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L’AFFAIRE DU PULL OVER ROUGE. A-T-ON GUILLOTINÉ LE COUPABLE ?

L’AFFAIRE DU PULL OVER ROUGE. A-T-ON GUILLOTINÉ LE COUPABLE ?

28 juillet 1976, 4 heures du matin.

Le jour se lève à peine sur la prison des Baumettes, à Marseille.

Dans les sous-sol sombres, un petit groupe d’hommes progresse silencieusement.

Pour étouffer leurs pas, des couvertures ont été jetées à même le sol.

Un gardien ouvre la porte de la cellule réservée aux condamnés à mort.

Avec ses collègues, il se rue sur le jeune homme qui y dort encore.

Réveillé en sursaut, le prisonnier hurle.

Dans le couloir, ses avocats.

Eux aussi font partie du convoi qui le mène à la guillotine.

Un chemin de plusieurs minutes aussi long que cruel. Le cortège descend d’abord un escalier jaune métallique qui débouche sur un couloir de béton. Au bout de celui-ci, une table et une chaise en bois. Premier arrêt. Assis, l’homme qui s’apprête à monter sur l’échafaud fume une dernière cigarette. Il refuse le verre d’alcool qu’on lui tend.

A côté, une pièce verte, sans lumière, au plafond bas. C’est ici que l’on coupe les cheveux du condamné. Et puis on ouvre une autre porte, pas très haute, qui oblige à se pencher pour la traverser. Une dernière marche à franchir. Voilà l’homme dans la cour d’exécution… face à lui la guillotine… à l’abri des regards. Il monte à l’échafaud. Sans dire un mot. On l’attache solidement avec des ficelles. Son corps bascule à l’horizontale et le bourreau déclenche le couperet … qui s’abat dans un bruit sourd. Il est 4h13, Christian Ranucci vient de mourir.

En 1974, il avait été jugé coupable de l’enlèvement et du meurtre d’une petite fille.

À 22 ans, Christian Ranucci est le premier condamné à mort guillotiné sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing et l’un des derniers. Retour sur une affaire emblématique.

3 juin 1974, 11h15.

Dans la cité Sainte-Agnès, à Marseille, les effluves du déjeuner embaument l’air.

En ce lundi de Pentecôte, les rues sont vides.

Seuls les cris des mouettes brisent parfois le silence.

Là, en bas des immeubles, Marie-Dolorès joue avec son petit frère, Jean-Baptiste.

Elle a 8 ans, lui, 6 ans et demi.

De l’autre côté de la rue, un homme vient de se garer.

Il claque la portière et s’avance vers les enfants.

L’homme a perdu un chien noir et demande à Jean-Baptiste de faire le tour de l’immeuble pour le chercher. Quand le petit garçon revient, l’homme et sa voiture ont disparu.

Marie-Dolores aussi. Alertés, ses parents appellent la police.

Jean-Baptiste donne quelques détails aux enquêteurs : le ravisseur a les cheveux noirs, il est jeune et bien habillé et il parle « comme les gens d’ici ».

Le même jour, à 12h15, un accident éclate entre une R16 blanche et une 304 gris métallisé au carrefour du lieu-dit La pomme … à 20km de Marseille.

Le conducteur de la Peugeot qui a grillé un stop, percute la Renault de Vincent Martinez avant de prendre la fuite en direction de Marseille.

Témoin de la scène, un couple accélère derrière la Peugeot. Alain et Aline Aubert doivent récupérer leurs enfants, mais ils décident de poursuivre le chauffard. Quelques mètres plus loin, la Peugeot est immobilisée sur le bas-côté. Les Aubert notent le numéro de la plaque d’immatriculation. 1369 SG 06.

Le même jour à 17h, à deux kilomètres du lieu de l’accident, un homme demande de l’aide. Il s’est malencontreusement embourbé dans la galerie d’une champignonnière. Le véhicule est coincé. C’est une Peugeot 304 gris métallisé. Le propriétaire des lieux et le contremaitre lui donnent un coup de main.

Le soir même, on s’inquiète de l’enlèvement de Marie-Dolorès sur toutes les radios. Le lendemain, l’affaire fait la Une des journaux.

Très vite trois hommes se manifestent auprès des gendarmes pour évoquer une Peugeot 304 gris métallisé.

Le premier en est sûr : la veille, il a tracté une Peugeot 304  qui était enlisée dans l’une des galeries de sa propriété, une champignonnière.

Les 2 autres témoins ont été impliqués dans un accident de voiture avec un coupé Peugeot 304 gris pas plus tard qu’hier. Le premier s’appelle Vincent Martinez, c’est lui qui a été percuté au carrefour. L’autre s’appelle Alain Aubert. Avec sa femme, il a suivi le véhicule, a vu le conducteur s’enfuir dans les bois avec un paquet assez volumineux. Il a aussi noté l’immatriculation.

Le lendemain, 5 juin 1974, Alain Aubert change de version. Ce n’était pas un paquet, mais bien un enfant que le conducteur portait avant de s’enfoncer dans les fourrés.

En début d’après-midi, c’est la cohue.

Des militaires, des motocyclistes, la brigade canine d’Arles arrivent sur les différents lieux.

C’est d’abord dans une galerie, près de l’endroit où la Peugeot s’est enlisée que les gendarmes découvre un pull-over rouge. Un pull-over qui sera au cœur de cette affaire. 

Là où Alain Aubert a indiqué avoir vu Ranucci s’enfoncer on organise une battue. La progression est difficile. Il est vrai qu’à cet endroit la végétation est dense.

Deux heures plus tard, dans une pinède, des gendarmes découvrent l’horreur.

Le corps d’une fillette a été dissimulé sous des branches d’Ajonc de Provence.

Elle a été poignardée. 15 coups de couteaux selon le médecin légiste. Son visage est tuméfié et son crâne a été fracassé à coups de pierre. Appelé sur les lieux, le père de Marie-Dolorès se dirige vers le bosquet. Des cris de douleur résonnent très vite. C’est bien sa fille que les gendarmes viennent de retrouver.

La champignonnière où la Peugeot 304 a été tractée se trouve non loin de là.

Dans la galerie humide, les enquêteurs mettent la main sur le scellé n°1 : un pull-over masculin de couleur rouge.

Entre temps, le propriétaire de la Peugeot 304 coupé a été identifié et arrêté.

Il s’appelle Christian Ranucci et il a vingt ans.

Il est grand, brun, porte de larges lunettes noires.

Propre sur lui, il arbore une chemise à rayures et un pantalon clair.

Il habite encore chez sa mère, à Nice, même s’il vient de décrocher un emploi de représentant de commerce. Commence une garde à vue de 18h … 

Ranucci avoue l’accident et le délit de fuite. Pour le reste, il n’a rien fait. Mais les prélèvements effectués dans sa voiture jouent contre lui. Dans l’habitacle, les gendarmes ont retrouvé un pantalon taché de sang, un Opinel, quatre lanières de cuir et deux cheveux.

En garde-à-vue, Christian Ranucci est confronté aux témoins.

Le frère de Marie-Dolorès et un garagiste du quartier présent sur les lieux de l’enlèvement, ne le reconnaissent pas. En plus, le garagiste a bien vu la voiture du ravisseur. Pour lui, c’est une Simca, pas une Peugeot.

Mais face au couple Aubert, la garde-à-vue bascule.

« Je vous ai vu Monsieur. C’est vous. » finit par asséner Aline Aubert, exaspérée par les dénégations du suspect. Alors, Ranucci baisse la tête. Dans le bureau maintenant silencieux, il passe aux aveux. Pendant trois heures, il détaille les faits et dresse un plan des lieux de l’enlèvement.

« Oui … j’ai tué Marie-Dolorès à coups de couteau dans un moment d’affolement » dit-il… 

Le couteau, c’est un cran d’arrêt. Il l’a jeté dans la champignonnière. Les gendarmes retrouvent effectivement l’arme blanche ensanglantée. Ranucci reconnaît l’arme. D’après les résultats des analyses : le sang sur le couteau est du même groupe sanguin que celui de Marie-Dolorès. En ce début du mois de juin, le jeune homme passe de suspect à accusé. Il vient de signer sa mort médiatique. « Le monstre a avoué ! » ; « Ni excuse, ni pitié ! » affichent les Unes des journaux. L’opposition à la peine de mort n’existe plus.

Si Ranucci a tué un enfant, il doit payer de son sang.

L’instruction du dossier dure un an.

Douze mois pendant lesquels Christian Ranucci se montre versatile.

Il réitère d’abord ses aveux devant la juge d’instruction, puis se rétracte.

Douze mois aussi pendant lesquels la juge n’entend aucun des deux témoins de l’enlèvement de Marie-Dolorès, pas même son petit frère.

Christian Ranucci est renvoyé devant les assises pour l’enlèvement et le meurtre de Marie-Dolores. Il risque la peine de mort.

Le procès de Christian Ranucci s’ouvre le 9 mars 1976 à Aix-en-Provence.

Devant le tribunal et dans la salle des pas perdus, c’est le tumulte.

Le public se presse, haineux.

« Oui à la peine de mort », peut-on lire gravé dans la pierre du palais de justice.

L’actualité à exacerbé les tensions. Quelques semaines plus tôt un certain Patrick Henry a été arrêté. Il est accusé d’avoir enlevé puis tué un petit garçon de sept ans.

Le premier jour d’audience, l’attitude de Christian Ranucci attise la haine.

Dans le public, on le trouve arrogant avec sa grande croix autour du cou.

Et que note-t-il sans cesse dans le carnet ouvert devant lui ?

On l’apprendra plus tard : le jeune homme calculait les indemnités qu’il pourrait demander à la justice. Ranucci n’en démord pas : il est victime d’une erreur judiciaire.

Confronté au commissaire qui a mené l’enquête, il l’accuse de l’avoir passé à tabac. « Vous êtes un monstre ! » s’insurge le policier, hors de lui.

Pour les avocats de la défense il reste malgré tout un maigre espoir …Ils comptent sur le témoignage d’une femme. Quelques jours avant l’enlèvement de Marie Dolores, sa fille et une copine ont été abordées par un homme alors qu’elles jouaient devant chez elle, à Marseille.

Il avait perdu lui aussi son chien noir. Il conduisait une Simca et portait un pull-over rouge.

Incapable de répondre aux questions complémentaires qu’on lui pose, les déclarations de la mère de famille n’ont pas l’effet escompté. Pourtant Ranucci n’était pas dans la cité phocéenne ce jour-là. Alors ? Qui est cet homme ?

Le lendemain, c’est déjà l’heure du verdict. Alors que les jurés délibèrent, une foule déchaînée manifeste devant les portes du palais de justice. Pour eux il n’y a l’ombre d’un doute … C’est la peine capitale ou rien. À 20h30, la décision tombe. Christian Ranucci est jugé coupable de l’enlèvement et de la mort de Marie-Dolorès. Il n’a aucune circonstance atténuante. La peine ne fait plus de mystère : il est condamné à mort.

Devant le tribunal, des gens applaudissent à l’annonce du verdict… 

Deux jours plus tard, le pourvoi en cassation déposé par les avocats de Ranucci est rejeté.

Au-delà de l’émotion populaire suscitée par ce crime des voix s’élèvent aussi pour remettre en cause le principe même de la condamnation à mort. Le quotidien « Libération » a publié en ce sens une lettre ouverte réclamant la grâce de Ranucci. 

Pour la défense il reste un dernier espoir : le recours en grâce que peut accorder le Président Valery Giscard D’Estaing. Le 21 juillet Maitre Lombard est reçu au Palais de l’Élysée pour plaider une dernière fois la cause de Ranucci. Le Président écoute. Il sait au fond de lui qu’un jour il faudra légiférer … « le moment venu » comme il l’a déjà dit.

Dans sa voiture, l’avocat repart confiant. Sur la route qui le ramène à Marseille, l’homme allume la radio… Flash info… Un nouvel enlèvement d’enfant vient de se produire… il s’agit de Vincent Gallardo 6 ans. Il a été enlevé au Pradet, à 10km à l’est de Toulon. Deux jours plus tard, son corps sera retrouvé.

 « Si l’autre là-bas est gracié, on met le feu aux Baumettes », entend-on pendant l’enterrement de la petite victime. L’opinion est sur les dents. Le 26 juillet le Président rejete la demande en grâce et décide selon ses propres mots de « laisser la justice suivre son cours ».

Le 27 juillet 1976, France 3 annonce pourtant que la grâce de Christian Ranucci a été accordée par la Président de la République. Dans les bureaux de la chaîne, la sonnerie du téléphone retentit presque instantanément. L’AFP a envoyé la mauvaise dépêche.

À la fin du journal, le présentateur prononce un démenti. 

Un gardien qui a entendu le premier communiqué mais pas le démenti se précipite dans la cellule de Ranucci pour lui annoncer la nouvelle. Le jeune détenu pense être gracié. À peine le temps de savourer ce moment qu’on l’avertit de l’erreur. 

À 23h, le téléphone sonne chez ses avocats. L’opération est fixée au lendemain, à l’aube et dans le plus grand secret.

En 1978, deux ans après l’exécution de Christian Ranucci, l’ouvrage d’un journaliste lance la polémique. Intitulé Le Pull-over rouge, le livre remet en cause la culpabilité du jeune homme et soutient la thèse de l’erreur judiciaire.

D’après l’auteur, le fameux vêtement, trop grand pour Ranucci, ne lui appartenait pas.

En plus, il détestait le rouge. Dans la ligne de mire du journaliste, on trouve aussi le couple Aubert et ses dépositions changeantes. Enfin, l’auteur souligne les nombreuses irrégularités de l’enquête. Comme par exemple, ce procès-verbal de la police de Marseille, qui accuse réception de l’arme du crime deux heures avant qu’on la découvre, à 25 kilomètres de là ?

Et quand est-il de l’homme à la Simca présent le jour de l’enlèvement de la petite Marie-Dolorès ? 

Dans le sillage de la publication, trois demandes de révision sont déposées.

Toutes les 3 seront rejetées. En 2013, juste avant de mourir, la mère de Christian Ranucci a déposé la dernière.

Quant à l’abolition de la peine de mort, il faudra encore attendre cinq ans et la mort de deux hommes … pour qu’elle soit définitivement abolie en France.

Texte : Manon Gauthier Faure

Voix : Michel Élias

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