fbpx

ÉTÉ 2023, LE RETOUR DE GOLDMAN

ÉTÉ 2023, LE RETOUR DE GOLDMAN

Il suffit d’un livre sur Jean Jacques Goldman, publié en août, pour que le boss de la chanson française revienne en Une. Mais pourquoi JJG, absent depuis 20 ans, est-il encore la personnalité préférée des français ?

Texte : Claudia Valencia Voix : François Berland

1965 Londres. 

La soirée débute dans un des très nombreux pubs de la capitale.  Rien de mieux qu’une bonne pinte de bière après une rude journée de boulot ! 

Les vapeurs d’alcool se mêlent à la fumée des cigarettes, les conversations et les éclats de rire fusent de tous les côtés. L’atmosphère est conviviale à souhait. Dans ce joyeux maelström, les générations se mélangent sans distinction. Familles, collègues de travail, jeunes étudiants… 

Chacun s’y sent comme chez lui ou presque. 

Perdu dans la cohue  un gamin de 13 /14 ans jette des regards apeurés. Ses cheveux coupés courts, ses habits de petits garçons… Il jure un peu dans ce cadre décontracté. Quelques habitués le reconnaissent : un petit frenchie envoyé à Londres pour un voyage linguistique. Sa famille d’accueil l’amène ici tous les soirs. 

L’adolescent se réfugie près du juke box. Il l’examine avec attention… Jimi Hendrix? Il ne connaît pas… Il met en marche l’appareil et les premières notes retentissent. 

Les yeux de l’ado s’arrondissent sous l’effet de la surprise. Comme si l’air se chargeait d’électricité… Il repasse le morceau. Une… deux… trois.. Jusqu’à vingt fois. C’est une révélation. 

Qu’une musique puisse à ce point vous remuer les entrailles, voilà qui est nouveau ! 

Ce gosse introverti qui découvre le rock n’ roll s’appelle Jean Jacques Goldman.

Le petit Jean Jacques pousse son premier cri  en 1951 dans le 19eme arrondissement de Paris.

Il est le deuxième rejeton de Alter Motje Goldman et de sa jeune épouse Ruth.  

Les parents sont issus de la moyenne bourgeoisie. Des gens discrets qui travaillent dur. Ils espèrent que leurs enfants mèneront  une existence meilleure que la leur.  

Ils reviennent de loin. Alter et Ruth ne sont pas des français de souche. De confession juive, ils ont dû au début du siècle fuir leur pays d’origine :  l’Allemagne pour la mère, la Pologne pour  le père. 

La France s’est présentée comme une terre d’accueil, leur nouvelle patrie.  Durant la seconde guerre mondiale Alter est entré dans la clandestinité et a lutté sous la bannière de la résistance.

C’est à Montrouge, une banlieue ouvrière située à quelques kilomètres au sud de Paris que Jean Jacques grandit. 

Alter y a ouvert une boutique de sport. Le commerce est à côté du pavillon familial. 

Étrange coïncidence : C’est dans cette même commune qu’habite un gamin du même âge que Jean Jacques, Un certain Michel Colluchi, fils d’immigré italien.

A l’école, Jean Jacques brille…par sa discrétion. Ni populaire, ni souffre-douleur, des résultats corrects… Il n’attire guère l’attention de ses professeurs. Il suit des leçons de piano et de violon mais il le fait sans grande conviction. Ce sont ses parents qui l’y ont poussé. 

Heureusement, il y a les scouts. Jean jacques s’épanouit là-bas. Il affectionne la vie de groupe, le plein air et la débrouillardise. Au coin du feu, il gratte ses premiers accords de guitare. Ce mode de vie lui transmet des valeurs essentielles: l’esprit de communauté, la solidarité et l’entraide. 

Au lycée, le jeune garçon sort un peu de sa coquille. Il s’initie à la musique américaine. Le rock ne s’apprend pas, On se réunit entre copains et c’est dans les caves des maisons qu’on répète.

1967

L’adolescent rejoint la chorale de l’église de Montrouge et intègre son premier groupe :The Red Mountains Gospellers. 

Le prêtre, un homme dynamique et moderne finance à hauteur de 2000 euros, une belle somme pour l’époque, la petite formation. Et ça marche ! Le groupe sort un quarante-cinq tour qu’il écoule à mille exemplaires. Jean Jacques achète sa première guitare. Une Gibson! Les débuts sont prometteurs… Que faire ? Abandonner les études et se consacrer tout entier à la musique ? Non, Jean Jacques est prudent.  En 1969 il intègre l’école de commerce de Lille. Pas question de traîner dans les fêtes étudiantes, il ne boit pas et ne manque aucun cours. 

Un jeune homme sérieux. 

Trop ? 

Chez les Goldman le poste d’enfant rebelle, ce n’est pas Jean Jacques qui l’occupe, mais Pierre, le demi-frère né en 44. Soixante-huitard, guérillero au Venezuela…

L’histoire ne tarde pas à tourner au vinaigre… 

Il participe à plusieurs braquages et l’un d’entre eux mène à la mort de deux femmes. Lorsque Pierre est arrêté et mis sous les verrous, Beauvoir Sartre et Simone Signoret montent au créneau pour le défendre. 

Georges Moustaki lui consacre même une chanson!  

Pierre finit par être relâché. Mais quelques années plus tard, il est abattu. Groupe d’extrême droite? Milieu du grand banditisme marseillais ? Le mystère reste entier. 

Peut-être est-ce pour rassurer ses parents et racheter les errements de son frère que Jean Jacques tient tant à mener une vie normale. 

Après l’obtention de son diplôme, il rejoint l’enseigne familiale. Il ne renonce pas pour autant à la musique.

1975,  Jean Jacques intègre le groupe de rock Thaï phong. 

Le 26 janvier, le jeune chanteur apparaît pour la première fois sur le petit écran. Sa silhouette longiligne et  sa voix étrangement aiguë font déjà tourner les têtes. Il entonne en anglais le tube du groupe : Sister Jane. 

L’aventure tourne court. Jean Jacques  rêve d’une musique plus accessible. Il meurt d’envie de chanter dans la langue de Molière. Il se souvient d’un concert de Ferré : le français est une langue mélodieuse et il va le prouver.

Jean Jacques se lance dans une carrière solo. Il se sait bon compositeur, par contre, il n’envisage nullement d’être une star. S’exhiber devant un parterre de fans hystériques, parader devant les caméras, ce n’est pas sa tasse de thé ! 

Il en a fait l’amère expérience avec Taï Phong. 

Sa timidité était telle que les vomissements dans les coulisses étaient monnaie courante. Jean jacques préfère s’effacer derrière son œuvre et écrire pour les autres. 

Une intention louable. Mais les maisons de disques font la sourde oreille. Jean-Jacques a beau présenter ses maquettes,  il essuie refus sur refus. Cette traversée du désert ne le décourage pas. Si personne ne veut interpréter ses chansons, il le fera lui-même ! 

En 1981, il signe un contrat avec CBS records. Le label, lui permet d’avoir la mainmise sur tous les aspects de sa création : écriture, arrangements, composition…  Il a 29 ans et les portes de la gloire s’ouvrent en grand devant lui.

Sa chanson phare « Il suffira d’un signe » apparaît  de façon plutôt discrète sur les ondes. Mais mois après mois,  le single gravit les marches du podium et bat  des records d‘écoute. Les hits sortent les uns après les autres. Envole-moi, Encore un matin, Américain…  Le secret de la formule Goldman? Il maitrise tous les styles ! Rock, pop, slow, variété… le chanteur navigue aisément. 

Il n’hésite pas non plus à revendiquer ses influences seventies. 

A rebours du rythme froid des synthétiseurs de l’époque. Jean Jacques a un autre  don : celui de toucher le cœur des gens. Le chanteur ne se défait pas de ses cahiers d’écriture. Il capte l’air du temps et observe le quotidien des anonymes. L’émotion est assumée, revendiquée même,  mais elle reste toujours à la hauteur  de ceux qui l’écoutent. L’apparente simplicité de sa musique est un leurre. Et puis  il y’a cette voix au timbre  inimitable…

Jean Jacques Goldman surmonte son trac et se livre à l’exercice de l’auto promotion. Il ne refuse aucune invitation télé. Sa gueule d’ange et son physique de jeune premier passent bien à l’écran.  Anne Sinclair, Jacques Martin, Michel Drucker… Il est sur tous les plateaux. 

Il faut se faire connaître ! Le jeune homme semble intimidé mais sa vulnérabilité séduit les téléspectateurs..

Pour lui le plus important ce sont les chansons. Il ne s’embarrasse pas d’un style visuel particulier. Petite cravate, chemise blanche, jean et baskets aux pieds. Un look passe partout, bien loin des extravagances vestimentaires de certains de ses comparses. 

Cette discrétion attire de nombreux fans. Des ados pour la plupart âgés entre 14 et 18 ans.

Cela ne manque pas de susciter des commentaires narquois d’une partie de la presse. « Goldman? Il pille le répertoire du folk et du blues américain ! Un chanteur gentillet à la voix de chat écorché  tout juste bon à charmer des gamines écervelées! » 

La star ne supporte pas le procès qu’on lui fait. 

Que lui reproche-t-on au juste ? Sa popularité ? Il est vrai qu’elle est exceptionnelle. Il arrive à remplir le zénith 18 soirs d’affilée sans presque aucune campagne publicitaire ! 

Goldman ne pardonnera pas aux médias. Il verrouille sa communication. Les interviews seront accordées par la suite  au compte-goutte. Lui qui au début n’hésitait pas à inviter les journalistes chez lui,  il refusera désormais de leur faire visiter son foyer. Hors de question aussi de l’interroger sur sa vie privée. Les questions sont minutieusement préparées à  l’avance. Le contrôle est extrême, voire limite pour certains. Goldman ne se soucie plus des critiques. Il peut se passer d’elles. Avec les années son exposition médiatique se réduira  à peau de chagrin. Un moyen de prendre sa revanche sur la presse? Peut-être… On peut imaginer la frustration des journalistes quand, en 2021, Goldman sort de son silence pour…une classe de lycéens à Montpellier.  Paradoxe intéressant, cette discrétion n’entamera en rien sa popularité. 

Le chanteur se situe à des années lumières du star system. Dans le milieu, il est réputé pour son calme, sa discrétion  et sa politesse. 

Des qualités rares pour  quelqu’un qui écoule ses albums à des millions d’exemplaires… 

Goldman reste ancré dans le réel. Preuve en est, au plus fort de sa gloire, il mène à Montrouge une vie de famille tranquille avec sa femme Catherine, une psychologue, et leurs trois enfants. Caroline, Michael et Nina. Malgré le succès de leur père, ils continuent à fréquenter l’école publique. Jean Jacques de son côté  n’hésite pas à donner un coup de main à la boutique paternelle. 

Le chanteur s’implique dans son époque. Tradition familiale oblige! Son père était un ancien communiste.  Chez les Goldman on discutait  âprement de sport et de politique. 

Les enfants étaient invités à s’exprimer sur l’actualité. 

Goldman n’est pas un militant acharné, mais il est fasciné par les « protest songs » américaines. Lui aussi veut faire entendre sa voix et passer un message. Les années 80 correspondent à l’arrivée de la gauche au pouvoir mais aussi  à la montée de l’extrême droite en France. Jean Jacques Goldman est un enfant d’immigrés. Il sait jusqu’où peut mener le racisme.  Dans beaucoup de ses chansons il prône le vivre ensemble et la tolérance. 

En 1985, il écrit et chante un de ses titres les plus célèbres : « Je te donne »,  un hymne au métissage et au mélange culturel. 

Un an plus tard, le comique Coluche le contacte. Il est en train de mettre en place une association qui aide les plus démunis : Les restaurants du cœur. Il cherche une chanson fédératrice qui puisse marquer le coup. Se sent-il capable d’en écrire une en disons… une semaine? 

Jean Jacques Goldman s’exécute aussitôt. 

C’est le début d’une aventure longue de trente ans. Son engagement caritatif n’a pas de limites. 

Goldman entretient un rapport courtois avec ses fans mais il ne comprend pas cette adulation qu’on lui porte.  

A la fin des années 80, il se permet de prendre un peu de recul et de retourner à ses anciennes amours : écrire des chansons pour les autres. 

On l’ignorait superbement et maintenant les plus grandes stars de la chanson française se l’arrachent ! 

Goldman est un parolier de talent. Il distille sensibilité et émotion dans ses textes et offre de véritables chefs d’œuvres : « Laura » chanté par Johnny Hallyday, « Pour que tu m’aimes encore »  écrit pour Céline Dion, « Il me dit que je suis belle » par Patricia Kaas ou « Aïcha » de Khaled en sont de prestigieux exemples.

Et puis il y a Sirima… Une jeune chanteuse britannique d’origine sri lankaise. La jeune femme joue dans le métro parisien et c’est là qu’en 1986 elle est repérée par un compositeur du nom de Philipe Deletrez. 

Celui-ci la met en contact avec Jean Jacques Goldman qui cherche une voix féminine pour un duo qu’il vient d’écrire. 

La chanson s’appelle « Là-bas »… Sirima n’a que vingt- trois ans quand le duo est enregistré. Le succès est au rendez-vous.. Mais la tragédie fait irruption. Trois semaines après la sortie de son premier album, en 1989,  Sirima est assassinée par son compagnon, un musicien jaloux de sa réussite.

Le drame bouleverse Jean Jacques Goldman…  Le besoin de se mettre en retrait se fait un peu plus sentir. Pour  ne pas perdre de sa motivation, il fonde le trio Fredericks Goldman Jones. 

Auprès de la chanteuse noire américaine Carole Frédérick et du gallois Michael Jones  il redécouvre le plaisir de chanter en groupe. 

Un coup de foudre amical et artistique qui débouche sur plusieurs tournées et des chansons célèbres telles qu’ « A nos actes manqués »  ou  « Né en 17 à Leidensstadt ». 

Le groupe accouche en 1993 d’un album appelé « Rouge ». 

Le titre n’est pas anodin. 

Le mur de Berlin est tombé et le bloc soviétique s’est effondré.

Le vingtième siècle est bel et bien  sur le point de s’achever.  

Goldman une fois de plus relève l’importance de cette période charnière. Les idéaux qui ont animé l’existence de sa famille sont sur le point de s’éteindre, une page se tourne. 

Quel bilan tirer ? 

L’album  tangue entre espoir et désillusion. Sur le titre phare du recueil, le chœur de l’ex armée rouge elle-même entonne comme une sorte de chant d’adieu. 

On ne peut faire plus grandiose comme conclusion…

Le temps passe.  

Jean Jacques Goldman continue de composer mais le cœur n’y est plus vraiment. Il a peur de tourner en rond et de se répéter. 

La mélancolie s’installe progressivement. 

En 1997 Il divorce de Catherine. 

En 2001, il sort son dernier album solo. « Chanson pour les pieds ». 

A quelques jours de son cinquantième anniversaire, Il épouse Nathalie, une professeure de mathématiques. Elle est de 28 ans plus jeune que lui. Une de ses fans les plus fidèles… Ils se sont rencontrés en 1995. Avec elle, il caresse  le projet de fonder une nouvelle famille. Jean Jacques rechigne de plus en plus à se produire sur scène. En 2004, c’est bon, il prend sa retraite.

Sa décision en déroute plus d’un. Pas courant  de voir un artiste aussi plébiscité se retirer du métier. Peut-être n’est ce qu’un effet d’annonce. Une manœuvre pour pouvoir faire un retour en force ? 

Mais Jean Jacques persiste et signe. Son inspiration et son envie se sont taries. Il souhaite passer du temps en compagnie de Nathalie et de ses enfants. Il déménage à Marseille avec elle. 

Là-bas, il mène une vie plus tranquille, loin des flonflons de la capitale. 

Jean Jacques s’investit dans la vie de quartier, participe à la kermesse…

Parfois il lui arrive de reprendre sa plume mais il est bel et bien passé à autre chose.  En 2016, il se retire de la direction artistique du concert annuel des enfoirés. Il est temps de passer le relais aux jeunes !

Goldman a toujours du pain sur la planche. Avec son frère cadet, Robert, il continue à gérer les droits de sa production passée. Son fils aîné  Michael l’a rejoint. Une entreprise familiale en quelque sorte. Il y a de quoi être occupé. D’après certains spécialistes, ses droits génèrent deux millions d’euros par an. Il faut croire que ses années d’éco lui auront servi à quelque chose!  Si Jean Jacques est avant tout un artiste, il y a d’autres facettes à sa personnalité. Un stratège et un organisateur qui ne laisse rien au hasard. 

En 2016 Jean Jacques Goldman  prend une nouvelle fois tout le monde de court. Il part s’installer à Londres ! Les mauvaises langues voient leur clapet rapidement fermé. Non, il ne s’agit pas d’une évasion fiscale. Jean Jacques Goldman continue de payer ses impôts en France. Les fans les plus endurcis espèrent que son installation dans la capitale anglaise lui fera renouer avec la musique qui a bercé son adolescence. Et si au contact de cette ville qui a vu les Stones et les Beatles, Goldman retrouvait le goût de la musique ? Les paris sont ouverts…

Qu’il se remette ou non à chanter, Goldman aura marqué son époque. Ne parle-t-on pas de génération Goldman ? Et sa popularité s’étend au-delà. Il a été élu à plusieurs reprises personnalité préférée des français.

Jeunes, vieux… Ses chansons continuent de résonner dans l’inconscient collectif. 

Goldman a su imposer une musique, un style à jamais ancrés dans nos mémoires. Sa création est devenue un véritable monument. En 2013 les paroles de sa  chanson « là-bas » sont même présentes dans l’épreuve de français du bac professionnel. 

Un paradoxe  quand on pense qu’au cours de sa prolifique carrière, Jean Jacques Goldman n’a reçu qu’une récompense musicale. 

Mais les honneurs officiels sont bien peu de choses lorsqu’on a conquis le cœur de tout un pays.

Encore plus de Podcast à écouter ici sur PODCAST STORY