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Dexter, Sang fin.

Dexter, Sang fin.

Rien n’est plus agaçant, quand on se plonge dans une série télé au long cours, d’être déçu, d’être désarçonné devant une nouvelle saison qui, semaine après semaine, est très décevante en comparaison des années précédentes où vous étiez passionné, rivé devant votre écran. Une chute d’intérêt évidente, une répétition des intrigues passées, une lassitude devant l’absence d’originalité. 

Prenons un exemple très concret : « Dexter ».

En 2006, c’est avec stupéfaction que nous découvrons Dexter Morgan, expert en éclaboussures de sang pour la police de Miami le jour et tueur en série la nuit, drôle et charismatique en journée, méticuleux et chirurgical le soir venu. De son enfance, trouvé dans un container auprès de sa mère assassinée et baignant dans son sang, il a gardé un « Dark Passenger », une face sombre, un besoin de tuer. De son père adoptif, Harry, le policier qui l’a trouvé tout bébé, il a acquis un code : ne tuer que les gens qui sont des criminels et coupables, et une procédure : les traquer puis les sacrifier dans un environnement protégé et sûr. Harry qui n’est plus de ce monde mais continue de hanter Dexter Morgan et d’être son compas moral, en quelque sorte.
Dans cette saison 1, le tueur Dexter était confronté à un concurrent, le tueur au pic à glace, qui se révélera faire partie de la famille biologique de Dexter. 

Quand vous n’imaginiez pas que l’on puisse aller plus loin, les saisons suivantes vous ont démontré le contraire, en confrontant Dexter à un procureur avide de pouvoir, puis surtout au Trinity Killer qui va totalement le fasciner, car ce dernier est parvenu à atteindre un équilibre entre ses activités criminelles et sa vie de famille avec sa femme et ses enfants, tout en bienveillance et en opérations de charité. 

Cela renvoie Dexter au foyer qu’il espère fonder avec Rita et son propre fils nouveau-né, Harrison. 

La saison 4 s’est clôturée avec un tel rebondissement dramatique que la suivante, en 2011, va battre des records d’audience, avec 5,500,000 spectateurs en moyenne.

Mais c’est justement à ce moment-là que la série s’est banalisée, que les opposants à Dexter sont devenus plus anodins, que le personnage a stoppé son évolution, que les trames sont devenues prévisibles, voire même ont été carrément abandonnées en cours de route devant les réactions majoritairement négatives des spectateurs. Car oui, il était envisagé qu’une histoire d’amour naisse entre Dexter, jeune veuf, et sa sœur adoptive Debra Morgan. 

Une sœur adoptive donc, qui découvrira la face sombre de son frère à partir de la 7e saison et gardera le secret, au point de tuer la capitaine de la police de Miami. 

Et quand arrive la saison finale de la série, annoncée pour l’été 2013, on espère encore que le final sauvera ces dernières années d’errance, mais non, c’est pire : le dernier épisode où, sans trop spoiler, un des personnages perd la vie mais où Dexter quitte Miami pour devenir chauffeur routier dans l’Oregon, est une farce qui entre immédiatement dans la liste des finale de séries les plus nulles de l’histoire de la télévision.

Alors qu’elle n’a pas été votre surprise quand vous avez découvert, sur Canal Plus, la toute nouvelle mini-série – ou « série limitée », comme on préfère dire maintenant : « Dexter New Blood » série limitée, car c’est un one shot conçu et produit comme tel depuis le départ : une histoire avec un début un milieu et une fin et un nombre bien délimité d’épisodes. Pas de saison suivante, pas de personnel devant et derrière la caméra engagé pour potentiellement plusieurs années. Une mini-série, quoi…! Dans ce cas précis, ce sont 10 nouveaux épisodes, commandés par la chaîne câblée américaine Showtime en octobre 2020. 

Et là, surprise, cette suite renoue avec la série des débuts.
Dexter Morgan a changé de nom, de profession et de vie, loin de Miami dans une petite ville de l’Etat de New-York, loin aussi, le croit-il, de son « dark passenger », car il n’a plus mis à mort qui que ce soit, peut-être parce que l’endroit où il vit est paisible.
Mais il suffira d’un animal tué pour que le côté sombre de Dexter ressurgisse, alors qu’un autre tueur de jeunes filles accumule ses victimes dans la région et que le fils de Dexter, Harrison réapparaisse dans sa vie. 

C’est une surprise et, pour bon nombre de critiques – dont moi, la mini-série fait surtout revenir la qualité qui avait été délaissée lors des dernières saisons de la série et surtout lors de son final très décevant. 

Alors, quelle est la raison d’un tel renouveau ? Comment une série peut-être exceptionnelle, puis banale, et enfin, 8 ans plus tard, retrouver tout son lustre exceptionnel ? 

Menons l’enquête. 

Michael C Hall est peut-être la raison de ce retour en grâce. Michael C Hall est un acteur de théâtre, passant de Macbeth à Cabaret. Mais il va accepter un rôle dans une série télévisée de la chaîne HBO, une série créée par Alan Ball, scénariste oscarisé pour le film American Beauty. Ball vient de créer une série osée, insolente, totalement originale, qui parle de la mort et de la vie au travers d’une famille de croque-morts. 6 Feet Under fut son premier rôle devant une caméra pour Michael C Hall et son manque d’assurance a parfaitement servi son personnage : David Fischer, un croque-mort gay, introverti, qui prend la tête de sa famille à la mort de son père et qui, graduellement, sort du placard. 

En 2005, Michael C Hall termine 6 Feet Under avec un épisode final inoubliable et se dit qu’il ne retrouvera jamais une série télé aussi exigeante que cela. Il n’avait pas encore lu le scénario du premier épisode de Dexter. 

Michael C Hall est le premier à reconnaître que la conclusion de Dexter était loin d’être satisfaisante pour quiconque espérait une véritable fin. Il est alors surpris quand on lui propose de reprendre le rôle, mais avec un scénario très différent pour une série très différente : le froid succède à la moiteur de Miami, le tumulte des multiples criminels a laissé la place à la plénitude d’une communauté rurale, et Dexter Morgan ne s’appelle même plus Dexter Morgan, mais Jim Lindsay. C’est un nouveau Dexter et Michael C Hall a aimé l’idée.

Donc, si ce n’est lui, cela vient alors du créateur de Dexter ? 

Oui, mais non !

Le créateur du personnage de Dexter, c’est un romancier, Jeff Lindsay. Oui, le nom de Dexter dans la nouvelle mini-série, Jim Lindsay, est un hommage au romancier. En 2004, Jeff Lindsay sort le premier roman d’une nouvelle série policière, « Ce Cher Dexter / Darkly Dreaming Dexter » et son personnage totalement hors norme de tueur en série fait un carton. 6 autres romans sortiront jusqu’en 2015. 

Mais si Lindsay a bien créé le personnage et si la première saison de la série reprend précisément le roman initial, il n’est pas plus impliqué que ça dans la production télé. C’est normal : il s’agit de deux métiers différents. Lindsay a cédé les droits, mais laisse d’autres adapter son œuvre. 

Le pilot de la future série est commandé par la chaîne câblée Showtime et développé par James Manos Jr, Ce pilot est absolument remarquable et entraîne la validation de la série. James Manos est très important, en tant que créateur de la série : il décide de son style, de sa distribution : c’est lui qui confie le rôle de Dexter à Michel C Hall, bref, il met en place toute la structure de la future série.
Mais, un peu comme le romancier, Manos ne poursuit pas au-delà du pilot. C’est quelque chose d’assez courant dans le monde des séries : des créateurs sont impliqués dans la phase initiale d’un projet puis délèguent à d’autres la poursuite de la série, afin de pouvoir, eux, se lancer dans un nouveau projet. Je vais vous donner un exemple très parlant : c’est Darren Star qui a créé Sex and the City, mais c’est Michael Patrick King qui en a été le principal showrunner. C’est Glenn Larson qui a créé Magnum mais c’est Donald Bellisario qui a donné vie à la série des années durant. 

Et voilà donc la clef du mystère « Dexter », ni Manos ni Lindsay qui n’ont pas suivi la production de la série, mais le showrunner qui l’a porté 4 saisons durant.

Le showrunner, un terme que vous avez sans doute déjà entendu, mais qui véhicule pas mal d’idées reçues. Être showrunner – ou producteur exécutif d’une série – c’est être la voix et l’âme de la série. C’est savoir où va l’histoire et ou vont les personnages, savoir les définir très précisément. C’est assurer une cohérence avec tous les épisodes et toutes les saisons, afin que l’épisode 12 soit pareil que l’épisode 25, et cela, même si les scénaristes sont différents et si les réalisateurs s’enchaînent. Parce que c’est ça, la grande différence entre une série et un film : la série doit continuer et se poursuivre après l’épisode par un autre épisode et encore un autre épisode.

Le showrunner ne se réduit pas à une sorte de super-scénariste, mais c’est surtout un référent auquel la centaine de gens qui travaillent sur la série ont affaire : acteurs, maquilleurs, décorateur, costumiers, éclairagistes, cascadeurs, ingénieur du son, compositeur… Le producteur exécutif, parce qu’il sait précisément ce qu’est la série, quel est son ton et son style, qu’il doit décider de la couleur d’un canapé pour une scène, un genre de musique qui sera nécessaire et à quel endroit de l’épisode, et si, pour chaque scène, les tenues doivent être classe, limite guindé ou sportswear détendu. 

La vie d’un showrunner de série consiste… À ne plus avoir de vie pendant les 9 mois nécessaires à la production d’une saison. Il doit tout gérer, tout valider, tout cela dans l’immédiateté. Il doit travailler simultanément sur l’épisode en cours de montage et de mixage, avant sa diffusion, sur l’épisode en cours de tournage et sur l’épisode en cours d’écriture. Simultanément. 

Parce qu’il sait précisément qui sont ses personnages, il doit l’indiquer aux comédiens et le préciser au réalisateur. La cohérence est essentielle pour que, d’un épisode à l’autre, un des héros ne se comporte pas de façon diamétralement opposée au gré des idées au moment du tournage. 

Et parce qu’il maîtrise toutes les trames, leur résonance et leur signification, c’est lui qui travaille avec les autres scénaristes, oriente les idées et prend les décisions finales. 

Voilà. On y est. On a trouvé notre « coupable ». 

Il s’appelle Clyde Phillips, et c’est lui le showrunner de la série, prenant la suite de James Manos Jr après le pilot. Celui qui va diriger la vie de Dexter, c’est Harry son père fantomatique dans la série, mais dans la réalité, c’est Clyde Phillips. Philips avait déjà été aux commandes de la très originale série Parker Lewis, une sitcom très innovante sur la forme puisqu’elle superposait aux traditionnelles histoires d’élèves au lycée des effets visuels et sonores dignes des cartoons de Bugs Bunny, ce qui donnait à la comédie un cachet inimitable. Il est donc la personne parfaitement adaptée pour donner au premier serial killer vedette d’une série télé un cachet inimitable en naviguant entre les eaux du thriller et du bon goût, en créant l’empathie pour son tueur sans pour autant l’excuser pour ses actes. 

Phillips va s’inspirer de sa propre relation chaotique avec son père pour créer les fondamentaux du personnage. « Je n’ai pas eu une enfance heureuse. Je n’avais pas un bon père. J’ai eu plein de soucis avec lui et je l’ai beaucoup exprimé à travers Dexter. » M’avait-il confié. « Avec le personnage de Dexter, on a besoin de le faire évoluer. Mais c’est compliqué, car il est cabossé par la vie. Il est ralenti dans son évolution par ce qui lui est arrivé. Il a besoin d’évoluer et nous, on doit surveiller, en quelque sorte, sa vie et voir comment il va réagir à certains incidents de sa vie. »

C’est donc pour cela que, lors de ses premières années, Dexter Morgan est surtout confronté à des images familiales : son père adoptif qu’il va respecter, son frère génétique qu’il va tuer, sa soeur qu’il va protéger, son alter-ego père de famille qu’il va envier. 

Clyde Phillips va faire ce que tout showrunner de talent doit faire : il va être ses personnages. C’est lui qui me l’a confirmé : 

« Je connais ces personnages tellement bien que je n’ai qu’à attendre qu’ils me parlent. Ensuite, j’écris ce qu’ils me disent. Je connais leur voix, je comprends leur voix. Les personnages habitent la série, mais j’ai des parties d’eux en moi, aussi. » 


Une fois cela en place, Clyde Phillips écoute et travaille avec les autres scénaristes réunis en writing room pour nourrir ses personnages avec des histoires, des rebondissements, des obstacles, des conflits. Pas étonnant donc que la qualité soit constante, même si c’est un vrai défi, mais il y a un bien un pilote dans l’avion. 

En tout cas, jusqu’à l’escale de 2010, après la saison 4. Donc, pour les saisons suivantes : le pilote a quitté l’avion. 

Mais pas contraint et forcé : de son propre choix : 

« J’ai décidé de quitter la série à la fin de cette année-là » m’a t’il dit en faisant référence à la fin de la saison 4. « Si j’ étais revenu dans la salle d’écriture en février pour la saison suivante, je ne sais pas ce que j’aurais fait. Je veux dire : mon successeur trouvera bien comment aller plus loin. J’ai discuté avec l’équipe, mais pas sur l’histoire en elle-même. Non, personne ne connaît l’idée que moi, j’ai eu pour continuer la série. »

Comme je vous l’ai dit, la fonction de producteur exécutif d’une série est extrêmement créative, mais extrêmement prenante aussi, et elle dévore toute votre énergie, et toute votre vie. Clyde Phillips vivait et travaillait en Californie alors que sa famille était sur la Côte Est, dans le Connecticut et il a ressenti le besoin de passer plus de temps avec eux. Dans une récente interview pour le magazine « Entertainment Weekly », il dit « je me crevais le cul pour me payer un train de vie que je ne pouvais pas vivre ! « . C’est assez lucide. Pas étonnant qu’à un moment, on fasse un break et que de nouvelles voix prennent la relève pour donner leur propre orientation de la série. Alors on ne va pas se mentir : un changement de producteur exécutif est souvent effectué quand il y a un conflit ou quand le showrunner est décevant dans ses choix. À d’autres alors de tenter de remettre la série sur les rails. 

Et bien sûr il y a les cas où le nouveau producteur exécutif a des idées tellement opposées qu’il saborde involontairement la série. Vous vous souvenez par exemple, de la fameuse série de science-fiction de la fin des années 80, Cosmos 1999. Si sa première saison s’était inspirée de la grandeur et du lyrisme de 2001 l’Odyssée de l’espace, sa suite, sous la houlette d’un nouveau responsable, s’oriente plus vers de l’aventure infantile destinée à un très jeune public : décors, costumes, histoires, et même personnages, tout y est différent. Et quelquefois ça se passe très mal : la décision de mettre à la direction de la formidable série le Bureau des Légendes non plus Eric Rochant, mais Jacques Audiard pour ses deux derniers épisodes a profondément modifié le ton et le sens des 5 saisons précédentes.

8 années se sont passées depuis la fin catastrophique et mondialement détestée de la série, et chacun est partis de son côté : Michael C Hall dans de nouveaux projets comme la récente mini-série Safe écrite par Harlan Coben, Michael Philips dans des séries tournées sur la Copte Est donc bien moins éloigné de sa famille. Il a par exemple repris la direction de la série Nurse Jackie. Mais dans un coin de sa tête, il souhaitait toujours rectifier la direction de la série qu’il avait porté aux sommets. Et il s’avère que Michael C Hall lui aussi en avait marre qu’on lui demande sans cesse si une 9e saison de Dexter pourrait survenir et modifier cette fin aussi peu satisfaisante.

C’est Gary Levine, le président de la chaîne payante Showtime qui rallume le feu en juillet 2019 et confirme à Phillips que, à son avis, le moment est venu de ressusciter la série. 

Alors Clyde Phillips a pris l’avion pour New-York et y a retrouvé Michael C Hall. Il lui raconte environ une dizaine de pages du scénario qu’il envisageait pour cette suite et, enthousiasmé, Hall a confirmé qu’il reprenait l’aventure. Quelques mois plus tard, c’est dans le froid de la Nouvelle Angleterre que se tournait ce « New Blood ». 

10 épisodes plus tard, Dexter a maintenant non seulement le développement, mais surtout la conclusion que son scénariste en chef rêvait. Sans effacer les saisons passées et surtout sans trahir le personnage, mais en l’envoyant dans une nouvelle direction, imposée par sa nouvelle vie. 

Dexter est dorénavant terminé et la cohérence est respectée. Tout cela grâce à son showrunner qui, tel un père absent, ne l’a pourtant jamais oublié. 

Texte et Voix : Alain Carrazé

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