le mécanisme de transmission du Covid-19. Il prétend avoir trouvé une carte indiquant un signal qui vient du centre de la Terre et qui dirige, qui téléguide, en quelque sorte, tous les coronavirus sur Terre.
Il demande au personnel d’un hôtel où il réside, à Santa Monica, de recouvrir tous les murs de sa chambre avec des draps blancs.
Rinsch, ensuite, affirme pouvoir prédire quand les éclairs vont tomber. Et, dans le même ordre d’esprit, il peut prédire les éruptions volcaniques. Il est persuadé aussi que les avions sont en fait des créatures organiques qui, quand elles passent au-dessus de vous, vous disent « bonjour ! »
Ivre de puissance, Rinsch va ensuite dépenser l’argent donné par Netflix pour s’acheter quelques babioles. Oh, rien de bien extravagant. Une Rolls Royce. En fait 5 Rolls Royce ! Mais aussi une Ferrari, et d’autres modèles.
Il va aussi s’acheter des meubles de luxe et des costumes haut de gamme. Le tout pour 8,7M$ !!!!!
Ah mais ce sont des accessoires pour la prochaine saison de Conquest, hein ! Et pendant tout ce temps, Rinsch ne termine pas la saison 1 de Conquest et n’en monte pas la moindre image.
Un procès est actuellement en cours.
Voilà la triste histoire d’une série partiellement produite mais enfouie sous les délires gargantuesques et démesurés de son créateur. Enfouie très profond. Avec les 55 millions de dollars que Netflix a dépensé en pure perte.
Montrer moinsTony Curtis est peut-être un adepte de la fumette !
31 juillet 2023Quand vous voyez un candidat seul sur une plage, en fait, il est entouré de cadreurs, éclairagistes, preneurs de son… 200 personnes travaillent sur l’émission ! Et en plus, la plupart du temps, on ne fait rien.
13 février 2024Cookie | Durée | Description |
---|---|---|
cookielawinfo-checkbox-analytics | 11 months | This cookie is set by GDPR Cookie Consent plugin. The cookie is used to store the user consent for the cookies in the category "Analytics". |
cookielawinfo-checkbox-functional | 11 months | The cookie is set by GDPR cookie consent to record the user consent for the cookies in the category "Functional". |
cookielawinfo-checkbox-necessary | 11 months | This cookie is set by GDPR Cookie Consent plugin. The cookies is used to store the user consent for the cookies in the category "Necessary". |
cookielawinfo-checkbox-others | 11 months | This cookie is set by GDPR Cookie Consent plugin. The cookie is used to store the user consent for the cookies in the category "Other. |
cookielawinfo-checkbox-performance | 11 months | This cookie is set by GDPR Cookie Consent plugin. The cookie is used to store the user consent for the cookies in the category "Performance". |
viewed_cookie_policy | 11 months | The cookie is set by the GDPR Cookie Consent plugin and is used to store whether or not user has consented to the use of cookies. It does not store any personal data. |